PARIS-BREST-PARIS 2003 à tandem

 

Que dès janvier je reprenne l'entraînement en vue de refaire Paris-Brest-Paris ne surprit personne puisque j'avais dit enthousiaste voici quatre ans que je repartirai.

La surprise vint de Marie-Laure qui séduite ou intriguée par mes récits de l'édition précédente décida de se tester, pour voir, dans les brevets qualificatifs. Tout naturellement nous avons pris le tandem et affronté scolairement les rudesses de l'hiver en suivant autant que possible ma progression kilométrique de 1999. Une nouvelle fois avec les mêmes compagnons de route le premier brevet de 200 km eut lieu comme il se devait dans le froid. C'était cependant une distance éprouvée à tandem . L'incertitude pour Marie-Laure et notre équipage commença au soir du 200, chacun des brevets suivants constituant une nouvelle terra incognita. Et d'abord la nuit qui pour le néophyte est toujours une interrogation. Marie-Laure d'ordinaire couche-tôt supporta particulièrement bien les veilles nocturnes. L'effort sans doute aide à se tenir éveillé. Pour moi, pilote, inquiet d'un endormissement brutal de ma coéquipière ce fut un vrai soulagement et un encouragement.

Le 300 au départ si matinal nous conduit sur les routes du Perche chères à P.B.P. et si difficiles en début de saison et contre le vent. L'occasion nous y fut offerte de rencontrer Monsieur Rivet de l'Audax-Club-Parisien et de le remercier pour son dévouement solitaire lors d'un contrôle secret entre Mortagne et Longny. Qu'il sache que sa présence fut un réconfort et un encouragement. Nous le reverrons encore une fois, seul toujours, à une heure avancée de la nuit à Breteuil pendant le 400 au départ de Rouen. Nous étions partis cette fois là à 15 heures de la capitale Normande pour répondre à l'invitation de Daniel, habitué du lieu et compagnon de route quatre ans plus tôt. Thierry venu d'Allemagne, Bernard et Stéphane, à tandem également, étaient aussi de la fête. L'accueil et l'amitié firent oublier la pluie et le vent obtus qui nous accompagnèrent. D'ailleurs, les égards compatissants des cafetiers aux villes contrôles furent une compensation à ce temps de Neptune. Quoique je ne sache pas bien s'ils ne nous ont pas pris pour de doux dingues, nous avions décidé d'éviter de nous restaurer une nouvelle fois dans ce même café de Cormeilles, de nouveau trempés comme des carrelets, au petit matin du 600. Heureusement, malgré notre obstination, nous ne connurent pas seulement la pluie au cours de notre préparation. Nous avions choisis Pâques pour un voyage itinérant dans le Finistère (pen ar ben pour les linguistes) et les Côtes du Nord (d'Armor pour les susceptibilités modernes). De mémoire de breton, on avait pas vu si beau soleil à la pointe du Raz, ni à Concarneau, ni pendant la traversée de la rade de Brest, ni dans les rues de Morlaix. A partir de ce moment nos moindres sorties comptent 150 à 200 kilomètres. Fin mai, à Mours nous partions pas tout à fait les derniers et seuls pour 600 kilomètres très contrastés et encore une fois vallonnés. Après la traversée du Vexin la première journée caniculaire de l'année nous cueillait en Normandie. Heureusement, à Saint-Laurent-sur-Mer, un couple d'amis de Caen nous attendait avec leur camping-car, leur gentillesse et un bon repas. Une de ces rencontres vespérales qui marquent les cœurs et servit de soutient sous le déluge qui nous accompagna la nuit durant. Celui-là même qui fit la une du lendemain en inondant Deauville quand nous roulions à 10 kilomètres de là. Midi nous vit sortir de Louviers où on ne voulut pas nous servir à manger pour cause d'heure précoce et treize heures entrer dans Les Andelys où on nous servit lentement pour raison de dimanche ! Les côtes du Vexin au retour ne nous empêchèrent cependant pas de terminer notre brevet dans le temps très moyen de 38 heures.

