TEMPÊTE  DANS  LES  VOSGES

 

 

Le petit groupe mené par le tandem grimpait aisément le col du Ménil. C’était d’une belle journée de mai et le vert des forêts vosgiennes se découpait sur un ciel azuréen. Les cinq cyclos basculèrent sur l’autre versant et rejoignirent la vallée de la Moselotte, laissant sur la droite la route qui menait au col d’Oderen. Ils remontèrent ainsi vers La Bresse en empruntant la rive droite de la rivière afin d’échapper au trafic de la route principale. Ici et là quelques usines gardaient la trace d’une industrie textile aujourd’hui en majeure partie disparue. Ils atteignirent La Bresse et s’engagèrent alors dans la riante Vallée du Chajoux. Ici commençait le domaine des fromageries ou « marcaireries » spécialisées dans la fabrication du Munster. Profitant de la pente qui augmentait au fil de notre avancée, je distançais le groupe, afin d’aller chercher un petit muletier. En cours de route je croisais Gilles et ses enfants qui arrivaient du col de Feignes. Quittant le bitume, je contournais un petit lac aux eaux tranquilles et atteignais le Collet de la Mine. Revenant sur mes traces, je recroisais Gilles qui s’en allait quérir à son tour le même passage. Dans les minutes qui suivirent nous rejoignîmes l’ensemble du groupe qui nous attendait au col de Basse Combe. Laissant le col de Feignes aux randonneurs pédestres, nous nous engagions dans la descente vers le lac de Retournemer et ses eaux d’un bleu profond blotti dans un écrin de verdure. Passant entre deux escarpements rocheux, nous suivions le cours de la Vologne, pour récupérer la rive gauche du lac de Longemer. Il est l’heure de pique-niquer et de grandes tables nous tendent les bras. Entre temps, le ciel s’est assombrit du côté de la route des Crêtes et le tonnerre gronde du côté de la Schlucht. Mais cela ne vient pas troubler notre repas.

Le pique-nique rangé, nous repartons vers Gérardmer, via une bonne piste cyclable. Il y a grande animation dans la rue principale et c’est au tour d’un café, que certains de nous pointent leur BCN/BPF, tout cela agrémenté d’un air de valse de Strauss distillé par un magnifique carrousel. Mais désormais le temps s’est vraiment gâté. Les enfants avaient repris la voiture avec leur mère et le groupe des cinq entama le versant pentu du col de Sapois. Alors que le tandem est en délicatesse avec son dérailleur dans un virage plus raide, les premières gouttes de pluie nous touchent. Il faut se résigner à sortir nos capes. Mais cela n’est que de courte durée. Arrivés au col, nous les rangeons bien vite. Nous allons alors nous séparer, le tandem et Bernard vont redescendre dans la vallée de la Moselle, Gilles et moi abandonnons le bitume pour nous enfoncer dans la forêt, afin de rejoindre le col du Haut de la Côte par une bonne piste fleurant bon les aiguilles de pins encore toutes humides de la récente averse. Passé le col, celui de Grosse Pierre n’est qu’une autre formalité. Cependant face à nous de lourds nuages noirs font craindre le pire. Il tonne toujours sur le Honneck et le vent souffle vers nous. Nous bifurquons à droite, croisant ici et là quelques VTT, nous atteignons bien vite le col de la Brayotte. Quittant la route, nous suivons un bon R1 qui ne nous cause aucune difficulté.  Tout serait parfais si un groupe de moto trial ne venait nous pétarader dans les oreilles. Tout en suivant le marquage d’un GR, nous devons tourner à droite pour rejoindre le col de la Basse des Feignes. Alors que le tonnerre se rapproche, nous franchissons les premiers troncs d’arbres qui jonchent la piste. Nous arrivons sur l’autre versant de la crête, décidant d’un commun accord que le col, pourtant non panneauté, est ici. Le GR qui fait une boucle à gauche ne nous incite guère à descendre par-là avec nos randonneuses. Retournant sur nos pas et après un nouveau franchissement des troncs abattus nous rattrapons la piste première. Nous croisons une « joggeuse » qui nous indique qu’en réalité nous allons regagner le GR un plus loin. Chose faite, nous nous retrouvons au vrai col de la Basse de Feignes, qui lui est bien panneauté. De nouveau il tombe des cordes et nous décidons de gagner le bitume un peu plus bas, afin d’accéder au col de la Croix des Moinats. Désormais l’orage gronde sur notre droite. Mais la pluie a de nouveaux cesser. Le col atteint, nous pénétrons dans la forêt par un petit sentier qui doit nous mener jusqu’au col de Lansau puis à celui de Lauwy. Au premier col, un bon nombre d’arbres a été mis à terre. Le sentier se poursuit le long du versant est et au détour d’un virage, nous découvrons un spectacle désolant. Que dire, il n’y aurait pas besoin de panneau, ni de point côté sur une carte ou sur un guide, pour savoir que le col est bien devant nos yeux. La tempête de décembre dernier a fait sa trace, s’engouffrant dans le passage que la nature lui avait fait, elle a tout dévasté. Sur une centaine de mètres des troncs sont couchés les uns sur les autres. Le chemin redessiné certainement par des pédestres, zigzague entre les souches déracinées. Les trous béants creusés dans la terre font état de la puissance d’Eole. Tantôt poussant, tantôt portant, nous arrivons à retrouver la route qui monte du versant ouest. C’est muni de nos capes que nous quittons ce lieu dévasté. Nous nous dirigeons désormais vers le col des Hayes. La pente est raide pour aboutir sur la crête. De nouveau nous récupérons une bonne piste qui grimpant dans la prairie, nous ramène dans un autre bois qui nous abrite, alors que de nouveau, la pluie redouble d’intensité. Nous en profitons pour faire une pause ravitaillement. Le soleil enfin réapparut, nous continuons notre circuit dans cette forêt, qui semble moins touchée vu son exposition. La piste toujours aussi roulante nous fait rejoindre par deux grands virages, le bitume que nous n’allons plus quitter pour un certain temps. Nous allons cueillir le col de la Burotte par un aller retour. Puis franchissant le col de Tayeux nous retrouvons le fond de vallée, afin de revenir sur le col du Ménil. Physiquement, je commence à être très éprouvé. Alors qu’il ne nous reste plus qu’à se laisser descendre jusqu’au gîte du Ménil, Gilles me dit que l’on a le temps d’en faire un dernier. Nous prenons à gauche la route qui monte à flanc de colline. Mais là je n’en peux plus. Le rythme est aux abonnés absents, les cuisses douloureuses et la pente, mon Dieu, la pente. Elle doit bien friser les 10, 12% et cela en fin d’itinéraire, ça ne pardonne pas. Gilles est déjà loin devant. Je n’ai vraiment plus de force. J’ai bien dû m’arrêter 3 ou 4 fois dans cette satanée grimpée. Au bout du compte j’aurais mis ¾ d’heure pour faire 3,5 kilomètres. Je le rejoins alors qu’il discute avec un autochtone. On peut redescendre sur l’autre versant, malgré  300 mètres non goudronnés.  Arc-bouté sur mes freins, je me laisse aller sur une pente qui vaut aussi son pesant d’or. Vingt heures sonnent au clocher de l’église quand nous arrivons au gîte après une centaine de kilomètres et 17 cols franchis. Au fait ce dernier col méconnu comme beaucoup d’autres c’est : la Passe de Sècheneux (918m).

 

Didier REMOND, N°1202
Les Cyclotouristes Parisiens