De la piste muletière à la route moderne : le désenclavement des Alpes

 

Jusqu'à la fin du XIX° siècle, les Alpes restaient encore un monde clos dans lequel la population vivait en autarcie. Hormis les basses vallées où circulent déjà de grandes routes (Grésivaudan, Maurienne, Tarentaise, etc...) et quelques grands cols équipés sous le Premier empire de routes en lacets pour des raisons stratégiques (Mont Cenis, Mont Genèvre, Simplon..) , les différents massifs alpins restaient presque totalement repliés sur eux-mêmes.

L'ouverture des routes d'altitude commence à l'initiative des troupes alpines. Le XIX° voit la frontière franco-italienne s'équiper de nombreux forts hérissés de canons capables de "battre" les vallées et le cols lieux de passage d'un éventuel ennemi. Cet équipement se poursuit jusque dans les années 30 avec l'établissement de la "Ligne Maginot" des Alpes. Bien entendu, tous ces travaux nécessitent des voies d'accès, la surveillance des crêtes impose des déplacements d'hommes et de matériel parfois lourd. C'est ainsi que les troupes alpines sont à l'origine de bon nombre de nos routes conduisant à nos chers cols. Citons par exemple l'ouverture de la route du col de l'Izoard (2360m) (stèle commémorative au sommet), la route de la Bonette ou encore celle du Col du Parpaillon qui est restée muletière.

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A l'exemple des légions romaines, les Chasseurs alpins ont ouvert de
nombreuses routes stratégiques bien utiles aujourd'hui pour le tourisme.


Mais les militaires n'ont pas été les seuls à partir à l'assaut des massifs et des crêtes. Les intérêts économiques, l'essor généralisé des transports modernes au XIX° siècle poussent les collectivités à construire des routes là où ne se trouvaient que de maigres sentes muletières. Les communes sont mises à contribution financière, certaines acceptent de payer d'autres rechignent à mettre la main à la poche en utilisant l'argument incontournable : les finances communales seront destinées en priorité à la réfection de l'église qui, comme par hasard, tombe en ruine lorsqu'il est question de financer une route d'accès ! Mais ce ne sont que des combats d'arrière garde et les travaux commencent dans des conditions parfois bien difficiles.

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Construction d'une route en Oisans

L'exemple le plus frappant de cette aventure humaine qu'a été le désenclavement des massifs nous est fourni par l'assaut donné à la citadelle du Vercors par une armée de terrassiers et de mineurs entre 1850 et 1900. Désormais, en remontant les "Grands Goulets" ou en franchissant l'extraordinaire corniche de "Combe Laval", nous pourrons songer à la peine de ceux qui ont ouvert ces routes en encorbellement qui nous conduisent vers les cimes et les cols.

Trois routes spectaculaires :

Noms des routes Durée des travaux Élargissement Fonctions
Les Grands Goulets 1843-1854 1872-1982 Commerce, transport du bois, tourisme
Les Gorges de la Bourne 1861-1872 1980 Commerce, transport du bois, tourisme
Combe Laval 1861-1898 1936-1939 Entretien de la forêt puis tourisme

Voici des documents d'époque relatant cette aventure.

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La route des Grands Goulets en 1902

Des techniques périlleuses.
"Constamment, les ouvriers durent, suspendus à des cordes munies d'une sorte de siège, travailler au-dessus du vide à poser des crampons dans le roc. Plus d'une fois il y eut mort d'homme. La percée des tunnels nécessita des efforts gigantesques. Si l'on joint à cela la difficulté d'apporter à pied d'œuvre le matériel indispensable, on comprendra quel labeur de Titans a été réalisé en ce point. Pour l'époque où elle a été exécutée, c'est vraiment une œuvre grandiose.
G.Jorré : "L'établissement des routes dans le Vercors"; Revue de Géographie Alpine n°9, 1921.

"Ainsi suspendu, l'ouvrier commençait par faire une mine et, après y avoir mis le feu, il s'élevait sur la corde à une certaine hauteur pour se mettre hors d'atteinte des effets de l'explosion. Il recommençait ensuite autant de fois que cela était nécessaire pour se faire une petite place, après quoi, il cessait de rester suspendu et il continuait jusqu'à ce que la brèche fût assez grande pour y loger plusieurs ouvriers.
J.P. Revellat : "Mémoire sur la route du Vercors, dite des Grands Goulets" ; Imprimerie Gros, 1850.

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Construction de la route de Combe Laval en 1896

Pour les habitants du Vercors, le désenclavement est un bouleversement considérable. Les produits de la plaine arrivent sur le plateau, les toits de chaume laissent la place aux toits de tuiles, le confort apparaît dans les maisons car l'économie d'échange procure de nouveaux revenus . Déjà les premiers touristes (et cyclotouristes) s'émerveillent de la beauté du massif, les hôtels se construisent etc... La grande richesse du Vercors est , avant tout, le bois.

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Train de bois dans les Grands Goulets en direction de la papeterie de Lancey

Une économie florissante au début du XX° siècle. "L'exportation du bétail et de ses sous-produits (fromage, beurre) atteint des chiffres élevés (.); ce sont des millions qui entrent chaque année dans les 22 communes du Vercors. Or le bois rapporte plus encore. Les vigoureuses forêts de résineux et de hêtres gagnent sans cesse sur les anciens pâturages et cultures de montagne, bien qu'on les exploite avec entrain; hiver comme été défilent sur les voies d'accès, vers Sassenage, vers Pont-en-Royans, vers St Jean-en-Royans, les lourds camions qui défoncent les routes et prouvent leur utilité en les mettant à rude épreuve."
G. Jorré. (ouvrage cité)

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Voici un extrait de la Michelin 77

A bientôt sur ces routes
René POTY