 

Il fallait donc remettre le tandem sur la route. L'expérience du tour du Mont Blanc à tandem, voici quatre ans, me faisait considérer la montagne comme un passage obligé avant P.B.P.  Début juillet nous avons choisi deux lieux de séjours. A Serres tout d'abord nous affrontions les grosses chaleurs. Ce qui eut plus d'inconvénients sur le collage des rustines que sur les organismes. En effet, après avoir crever trois chambres à air et dilapider, sans succès, le stock de rustines et de dissolution, nous fûmes réduits au porte à porte et à la mendicité, pour trouver une chambre à air dans un village et rentrer au cœur de la nuit.  Nous choisissons ensuite Barcelonnette pour base d'un voyage itinérant sinueux par les cols d'Allos, Champs, Valberg, Couillole, Lombarde, Larche, Bonette, Moutière, Cayolle. L'occasion nous est offerte ici d'une digression sur l'interdiction par panneaux routiers aux tracteurs, piétons et cycles , mais pas aux cavaliers, d'une portion de route dans la descente du col de Larche en venant d'Italie après Meyronnes. Cette interdiction serait justifiée par des chutes de pierres induites depuis deux ans par des mouvements telluriques. Il va de soit que nous sommes passés, rebrousser chemin en soirée étant impossible à tandem à cet endroit sauf à dormir dehors dans les cols. Mais les pierres éviteraient-elles les automobiles et les motocyclistes ? Comme il n'existe pas d'autre route ni d'autre chemin, le préfet assure-t-il le transport automobile de tous les citoyens français, emprisonnés de fait dans ce bout de France, ou les encourage-t-il à demander la nationalité Italienne ? Il s'agit peut-être de sous-citoyens bénéficiant de restrictions de liberté de circulation ? Il paraît même que des malveillants déguisés en gendarmes auraient verbalisé voici quelques temps des cyclistes ; quand on vous dit que les forces de police ne savent plus où donner de la tête !  Mais je m'égare et il s'agit sans doute de cette forme de mépris raciste envers les cyclistes. Je me souviens d'un panneau à Meaux "interdit aux cyclistes et aux chiens" ! A une certaine époque vert-de-gris ce n'était pas les cyclistes. Heureusement les marmottes batifolaient joyeusement dans ce col de Larche et ne nous fâchèrent pas avec la montagne.

Début août laissa place aux vacances familiales. La canicule bientôt installée nous empêcha cependant de réaliser quelques grands kilométrages prévus à quinze jours de Paris-Brest.

On vit retomber la chaleur avec soulagement au voisinage du 15 août. Le jour férié se passa tout entier à nettoyer et réviser consciencieusement le tandem. Ce travail fastidieux sera de fait un bon investissement ; la mécanique ne rechignera jamais même fort malmenée dans les passages les plus pentus au cœur de la nuit entre Loudéac et Carhaix. Le dimanche 17 au matin nous retrouvons les six amis du club pour le contrôle officiel de nos machines. Sur le stade de  Guyancourt il règne une ambiance allègre où chacun rencontre tout le monde. Les uns et les autres racontent leurs péripéties d'entraînement, repèrent sur les listes de participants des noms amis, saluent les organisateurs, guident les nouveaux venus. Les vélos spéciaux font l'attraction. Cette année les vélos carénés attirent particulièrement l'attention.

