Bernard Piguet

Rédigé par Enrico Alberini

cc 99 Bernard Piguet

Une figure du monde du vélo clermontois vient de nous quitter : Bernard Piguet s’est éteint le 14 février 2025 des suites d’une longue maladie à l’âge de 83 ans.


J’ai fait la connaissance de Bernard dès mon arrivée à Clermont-Ferrand en 1978, et je l’ai connu à la fois comme organisateur et comme participant de Clermont-Aurillac-Clermont. Je suis toujours resté admiratif devant l’aisance avec laquelle il passait, dans la même journée, de la tenue du cyclosportif à celle de président, avec autant de classe devant le micro que sur le vélo. A la mairie d’Aurillac comme à la maison des sports de Clermont, il nous faisait des discours construits, avec des mots simples mais porteurs de sens. Il les prononçait d’un ton égal, sans emphase, avec cet accent particulier et ce rythme un tantinet lent qui lui venaient de ses racines jurassiennes.
Comme cyclosportif Bernard se caractérisait par des capacités de rouleur, puissant et stylé, et par une endurance peu commune qui lui ont permis de se distinguer sur des épreuves de longue distance comme Paris-Brest-Paris, dont il fut le double lauréat. Mais il avait aussi des talents de grimpeur au-dessus de la moyenne, malgré son grand gabarit, il passait très bien la montagne, et il s’est illustré sur les grands raids tels que Lyon-Mont-Blanc-Lyon ou Lyon-Ventoux-Lyon. Il a franchi 887 cols différents. Plus les parcours étaient durs, plus les conditions météo étaient difficiles, meilleur il était. Son moral était d’un acier inoxydable.
Sur le plan humain, Bernard était un dirigeant et un organisateur hors pair. De 1974 à 2013 il a organisé 30 éditions du raid Clermont-Aurillac-Clermont, sans aucun doute la plus belle épreuve de vélo en Auvergne. Dans l’intervalle il a mis sur pied une douzaine de Saint-Etienne-puy de Dôme, et autant de Tour du Sancy. Il faudrait ajouter quelques éditions de Versailles-puydeDôme et un Paris-Bercy-puydeDôme auquel j’ai eu la chance de participer : grimper le puy de Dôme après 400 km de vélo d’une traite procure des sensations uniques et inoubliables: c’est à toi que je les dois Bernard.
Pour ce que tu étais, pour tout ce que tu as fait, je n’aurai que deux mots, Bernard : merci et respect.


