Discours du président Claude Bénistrand le 15 août 2004 au col de l'Échelle
Bonjour et bienvenue à tous ! Buon giorno, benvenuto a tutti, e complimenti per la vittoria di Bettini ! Guten Tag und seien Sie alle willkommen ! Goedendag en welkom aan onze Vlaamse en Nederlandse vrienden !
Je vais continuer à m’exprimer en français, avant de passer la parole à Luigi Spina qui s’adressera en italien aux Cento Colli. Je dois remercier notre Délégué national pour l’Italie, Gianni Solenni, il nous a fait le plaisir de venir en début de matinée, malgré ses obligations professionnelles qui ne lui ont pas permis de rester, un gros travail l’attend en ce 15 août, sommet de la saison touristique.
Nous sommes très heureux de vous voir aussi nombreux, c’est la première fois que la concentration annuelle se tient sur un col franco-italien, et la participation n’a jamais été aussi forte ! merci à tous d’avoir répondu à notre appel et à ce rendez-vous de l’amitié entre Cent Cols ! Merci et félicitations : vous connaissez le proverbe qui dit que c’est au pied du mur qu’on voit le maçon, eh bien grâce à vous, la Confrérie est aujourd’hui en haut de l’Échelle !
Ce col de l’Échelle présente plusieurs particularités, physiques, géographiques et historiques sur lesquelles je vais vous dire quelques mots.
C’est tout d’abord le col le plus bas sur les 250 km de frontière depuis le col du Petit St-Bernard jusqu’au col de Tende. Cette remarque amène à se demander pourquoi il n’a pas été davantage fréquenté, alors que de César à Napoléon les passages préférentiels ont été les cols du Montgenèvre et du Montcenis pourtant plus élevés. La réponse tient au profil de col, qui constitue une sorte d’accident géologique : la pente naturelle du terrain côté piémontais est de l’ordre de 90%, ce qui en fait un passage particulièrement difficile, dont le franchissement tenait presque de l’escalade, d’où le nom de col de l’Échelle (Passo della Scala). Sur les profils Dollin, vous remarquerez que la pente de la route au-dessus du Pian de Colle était encore en 1903 comprise entre 25 et 30% ce qui restait peu adapté pour les voyageurs. Le tracé de la route actuelle, avec ses lacets spectaculaires qui ramènent la pente dans une norme raisonnable ne date que de 1964, elle n’est goudronnée côté italien que depuis 3 ou 4 ans, nombreux sont les Cent Cols à avoir franchi ce versant sur la route en terre battue.
Du point de vue hydrologique, ce col occupe une position remarquable : il sépare en effet le ruisseau de la Vallée Etroite, qui se jette dans la Dora Riparia, elle même affluent du Pô d’une part, et la très belle vallée de la Clarée, qui rejoint la Durance en amont de Briançon, laquelle traverse la Provence jusqu’à la vallée du Rhône. Nous sommes donc sur la ligne de partage des eaux Adriatique Méditerranée, une notion à laquelle les membres de la Confrérie accordent souvent une attention particulière.
Pour autant cette limite naturelle n’a pas toujours été le passage de la frontière entre États, elle ne l’est d’ailleurs plus aujourd’hui, où la borne frontière est au Pian de Colle. Nous sommes ici sur la commune de Névache, qui faisait partie de l’Escarton de Briançon. L’histoire des Escartons mérite qu’on s’y attarde, c’est un terme qui équivaut peu ou prou au canton, dans le sens fort du mot tel que l’emploient nos voisins helvétiques. Il correspondait à une forme d’organisation particulière des communes de ces vallées de montagne, qui avaient pour habitude de mettre en commun des hommes et des moyens pour réaliser des tâches vitales telles que la construction de digues et de ponts, l’entretien des voies pour l’exploitation de la forêt, etc. Au nombre de 5, les Escartons de Briançon, du Queyras, d’Oulx, de Valcluson et de Château Dauphin faisaient partie des États du Dauphiné. Le commerce d’un Escarton à l’autre était très actif, marchandise et animaux circulant à travers les 21 cols recensés sur leurs territoires. En 1343 les Escartons ont racheté leur liberté au Dauphin, et obtenu la signature d’une Charte qui garantissait à leurs habitants la qualité de « Francs-bourgeois » : les privilèges féodaux ont disparu, les Escartons pouvaient lever leurs impôts, rendre leur justice et organiser leur enseignement, ils ont même atteint un degré élevé d’instruction que les paysans du royaume de France pouvaient leur envier. Il n’y avait guère que la défense qui restait l’apanage du Dauphin, puis du Roi de France. La Confédération des Escartons a vécu et prospéré ainsi pendant plus de quatre siècles On aurait pu imaginer que ce régime se maintienne jusqu’à nous, à l’image de la Confédération Helvétique ou de la Principauté d’Andorre par exemple. Deux évènements vont précipiter sa chute : le traité d’Utrecht d’abord en 1713 par lequel Louis XIV cède les Escartons d’Oulx, de Valcluson et de Château Dauphin au Duc de Savoie, et puis la révolution française de 1789 qui ne laissera d’autre choix aux Escartons de Briançon et du Queyras que celui d’intégrer le département des Hautes Alpes et de se rattacher à la préfecture de Gap.
D’autres évènements historiques marqueront encore ce territoire : les divers épisodes napoléoniens, l’unification de l’Italie en 1860, les 2 guerres mondiales, et en dernier lieu le traité de Paris en 1947, par lequel l’Italie céda au titre des dommages de guerre la Vallée Étroite et le Mont Chaberton, fixant ainsi le tracé de la frontière tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Au delà de l’histoire officielle, je voudrais vous parler de l’histoire d’une famille particulière originaire de Mélézet : la famille Roude, qui illustre ce qu’a pu être la vie dans ce pays de montagne. Mélézet est cette bourgade proche de Bardonnèche qui est connue pour avoir donné de nombreux artistes : peintres, tailleurs, sculpteurs, au point qu’on parle de « l’École de Mélézet » Il y eut des Roude parmi ces artistes, et ce nom apparaît encore sur des sculptures des églises de Bardonnèche. Les familles étaient à l’époque fort nombreuses : 10 enfants, voire 20 enfants. Il était difficile de nourrir toutes ces bouches, et certains devaient s’expatrier : une partie de la famille est allée chercher fortune en Argentine, et leurs descendants ont établi une correspondance avec leurs lointains cousins. D’autres allaient louer leur force de travail l’été à la saison des foins : passant par le col de la Vallée Étroite ou le col des Rochilles pour rejoindre la Maurienne ils allaient faner en Savoie, et faisaient le chemin inverse avant l’hiver. L’un d’entre eux s’est établi dans un petit village de Haute-Savoie, où il a fondé une famille : il se trouve que son arrière petite fille est aujourd’hui aux Cent Cols. Je vais demander à Nicole Roude de me rejoindre.
Nicole (Poty), tu me pardonneras de révéler ton nom de jeune fille, en hommage au travail que tu réalises et au dévouement merveilleux dont tu fais preuve à l’égard de notre Confrérie, je te remets au nom de tous ce souvenir, il s’agit d’une petite sculpture en bois peinte, typique de la vallée de Bardonnechia, qui répond au nom de « Salva Casa », et qui est censée éloigner les mauvais génies de ta maison, quand tu la suspendras au-dessus de ta porte. Merci encore à toi Nicole et je donne maintenant la parole à Luigi Spina.
Claude Bénistrand au col Perdu
Luigi Spina et Claude Bénistrand au col des Ayes