Le lundi 18, il fait toujours jour quand à vingt heures Papa et Didier nous accompagnent à Guyancourt. Le départ des premiers est donné pendant que, par conséquence, nous sommes bloqués dans le tunnel d'accès au stade. C'est le métro aux heures de pointe, mais sans frénésie. Les cyclos attendent sans acrimonie. Au-dessus de nos têtes beaucoup d'agitation, des spectateurs nous saluent d'en haut à travers la grille de ventilation. Pour un peu ils nous jetteraient des cacahuètes ! Enfin sur le stade, le pointage des cartes est rapide, nous mangeons et le temps passe vite. Nous sommes déjà sur la ligne de départ en compagnie du tandem de Bernard et Stéphane et un peu plus loin d'une patinette. Nous allumons nos feux, roulons cent mètres à peine et nous nous arrêtons "secret contrôle" lance un tandemiste américain ! Le vrai départ est donné dans un concert de trompes. L'allure est vive mais les distances prudemment gardées surtout avec les vélos couchés qui zigzaguent entre les tandems et que les équipiers ne cessent de signaler aux pilotes. Peu de temps après Bernard et Stéphane filent à droite, seuls, mais avec raison; nous avions repéré le parcours hier, mais notre voiture ouvreuse en a décidé autrement et une fois de plus nous faisons du tourisme dans Elancourt qui n'en mérite pas tant.. "Ça fait partie du folklore" remarque quelqu'un. Libérés de la voiture nous abordons la côte de Montfort-Lamaury tellement vite qu'au retour nous serons surpris de la descente. Avec Bernard et Stéphane, nous formons bientôt un groupe de six tandems avec des canadiens et des américains, deux vélos carénés s'insèrent assez mal. L'allure est élevée. Après Senonches les premiers vélos partis un quart d'heure après nous, nous rattrapent. De temps en temps nous sommes derrière un tandem canadien où l'équipière bénéficie d'une curieuse suspension de selle et monte et descend devant mes yeux. Mais il me semble qu'il nous faut faire un peu trop d'efforts parfois pour rester avec le groupe et par prudence nous nous laissons distancer. A Longny nous ne sommes pas surpris par la montée de l'église, on range quelques affaires et des cyclos jurent après leurs dérailleurs. Nous touchons Mortagne assez vite et nous tentons de manger au contrôle facultatif. En fait nous y perdons du temps et nous sommes frigorifiés dans la descente en sortie de ville. A Fresnay-sur-Sarthe, nous nous déshabillons de nouveau. Un contrôleur s'inquiète de nous voir arrêté. Des groupes passent très vite, il leur prédit un prochain ralentissement. Il est sept heures et demie quand nous contrôlons à Villaine-la-Juelle, nous y trouvons une banquette dans le café à la sortie du village que nous délestons de ses derniers croissants. Il fait jour quand nous repartons et sur la route on commence à reconnaître des visages déjà vus. Voilà un des plaisirs et des mystères de P.B.P. où les compagnons de route ne sont jamais les mêmes mais toujours retrouvés. Nous roulons bien, sans fatigue, avec félicité. La campagne est riante et après le toboggan d'Hardange la route devient très propice aux tandems. D'ailleurs plusieurs cyclos en profitent et se cachent dans la roue. Un coup d'oeil à la forteresse de Lassay , un autre au site d'Ambrières-les-Vallées et nous voici à Goron où j'avais eu si chaud en 1999. La boulangerie existe toujours et je lui renouvelle ma clientèle. A midi nous arrivons à Fougères un peu ivres des kilomètres précédents, couverts à vive allure. Au contrôle nous rencontrons Alain Brouder, démotivé, qui abandonne. Il était parti à vingt heures en compagnie d'un ami touché au genou qui ne peut plus poursuivre, Gisèle, sa femme, assurait