Il était connu dans le Puy-de-Dôme, dans la région Auvergne et bien au-delà tant son aura était grande. Il l’était à la fois pour ses qualités intrinsèques de cycliste et pour son rôle de dirigeant et d’organisateur. Véritable athlète du vélo, il a brillé sur les épreuves de longue distance telles que Paris-Brest-Paris (double lauréat en 1979 et 1983), et la plupart des cyclosportives en terrain montagneux. En bon connaisseur de l’histoire du vélo, il a créé ou recréé des épreuves d’envergure qui ont porté loin l’image de l’Auvergne : Clermont-Aurillac-Clermont qui fut son chef-d’œuvre ou Paris-Clermont- puy de Dôme par exemple.
C’était un homme de caractère qui avait des convictions, des principes et une grande fidélité dans ses engagements. En véritable homme fort qu’il était, il ne roulait pas les mécaniques et savait se mettre à la portée de l’humble pédaleur que j’étais lorsque nous discutions après être descendus du vélo.
Arrivé dans la région clermontoise en 1967, il a d’abord adhéré à l’UC Montferrand, avant de créer en 1978 le CT Montferrand, club qu’il présidera pendant 39 ans. Il a porté haut les couleurs de son club qui étaient le jaune et le bleu de la cité montferrandaise : il n’aimait pas la publicité sur les maillots, son principe étant qu’on ne vend pas un maillot de club pour une bouchée de pain, ni même pour un plat de lentilles et que c’est le club et sa ville qui doivent être mis en avant. Mais ajoutait-il avec humour : « si j’ai roulé toute la journée sous la pluie et qu’on me présente un maillot sec, je le prends, fut-il un maillot publicitaire ! »Cela ne l’a pas empêché de nouer des partenariats pour ses organisations, et sur ce plan le CT Montferrand s’en sortait plutôt bien.
Il fut président de la Ligue Auvergne de cyclotourisme dans les années 70, avant de donner à son club une orientation plus tournée vers la pratique cyclosportive qui était sortie du champ d’activité de la FFCT après 1976. Mais il n’en restait pas moins un fidèle participant de la concentration de Pâques en Provence, où le CT Montferrand était toujours représenté, et il a fait à titre personnel 11 Flèches Vélocio (source AlainTardivat). Répondant positivement à l’invitation de Jean-Yves Cluzel, Bernard a participé à l’assemblée générale extraordinaire qui a vu la fusion des Ligues Auvergne et Rhône-Alpes à l’automne 2016.Fidélité vous disais-je !
En 1973, répondant à une sollicitation de Jean Perdoux, qu’il avait croisé sur les routes de Lyon-Cham et dans des réunions à la Fédération, Bernard a adhéré au Club des Cent Cols. Avec le numéro d’adhérent 99, il fut dans le top 100 des pionniers de cette confrérie montagnarde. Sans être un chasseur de cols invétéré, car il avait d’autres objectifs, il a gravi au fil de la route 887 cols différents : on peut lui faire une confiance absolue sur ce nombre, car c’était un homme méticuleux qui notait énormément de détails sur ses sorties, et qui avait une mémoire phénoménale des parcours effectués ou proposés dans ses organisations. En 1984, il a organisé avec le concours de son club, dont plusieurs membres ont eux aussi adhéré aux Cent Cols, la concentration nationale sur le plateau de Gergovie. En 2014, il s’est rendu au rassemblement du Passage des Vés en clôture du séjour de Bussang dans les Vosges. Il a aussi participé aux assemblées générales en Haute-Savoie marquant les 40ème et 50ème anniversaires du Club. Fidélité, encore.
Au plan des organisations, le CT Montferrand a proposé sous la présidence de Bernard Piguet des épreuves importantes qui structuraient le calendrier de la Ligue Auvergne. J’en citerai cinq: Clermont-Aurillac-Clermont, Saint-Etienne-puy de Dôme, le Tour du Sancy, Paris-Nevers-Clermont et le chrono de Billom.
La plus prestigieuse fut Clermont-Aurillac-Clermont : une telle randonnée avait existé dans les années 50, puis avait disparu. Bernard qui était un participant assidu des grands raids du CT Lyon (Lyon-Mont-Blanc-Lyon et Lyon-Ventoux-Lyon) conçut l’idée de faire renaître Clermont-Aurillac Clermont sur ce modèle où cohabitent randonneurs et cyclosportifs. Le parcours comportait deux étapes de 180 km minimum, avec plus de 3000 m de dénivelé. Il changeait chaque année, et hormis les villes de départ et d’arrivée, il y avait un seul point commun, l’incontournable pas de Peyrol, sur les flancs du puy Mary, que l’on franchissait tantôt le 1er jour avant d’arriver à Aurillac, tantôt le lendemain matin par la vallée de Mandailles. Toutes les voies d’accès au pas de Peyrol ont été visitées par Clermont-Aurillac.
La formule cyclosportive présentait une particularité : le départ était neutralisé sur une soixantaine de km jusqu’à un point de contrôle où les cyclosportifs pouvaient se ravitailler, se changer, faire leurs derniers réglages avant de laisser libre cours à leur énergie sur les 120 km restant. Les randonneurs, partis généralement une bonne heure avant les cyclosportifs, avaient eu le temps de passer ce 1er contrôle, de sorte qu’ils pouvaient assister en direct à la bataille entre cyclosportifs lorsqu’ils se faisaient rattraper. Et Bernard, à la fois organisateur et participant, n’était jamais bien loin des premiers ! Il faut avoir assisté au briefing des cyclosportifs par Bernard pour comprendre l’esprit de Clermont-Aurillac : « faites attention les gars, vous êtes sur des routes ouvertes, ne coupez pas les virages, il peut y avoir des gravillons, ne prenez pas de risques inutiles dans les descentes, vous allez doubler des randonneurs, respectez-les » telle était en gros la teneur de son propos. Sur 4 à 500 participants au total, les cyclosportifs étaient une petite centaine seulement, et la présence des randonneurs était une clef du succès de l’épreuve.
Il y eut 30 éditions du raid Clermont-Aurillac-Clermont entre 1974 et 2013 : il fut organisé chaque année pendant les 20 premières éditions, puis tous les deux ans au-delà. Depuis 2013, les randonneurs auvergnats sont nostalgiques de ce rendez-vous de la fin juin. Or en 2025 les cyclos du FR Blanzat proposent sous l’appellation « Cycl’Auvergne » un aller et retour Puy-de-Dôme Cantal entre le circuit de Charade et la station du Lioran. Le souvenir de Bernard planera sur les routes de ce nouveau rendez-vous montagneux.

