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LES PYRÉNÉES ET LE CYCLOMULETIER

Revue N° 04 Page 20

Ce jour d'Août 75, un groupe de marcheurs venait de passer en plein brouillard, le col de Madamète à 2509 m (situé dans la Réserve de Néouvielle sur le sentier de grande randonnée - le GR 10 - qui traverse les Pyrénées). Dans la descente, la progression est difficile, et il faut parfois s'aider des deux mains.

Leurs appareils photographiques auront été inutiles aujourd'hui pensent-ils. Non ! car deux animaux étranges à cette altitude apparaissent plus bas : des cyclistes ! (enfin, des gens portant des vélos). Pas ravis d'être photographiés, d'ailleurs. Philippe et Joëlle sont partis ce matin de Campan, sacoches avant, triples plateaux, B.P.F. "Lac d'Orêdon" en vue. Et puis une idée fixe : le cyclomuletier, qu'est-ce que c'est ? Depuis que Philippe est aux 100 Cols et que Joëlle en a 90 et quelques, ils en ont entendu parler. Le port de Balès, à la semaine fédérale, ça laisse sur sa faim. Alors une première les tente : joindre le lac d'Orédon au Tourmalet par le GR 10 ; ce serait tellement idiot de repasser par Saint Lary ; toutes ces routes en cul de sac, c'est vraiment déprimant. Le GR, on passe à pied, on passe avec un vélo, c'est pareil. Alors après St Marie de Campan, la Hourquette d'Ancizan, St Lary et le lac d'Orédon, un bon déjeuner au refuge, un coup d'œil sur la carte et c'est parti...

Cela commence par un peu de route et le petit lac d'Aumar, vers 2200 m sous des nuages nombreux mais pas menaçants ; et ils entament la montée pédestre. Oui mais voilà, ça s'annonce mal. D'abord, pas question de pousser le vélo sur un mètre. Des rochers, des rochers à perte de vue (ce qui ne va pas loin avec le brouillard qui descend). Ils portent, ils ont mal à l'épaule, car le vélo chargé pèse bien ses 15 kgs. Ils ont mal aux pieds dans des chaussures pas tellement "étudiées pour". Le paysage, sans doute magnifique, est caché par le brouillard. A peine ont-ils aperçu le splendide pic de Néouvielle et des lambeaux de ciel bleu par courts instants tout à l'heure. C'est encore loin ? Les noms célèbres d'adeptes du cyclomuletier, comme le malheureux Marcel BIOUD auront eu le temps d'être voués à tous les diables. Travail de fourmi dans des rochers, déjà plus de deux heures de portage et un passage dans un chaos rocheux où il a fallu hisser à deux les vélos, l'un après l'autre. Ils commencent à songer que ce sera l'obscurité dans peu d'heures II n'est plus question d'aller jusqu'à Barèges avant la nuit. Seul abri possible, la cabane refuge, une heure ou deux après le col - à condition d'y parvenir !

Enfin le col, qu'ils atteignent soulagés. Visibilité 10 mètres ; la descente sera une lutte de vitesse avec le soir qui tombe. Tâtonnements pour trouver les marques, le sentier se perd dans la rocaille, dans les ruisseaux. Sur un plateau herbeux, il devient presque indispensable d'être deux pour se diriger de marque en marque.
La perspective de dormir dehors n'est pas spécialement rassurante. Finalement, une masse sombre apparaît brusquement : sauvés, c'est le refuge, qui se trouve par chance exactement sur le chemin. Prévu pour six, il abrite déjà dix-huit adolescents d'un camp de vacances.! On se serre autour du feu, on mange les provisions. La nuit sera bien un peu fraîche mais à huit heures le lendemain, un ciel bleu extraordinaire a remplacé l'environnement ouaté de la veille.

Les deux cyclotouristes repartent, jetant un coup d'œil effaré en arrière : vu en plein jour, d'en bas, Madamète n'est pas très engageant. La route sera longue encore : sept heures de marche au total dont quatre et demie de complet portage, auront séparé le route du lac d'Orédon du grand lacet que fait la route du Tourmalet deux kilomètres après Barèges. Mais au moment où ils retrouvent le goudron, la colère est passée, la fatigue aussi. Ils font des excuses à Monsieur BIOUD. Le Tourmalet, puis la montée de la route en terre vers les cols de Sencours et des Laquets sous un soleil magnifique, les réconcilient avec la montagne et le cyclotourisme malgré les voitures retrouvées, ô combien ! Ils n'ont néanmoins pas dédaigné le téléphérique qui les hissa directement au sommet du Pic de Midi de Bigorre, d'où l'on a un splendide panorama, avant de redescendre retrouver le campement. Une bonne journée : 3 cols de plus de 2 000 m à ranger dans la collection - sans oublier celui de la veille !

En conclusion, donc, un très beau souvenir, mais aussi le sentiment d'avoir eu de la chance, le passage cyclomuletier d'un tel col est une extraordinaire expérience, nous aurions pu la gâcher par notre inexpérience et notre imprudence. Il faut absolument emmener de bonnes chaussures, des vêtements chauds, de quoi bivouaquer (au moins une couverture de survie en feuille d'aluminium renforcée) des vivres, une boussole, une bonne carte et... avoir du temps devant soi car les sentiers de montagne réservent des pièges à celui qui s'est encombré d'un vélo. Nous n'emmènerons les nôtres que dans des cas particuliers où un sentier permet de ne pas parcourir deux fois de suite, en sens inverse, des routes culs de sac mais fait la liaison entre deux itinéraires intéressants. Dans les autres cas, personne ne peut contester qu'un sac à dos soit plus pratique à porter !

Une route est en projet (avec tunnel) sur ce parcours ; devons-nous conclure qu'elle est inutile ? Qu'en pensent les éventuels cyclomuletiers ayant déjà passé ce col ? Nous serions ravis d'avoir leurs impressions.

Joëlle et Philippe GIRAUDIN

CHATENAY (92)


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