l'assistance auto pour ne pas s'être encore remise d'un accident qui la prive du P.B.P à tandem. Au self, il fait très chaud ; Marie-Laure doit soudain s'asseoir par terre pendant que je fais la queue. Après le repas, l'itinéraire inaugure un nouveau tracé, la route se fait buissonnière et le soleil l'y aide bien. De-ci de-là, des cyclos s'arrêtent et profitent d'un peu de quiétude. Nous reconnaissons un des couples américain à tandem de la nuit, il nous doublera souvent à fort vive allure, mais nous le retrouverons régulièrement jusqu'au retour à Mortagne. Le contrôle de Tinténiac nous aurait à peine vu passer s'il n'était agrémenté d'un rallye dans les barrières métalliques à l'entrée et à la sortie. Ensuite la côte de Becherel n'est qu'un épouvantail. Dans le village la boulangerie est fermée, sur la place de l'église les libraires sont une invitation à une autre passion mais l'heure n'est pas aux vieux papiers. Nous tournons et revenons au carrefour principal pour échouer avec quelques Allemands dans une supérette pas très achalandée puis nous engloutissons vivres et boissons sur un banc à l'ombre salvatrice. Nous venons exactement de faire ce qu'il ne faut pas faire dans P.B.P. laisser durer l'indécision, casser le rythme, tergiverser et perdre inutilement du temps. La route nous semble maintenant plus rugueuse avec un petit vent défavorable où le tandem ne trouve pas d'abri. Les vélos nous passent allègrement en montée et nous freinent dans les descentes, sur les parties roulantes nous redevenons poisson-pilote. En fait on accuse probablement la nuit blanche car quoique très en forme physiquement nous peinons un peu. Je commence à comparer mon état de tonicité avec celui de 1999 au même endroit avec un départ à cinq heures du matin. La place de Saint-Méen-le-Grand est très vivante et accueillante et sa boulangerie est ouverte. Nous en profitons pour refaire des provisions quand Thierry, l'ami d'enfance, parti un quart d'heure après nous, nous rejoint. Il nous a poursuivi pendant 400 kilomètres ! Les derniers kilomètres avant Loudéac sont l'occasion de retrouver un autre des couples de la nuit. Le contrôle de Loudéac est toujours la ruche que j'ai connu voici quatre ans mais il y a moins de bousculade. Daniel me confiera que quelques heures plus tard il était difficile de trouver une place pour coucher son vélo dans la cour. Pour le moment la queue au self m'alarme et attente pour attente nous préférons le confort d'un restaurant voisin où d'autres cyclos arrivent bientôt. Une heure plus tard le froid nous saisis et nous devons nous équiper pour la nuit à venir. Nous avons décidé, logiquement en fonction de notre heure de départ, de poursuivre au moins jusqu'à Carhaix avant de dormir. En effet un départ à cinq heures du matin permet d'atteindre Loudéac dans la nuit, partir à vingt-deux heures suppose de ne pas dormir à Loudéac sous peine d'avoir déjà consommer son délais supplémentaire de six heures. Je crains cependant que ce délais supplémentaire ne soit qu'un leurre car la fatigue de la première nuit blanche se paye aussi en temps. Nous sommes quasiment seuls sur la route. Devant l'hôtel de Grace-Uzel, repéré il y a quatre ans et désormais fermé, la municipalité a installé une estrade et une sonorisation en l'honneur du P.B.P. l'accueil est gentil mais bruyant, nous passons sous les applaudissements.  