Le raid Saint-Etienne-puy de Dôme fut une autre création de Bernard Piguet : il consistait à relier la préfecture de la Loire à celle du Puy-de-Dôme avec arrivée au sommet du volcan. La montée au puy de Dôme était alors une route à péage réservée aux voitures, et il fallait réserver l’usage de la route aux cyclistes une partie de l’après-midi pour cette organisation. Après être sorti de Saint-Etienne, le parcours traversait les monts du Forez, puis ceux du Livradois avant de gagner le pied du puy de Dôme. Et là il valait mieux en avoir gardé sous la pédale pour affronter les 4 km à 12% au bout de 200 km ! C’était aussi une formule mixte cyclosportifs/randonneurs. Un car était affrété à 3 h du matin à Montferrand pour se rendre au départ à Saint-Etienne. Mais de nombreux habitués préféraient faire le trajet à vélo la veille pour passer une bonne nuit sur place : Clermontois, Vichyssois et autres, se retrouvaient ainsi le samedi soir au centre-ville stéphanois dans une ambiance amicale.
Saint-Etienne-puy de Dôme était organisé les années impaires et alternait avec un Tour du Sancy les années paires. Ce Tour du Sancy partait de la maison des Sports de Clermont, ce qui était plus simple au niveau logistique, et se terminait aussi au sommet du puy de Dôme au bout d’un parcours costaud, proche des 200 km, à travers la chaîne des Puys et les cols classiques du massif du Sancy. Dans les années 2000 le département du Puy-de-Dôme entreprit un vaste chantier pour rétablir un train à crémaillère qui dessert le sommet du puy de Dôme. Du coup il ne reste qu’une voie de circulation qui est réservée aux véhicules de secours et à ceux qui exploitent les installations sommitales. Le Tour du Sancy fut donc privé de son arrivée au puy de Dôme pendant la phase des travaux et même après la mise en service du « Panoramique des Dômes », il y laissa un peu de son prestige. Sa dernière édition se fit en 2014.
Paris-Clermont (400 km) fut une course cycliste organisée de 1947 à 1953, ouverte aux professionnels et aux amateurs, certains régionaux de bon niveau s’y sont fait remarquer. Dans les années 80 Bernard Piguet eut l’idée de relancer ce défi à l’intention des cyclosportifs et des randonneurs, selon la formule qui marchait avec Clermont-Aurillac, avec cerise sur le gâteau une arrivée au sommet du puy de Dôme. Il lui fallait trouver un co-organisateur en région parisienne pour la logistique de départ de la randonnée. Ce fut d’abord un club de Versailles qui se proposa, et la randonnée prit naturellement le nom de Versailles-puy de Dôme. Puis cette collaboration cessa et en 1986 le raid partit de Paris-Bercy, avec étape à Nevers pour ceux qui le souhaitaient, ou un trajet continu de 400 km à allure contrôlée jusqu’à Ennezat où était homologué un brevet de 400 km Audax, et allure libre ensuite jusqu’au puy de Dôme. La lourdeur de ces départs différés, tant pour les organisateurs que pour les participants, eut raison de cette organisation qui ne perdura pas. Mais ceux qui l’ont vécu au moins une fois s’en souviennent avec émotion !

Le « chrono de Billom » : alors là, c’est un changement d’échelle, un circuit vallonné de 37 km autour de Billom, que chacun essayait de parcourir le plus vite possible, les plus rapides le faisant en moins d’une heure. Bernard Pigueta délégué cette organisation à Georges Wasselin d’abord puis à Denis Fournet. L’épreuve avait lieu en septembre, les cyclos ayant roulé tout l’été se trouvaient fort affûtés, et pouvaient comparer leur temps d’une année sur l’autre. On trouvait tous types de vélo au départ : du vélo de course léger et performant, au vélo de randonnée simplement délesté de ses sacoches, il y avait quelques tandems et même une triplette qui ne devait guère sortir du garage que pour le circuit de Billom et pour sa reconnaissance ! Le circuit était organisé le samedi sur l’ensemble de la journée et le succès était tel que les chronométreurs officiaient sans discontinuer du début de la matinée à la fin de l’après-midi. Le dimanche, il était proposé un chrono par équipes qui motivait beaucoup les clubs : dans les belles années il y eut plus de 1000 participants sur l’ensemble des deux chronos. Et puis l’évolution technique fit son apparition : prolongateurs de guidon, roues lenticulaires, cadres plongeants si bien que le chrono de Billom perdit son côté populaire pour devenir une affaire de spécialistes. Il changea d’ailleurs de lieu pour être organisé à Maringues puis à Chappes. Aujourd’hui le CT Montferrand ne le propose plus.

Il est des souvenirs qui ne s’effacent pas : Bernard, les zébrures jaunes sur fond bleu de ton maillot des CTM resteront comme « mes rayons de soleil », que chantait Louis Nucéra, à jamais indissociables de ton image.

Claude Bénistrand cc 284
Amicale Cyclo Clermontoise
Ex président de la Ligue Auvergne de Cyclotourisme et du Club des Cent Cols