Revue N°3 page 52

DE QUELQUES MULETIERS ...

par Marcel BIOUD, de CLAIX (38)

 


    "L'incertitude du gîte est un des charmes de la cyclo-muletade", m'avait affirmé mon compagnon. Alors, cette nuit d'Août, à 2300 mètres, ne manquait pas de charme... Il faisait bon. Les lumières de Modane, d'Avrieux, d'Aussois, laissaient croire à une ville énorme. Des bergers parlant un italien très local n'avaient pas voulu nous offrir le gîte, et une série de malentendus nous avait fait errer un bon moment sur les chemins de l'Erella. Une lueur était enfin apparue, qui éclairait une tablée de Lyonnais rigolards. Non, ici, ce n'était pas un refuge ! Bons diables, ils nous prêtèrent une couverture, une lampe, et nous arrivâmes à dormir un peu, à même les planches d'une cabane. Nous venions de Pralognan par le col d'Aussois. Passage un peu laborieux de part et d'autre du sommet, mais offrant à notre admiration les beaux lacs de Plan d'amont et Plan d'aval.

    Le lendemain matin, nous étions au col de Sollières, large passage herbeux peu spectaculaire, qui vaut surtout par la jolie montée en forêt partant de Termignon. On piqua droit sur le col du Petit Mont-Cenis, et du Planey aux bergeries d'Etache, le vélo justifia un court moment son existence. Le sentier, bien peu évident de prime abord, était assez bien tracé. Dure montée, toute en portage, dans des lacets courts et serrés, sous le soleil d'août. Un patriarche, surgi d'un amas de tôles et de pierres nous indiqua le sentier le plus commode. Et ce fut le col d'Etache, au bout d'un long désert vallonné et pierreux. Le sentier plonge rapidement et arrive aux lacs, sous les beaux lacets à mi -pente du col Sommeiller. La descente est interminable dans la poussière des voitures, et sur un chemin qui ne s'arrange pas. M'étant payé l'an dernier, ce col cul de sac (qui en vaut la peine} je jure qu'on ne me reverra pas de sitôt en ces lieux.

    Le Pas de l'Echelle sera-t-il un jour une bonne route ? Les hommes ont tant déboisé les pentes, sans remède possible... A Névache, il reste deux grandes heures de jour, mais il ne faut pas compter coucher aux chalets de Buffère. C'est le confortable gîte d'étape du G.R 5 qui abritera notre nuit.

    Nous nous quitterons à midi, après le col de Buffère ; Michel va rejoindre Font Romeu par une étonnante successions de passages frontaliers et de routes stratégiques. Il vous contera peut-être un jour le récit de ses bivouacs aventureux. A Chantemerle, je vais retrouver Gérard qui nous a quittés avant hier à Aussois pour aller travailler. Nous allons coucher à Ailefroide pour mettre à exécution un projet que d'aucuns jugeront sévèrement et qui auront sans doute raison.

    Non que la remontée du Glacier Noir présente des difficultés particulières ; c'est simplement long, pierreux, et parfois fort "pentu". Mais le couloir terminal est vraiment ardu à escalader avec une seule main. Nous étions deux, fort heureusement, avions d'excellentes chaussures, mais avec des crampons, nous aurions été plus à l'aise sur le court passage glaciaire versant Bérarde. Non, Michel, nous n'avions point vidé avant une bouteille de rhum, et c'est bien ce qui aggrave notre cas... Mais grands dieux, que l'Ailefroide était belle en ce dernier jour de beau temps ! Que voulez-vous, les notes de Georges Grillot, parues dans "Le Cycliste" de mai-juin 73 incitaient à tenter l'aventure. Mais le recul des glaciers, en quarante ans, a dû changer bien des choses.

Treize heures après être partis de Cézanne, nous sommes arrivés à la Bérarde. Nous avions pris notre temps (trop !). Il fallut descendre au pas jusqu'au Clapier, à cause d'un éclairage défectueux. Le lendemain, je rentrai benoîtement à Mens par le col d'Ornon, regrettant un peu de ne pas passer par le col de la Muzelle, mais le ciel s'était couvert ...et mes pieds n'en voulaient plus. Je pensais que je venais de courir trois jours en montagne avec des amis, que ça ne m'était jamais arrivé, et que c'était bien agréable.

    En voilà plus de quatre cents ... Emporté par l'élan, j'ai poussé jusqu'à la mer ; la Provence fait partie, après tout, du système alpin. J'ai essayé de ne vous faire grâce d'aucun, même des taupinières de î'Esterel. Vaine prétention, comme de compter les cailloux du Parpaillon. Vous compléterez ad libitum.

    Je me suis servi des cartes Michelin 77, 81, 84, 195, et des cartes Didier et Richard Haut Dauphiné et Queyras. J'ai découpé arbitrairement ces Alpes du Sud du Nord au Sud et d'Ouest en Est, essayant de respecter les unités géographiques... et voulant garder le meilleur pour la fin. M'inspirant du joli travail de notre camarade Marty, je n'ai pas voulu toutefois m'en tenir aux cols muletiers que j'ai grimpés ; il est des secteurs que je connais trop peu ou pas du tout (le Mercantour, par exemple). Cependant, vous ne trouverez pratiquement pas de cols infranchissables, l'expérience m'ayant montré que "ça passait" toujours. Notre spécialiste de Talant ne me contredira pas ! J'ai marqué d'un "X" les passages muletiers (M.) dont je peux certifier qu'ils sont envisageables sans risques, en août, septembre, et bien sur, par beau temps.

    Lointains amis des plaines, Champsaur, Queyras, Vanoise, etc... vous apporteront bien des joies si vous décidez de sortir de temps en temps des sentiers battus. Je vous répondrais bien volontiers à ce Sujet, si je sais. Grand merci anticipé à qui nous "tuyautera" sur le Carro, le Collon, le Théodul et la Brèche de Roland, versant Arrosas.

Au col de Baies peut-être, et bonne année cyclo.

Marcel BIOUD.