La route  sinueuse offre une succession de montées aux forts pourcentages, le tandem n'est pas dans son meilleur élément. La nuit est obscure. Heureusement je me souviens bien du parcours et j'ai révisé le tracé au dîner. Nous évitons ainsi quelques bévues aux carrefours, ce qui n'est pas toujours le cas des rares cyclos rencontrés. En face arrivent déjà les premiers partis. Tous les villages font la fête et nous acclament. Nous nous attardons un peu plus que de raison à faire la causette avec un organisateur au contrôle secret de Saint-Martin et le redémarrage est difficile. On roule assez longtemps avec un autre tandem mixte français et leur compagnon qui semble à la peine. Parmi ceux qui nous croisent, l'un d'eux crie avec un fort accent "plus vite, plus vite" ; nous nous demandons si nous nous traînons tant que ça ou s'il pense que tout le monde fait la course ? A Corlay nous entrevoyons la forteresse illuminée, puis la route nous semble interminable. Une partie de la chaussée est en réfection et la nouvelle couche de bitume, très épaisse, est moins large que l'ancienne et s'arrête abruptement, sans ligne blanche de délimitation. Je me méfie beaucoup de cette ornière. A l'entrée de Plounevez-Quintin je ressens un appel du sommeil, je décide de me reposer sur un banc de pierre donnant sur une place au flanc aveugle d'un café resté ouvert où des cyclos consomment. Nous assistons alors à la scène étrange où un participant tenant son vélo à la main, sortant peut-être du café et nous tournant le dos, est rejoint par une voiture monospace qui se range tout au fond de la vaste place, bien à l'obscurité, derrière un camion. Le cycliste monte son vélo par la porte arrière puis tout le monde disparaît, sans s'être aperçu de notre présence. Etait-ce vraiment un abandon ? Nous sommes assez vite repartis sur une route plutôt plate mais au revêtement parfois incertain jusqu'à Mael-Carhaix où nous nous arrêtons quelques minutes dans un arrêt-bus sans savoir qu'un autre couple de tandémistes américains de la nuit précédente se repose à dix mètres de nous dans le sas d'une banque.  En arrivant sur Carhaix je me pense égaré, mais le lieu du contrôle a changé. Il n'y a pas beaucoup de place pour poser un tandem, des barrières ont bien été dressées mais en contre-bas d'une trop haute marche. Nous faisons viser nos cartes et nous cherchons les dortoirs de l'autre côté du stade en bas d'une grande volée de marches. Un cyclo fait l'acrobate au travers des buissons pour descendre avec son vélo. Le gymnase est complet et nous faisons la queue pour avoir un lit. Il sera bientôt trois heures et beaucoup doivent se lever. Nous attendons en compagnie des tandémistes de Loudéac quand la sirène d'alarme se déclenche. Les hôtesses nous conduisent à nos lits de camp. La sirène doit s'être tue car je m'endors immédiatement pour me réveiller quatre heures plus tard spontanément. Le dortoir est presque désert, Marie-Laure sur le lit voisin est tout aussi réveillée et en forme; soudain elle éclate de rire. Thierry se réveille à deux lits de là, il voulait dormir à Carhaix, où nous l'avions laissé mais avait finalement changé d'avis. Les douches sont froides, nous déjeunons et repartons sans plus perdre de temps. Marie-Laure et Thierry font part de la difficulté à bien gérer le temps des arrêts. La route sinueuse qui mène à Huelgoat est toujours aussi agréable, bordée de forêts, de rivières et de rochers. Quel dommage pour le retour que pour ne pas tourner à gauche sur une route à grande circulation, "on" préfère nous voir poursuivre sur celle-ci plutôt que de reprendre le même chemin. Huelgoat se caractérise par l'indifférence citadine à l'égard de P.B.P. et par son superbe lac qu'un cyclo photographie. Nous sommes au pied de Roc-Trévezel quand le tandem canadien nous salue, je ne sais plus où hier, ils avaient refusé nos services quand ils s'affairaient sur la selle suspendue de la coéquipière. 

Dans la descente vers Brest nous croisons beaucoup de monde. Nous avons retrouvé toute notre forme et le moral est très élevé. Je préfère de beaucoup le nouvel itinéraire qui croise plus longtemps celui du retour et semble mener plus vite à Brest. Trop vite d'ailleurs, nous avons oublié de tourner ! Sur le pont Albert-Louppe qui clos la rade, la même émotion m'étreint et je la partage avec Marie-Laure qui prend des photos en roulant. Au fond nous apercevons le port de commerce que nous avons fréquenté en avril dernier, bassin numéro un, ligne du Fret. Pour moi l'instant le plus poignant de cette randonnée n'est pas l'arrivée à Paris mais le virage à Brest. A Brest, quand on a du temps devant soit, on rentre, on a réussi. Une autre surprise, une autre émotion nous attend cependant au contrôle ; Philippe, le troisième compagnon de toujours, modérateur du site du Club des Cent Cols est venu depuis Vannes nous accueillir. Il a suivi notre progression sur internet et en a déduit notre arrivée à Brest à midi. Il se méprend pourtant sur le rire mouillé de Marie-Laure qui lui avoue non pas de la fatigue mais combien nous sommes touchés de sa présence. Nous entrons contrôler au milieu d'une joyeuse bousculade pour rencontrer Daniel qui repart sans avoir encore dormi depuis Paris mais en étant parti sept heures après nous. Il est en pleine forme et très content de son parcours. Un peu plus tard, Thierry est évidemment très déçu du départ de Philippe quand il nous retrouve attablés. Il tente de lui téléphoné, mais celui-ci revenu sur ses pas répond à sa sonnerie de vive voix. Nous avons proprement dévorés nos plateaux et nous quittons Brest laborieusement à cause de la circulation automobile. Le soleil nous accompagne et les soixante-dix kilomètres par heure sont dépassés dans la descente sur Landerneau. Hélas nous n'évitons pas un nid de poule à l'entrée de la ville et nous crevons à l'arrière. Revoilà Sizun et son bel enclos, nous croisons toujours des cyclos en route vers Brest, nous rencontrerons les derniers dans la descente, au pied du Roc-Trévezel, très probablement en délicatesse avec les délais. De ce côté la crête est déchiquetée et rappelle les quatre-fils-d'Aymon de la vallée de la Meuse. Au point culminant à notre grand étonnement nous doublons l'homme sur sa patinette ! La route jusqu'à Carhaix, très fréquentée par les camions, est l'une des moins agréable du parcours. Thierry sur nos talons, nous avons ravitaillé en ville et nous nous offrons un peu de repos sous les arbres du contrôle aperçus la nuit précédente. En dehors du stade, s'étire la longue cohorte en stationnement des voitures d'assistance des cyclos. La température est fraîche et je suis confiant dans nos capacités à rallier Loudéac avant la nuit. Bis repetita placent mais pas toujours, le tronçon accidenté Carhaix-Loudéac se négocie mieux de jour. Les villages défilent et la route est plaisante et sinue entre les haies qui ont échappé ici de justesse au remembrement breton. Nous remarquons avec tendresse la petite fontaine de Saint-Lubin, moussue et verdoyante, découverte pendant notre voyage itinérant en avril. Nous avançons d'un bon rythme avec un petit groupe de cyclos de rencontre dont un fort contingent italien et un enfant de la campagne qui mérite bien les quelques kilomètres passés en notre compagnie. La route nous paraît plus facile que la nuit dernière et nous profitons bientôt pleinement des vues dégagées entre Corlay et Loudéac. La descente de Merleac nous impressionne particulièrement et nous sommes surpris de l'avoir si bien passée à l'aller  ; le séjour dans les Alpes a porté ses fruits. Grace-Uzel nous réserve le même accueil triomphal et nous atteignons Loudéac au crépuscule. Cette fois le self est rapide. A la table voisine un des couples américains à tandem nous reconnaît. En dépit de la chaleur, elle a gardé son casque, sa vache à eau sur le dos, son blouson et son baudrier.  Elle dévore le contenu de son assiette à belles dents, tandis que son compagnon à moitié dévêtu la regarde manger. Comme la nuit passée nous décidons de rouler d'abord et de dormir ensuite. Une fois encore nous sommes quasiment seuls sur la route, puis au contrôle secret d'Illifaut. Aux toilettes, stupeur de mon vis-à-vis qui se voit retirer ses gants sans bouger. L' hilarité gagne de part et d'autre. Les lavabos des deux vestiaires se font face et sont séparés des glaces qui sont au-dessus par un espace libre. On ne voit donc ni le bas ni le haut de la personne qui vous fait face dans la pièce attenante, seulement ses mains ! Après un petit discours avec des contrôleurs qui s'ennuient nous retrouvons l'obscurité et le froid et par endroit des zones humides. Le pylône éclairé de Bécherel nous attire mais la montée est interminable, la route semble se diriger tantôt à droite, tantôt à gauche mais se refuse à l'approcher. Il y a beaucoup de vélos sur les barrières au contrôle de Tinténiac ; les cyclos dorment. Un tandem repart et nous prenons sa place. Le préposé à la répartition des lits semble bien fatigué et assez perdu, pendant ce temps, j'ai repéré le tandem de Stéphane et Bernard qui doivent se reposer. Je leur laisse un petit mot sur notre situation; il est trois heures trente. Marie-Laure ferme bien vite les yeux, pendant que je succède à un autre cyclo, sous la douche tout à fait froide. Je dors peu mais Marie-Laure s'est octroyée quatre heures ce qui est probablement trop ; dans le doute sur son état je l'attends et je la laisse dormir. Au matin nous retrouvons Thierry et nous grignotons nos réserves prévoyant de déjeuner un peu plus loin. Le relief est facile, la campagne s'éveille, de petits bancs de brume flottent sur les prairies. A Feing deux tandémistes américains s'installent à la terrasse du café sous le soleil et invitent "les amis de la première nuit". Avec le pilote nous déménageons un peu l'établissement qui s'éveille pendant que Thierry et nos équipières pillent la boulangerie voisine. Nous faisons plus ample connaissance avec Georges, parfaitement francophone et Cindy de Seattle. La mère de George était bretonne et il explique sa présence sur P.B.P. par son enthousiasme pour l'environnement français, la quiétude des paysages et des routes, la richesse des villages. En leur compagnie les minutes passent et nous ne regrettons rien. Ils avaient remarqué au départ les macarons C.T.Parisiens .de nos deux tandems et ils sont surpris d'apprendre qu'avec deux tandems engagés et trois solos, (qui tous arriveront), notre club ne compte pas plus de vingt-quatre membres. Thierry laisse repartir les deux tandems de compagnie. Les kilomètres avant Fougères passent ainsi très vite, nous trouvons le crapahutage par Mézières et Vendel moins raboteux qu'à l'aller.

 

Je ne sais plus comment nous sommes arrivés seuls à Fougères où un contrôleur a salué notre fraîcheur et l'enthousiasme de Marie-Laure. Effectivement nous avons le rythme et s'il n'était l'heure de midi nous aurions bien passé Goron sans un regard, sans un regret non plus pour tous ces cyclos qui n'accrochent pas la roue depuis Fougères. A la boulangerie une jeune américaine s'inquiète de manger autant, je la rassure, l'obésité ne nous guète pas. Comme lors de la précédente édition mon appétit va croissant, cependant cet arrêt supplémentaire entre deux contrôles n'est pas un exemple de bonne gestion du temps et de l'allure. En traversant Lassay et Charchigné sous le soleil nous reconnaissons bien des visages aux terrasses des cafés et restaurants qui font le plein. Maintenant nous sommes bien seuls sur la route, des cyclos digèrent à l'ombre, un autre assis au bord de la route se fait filmer par des journalistes. La côte de Ribay nous ramène à plus de modestie. Nous atteignons Villaine dans une ambiance de kermesse. Le tandem est fêté et sa place est réservée par les organisateurs tout près du contrôle. Notre arrêt restauration de Goron ayant été insuffisant nous nous votons un plantureux repas au self, aménagé dans le gymnase de la ville et décoré des dessins des écoliers. Ce faisant le temps passe et cette mauvaise gestion des arrêts compromet notre arrivée en milieu de nuit à Paris, comme s'en inquiète justement un voisin de table, parisien et  novice sur P.B.P. Nous quittons Villaine en pleine chaleur. Heureusement je n'ai pas oublié les fontaines de Sougé puis de l'église de Saint-Rémy du Val ; je pèlerine. Hélas, que la route est longue et monotone de Fresnay à Mamers ! Nous collons à la route et d'autres aussi. De nombreux cyclos dorment allongés sur l'herbe du bas côté, la tête parfois bien près du bitume, trop fatigués sans doute pour aller plus loin. Le tronçon Mamers-Mortagne nous voit en meilleure forme, nous traversons les villages pavoisés et nous touchons Mortagne ragaillardis. A table Bernard, Stéphane et leurs accompagnateurs ont décidé de dormir. Stéphane souffre du genou et Bernard est très critique sur notre envie de poursuivre et d'entamer une nouvelle nuit. Marie-Laure emporte notre décision. Nous sommes en forme fait-elle valoir et nous pouvons faire l'effort de finir ce P.B.P. maintenant. Jean-Paul que nous retrouvons aussi est du même avis et part. Daniel que nous avons manqué est devant. Nous nous habillons chaudement, une auvergnate remarque que comme dans son Cantal, il fait chaud le jour et très froid la nuit. Après la canicule de début août nous en sommes fort étonnés. Notre bagage si bien ordonné au départ n'est plus qu'un fatras réparti à la diable dans les deux sacoches, trouver le moindre foulard prend du temps. A l'heure du crépuscule, les cyclos ne sont pas très nombreux sur la route du Perche qui en effraie beaucoup. Pourtant ce relief franc nous convient bien. En sous-bois l'obscurité s'installe. Un groupe de jeunes cyclos très légèrement équipés mais très en verve balaye la route par ailleurs déserte de toute circulation automobile. Nous ne restons pas avec eux, la cohabitation dans cette succession de montées et de descentes étant techniquement difficile. Le froid est tombé, après Neuilly la route est plate et le tandem file. Soudain je crie "à gauche" et je continue tout droit pour ne pas risquer de heurter un de ceux qui s'abritent derrière ou sur les cotés du tandem. Devant nous plusieurs font demi-tour. Dans la forêt de Châteauneuf, la petite route à gauche me laissait un vague souvenir, heureusement car la flèche en haut du talus à gauche est invisible. Un peu plus loin un groupe  répare une avarie au beau milieu de la chaussée. Plus loin encore une voiture en face s'immobilise, elle ne doit pas comprendre qui nous sommes dans cette obscurité, à moins qu'il ne s'agisse d'une voiture officielle ? Puis nous perdons le sens de l'orientation, aucune lumière ni devant, ni derrière, je redoute d'être égaré et je consulte la carte depuis de longues minutes quand un cyclo passe. Dans un hameau des cyclos bivouaquent, ailleurs d'un fossé émerge une sorte de spectre dans sa couverture de survie puis redisparaît dans son trou. Nous sommes attirés comme des insectes par les lumières de Nogent-le-Roi. Malgré notre désir de ne pas s'attarder Marie-Laure est soudain ensommeillée puis affamée. Je parle longtemps avec les motards de l'assistance. Beaucoup de cyclos dorment sur les gradins ou dans le gymnase. Une heure passe ainsi mais désormais la fin est proche. Un hollandais en difficulté avec son éclairage restera presque jusqu'au bout à nos côtés. A Gambais, au téléphone, je sors Papa du lit: "nous arrivons" ! Les petites côtes de Gambais, Montfort et Bazoches ralentissent l'allure. Nous sommes maintenant en ville. A Ergal, tout près de l'arrivée, notre compagnon sur la gauche, je ne peux pas éviter une plaque d'égout et nous crevons à l'avant. Sacoches retirées nous réparons sous les exclamations répétées des cyclos qui passent. Ce P.B.P. traîne en longueur, dans Trappes, comme signalé à Nogent, les flèches ont été retirées par malveillance et remplacées par des marques au sol, mais les avenues sont larges et la circulation qui s'éveille doit parfois nous les masquer. A un carrefour un groupe de cyclos nous coupe la route quand deux autres viennent en sens inverse ! Nous nous sommes perdus, quelle plaie que cette ville nouvelle la nuit ! Un cyclo affirme reconnaître un immeuble absolument jumeau des autres, une fois encore, après cette superbe randonnée, j'arriverai en  pestant. Sur le rond-point d'arrivée nous montons le pan incliné sous les applaudissements des cinq ou six personnes présentes dont Papa et Guillaume, notre fils, âgé de treize ans qui bravement a tenu à venir nous accueillir. Nous disparaissons tout de suite dans les broussailles pour entrer par la petite porte dans le gymnase. A cette heure nous sommes bien seuls ; "merci" Monsieur Baumann pour ce dernier pointage, il est six heures du matin.

Nonobstant l'arrivée, Paris-Brest-Paris, c'est beau, surtout à Brest et c'est grand, surtout en couple et à tandem. Nous reviendrons sur Paris-Brest-Paris.

 

Gilles Bodin, N°3091

les CycloTouristes Parisiens