Revue N°5 page 12

LE STELVIO

25 juillet : SANTA-MARIA (Grisons)

Voilà trois jours que je me trouve dans les Grisons. Avant-hier, en altitude, la neige collait sur la terre à l’altitude 1600. Hier après-midi pourtant j’ai retrouvé le soleil en gravissant les pentes de l’Ofenpass, en plein cœur du Parc National Suisse. Mais, cette nuit vers 3h du matin, j’ai entendu la pluie sur le toit de la maison où j’ai été hébergé pour la nuit.

Vers 6h du matin, j’entrouvre la fenêtre, ciel gris, sommets enneigés, le Val Mustair n’est pas encourageant. Je vais déjeuner au restaurant le plus proche vers les 8h, puis une heure après, je récupère mon vélo tout au fond de la cave après que la patronne m’ait souhaité bon courage. J’installe mes trois sacoches sur mon porte-bagages avant, et me voilà parti ! J’avais prévu initialement de faire le Stelvio et le Gavia puis de coucher à Ponte di Legno. La pluie s’est arrêtée et je commence à croire que la journée ne sera pas trop mauvaise. La frontière passée, je prends la direction de Trente. La pluie tombe à nouveau, par-dessus mon survêtement, j’enfile mon imperméable (blouson et pantalon de K WAY). Le mauvais temps n’incite pas à déployer une carte routière. Je sais que pour monter le Stelvio, il faut prendre une vallée sur la droite, et après avoir savouré une longue descente, je m’aperçois que j’ai loupé le carrefour. Maugréant contre la signalisation routière italienne, je fais demi-tour et grimpe la côte descendue quelques minutes plus tôt.

L’averse redouble d’intensité, mais cette fois-ci, malgré mes lunettes recouvertes de gouttelettes, j’aperçois le carrefour : Passo dello Stelvio 27 km.

Les premiers faux plats gravis sur le 32 x 20, j’aborde enfin les premières pentes du géant italien. Le ruisseau qui coule à côté de la route draine des eaux boueuses, les automobiles, pas très nombreuses heureusement, m’arrosent copieusement. La pente augmente et mes bagages pèsent de plus en plus, aussi, je réduis progressivement mes braquets 32 x 23 puis 32 x 28. Après un temps d’adaptation, j’ai pris un bon rythme, la pluie qui commence à traverser mon K WAY (je n’aime pas rouler avec un poncho) imbibe mon survêtement ; mais les calories dégagées par l’effort son suffisantes pour maintenir une température agréable au contact de la peau. Il est 12h, je commence à avoir faim, je m’arrête à Trafoi. Je laisse le vélo sous une terrasse, et j’enlève une partie de mon équipement, remets en place mon pantalon de survêtement tout détrempé. A travers les vitres, je surveille la pluie qui tombe sans arrêt, le patron du restaurant, sourire aux lèvres, me montre des voitures qui descendent du col le toit recouvert de neige, je luis explique que si je ne peux pas passer le Stelvio, je coucherai dans son établissement ce soir. Après avoir renfilé tous les vêtements trempés, je reprends l’ascension, pendant quelques minutes le froid me pénètre, la pluie est devenue très fine.

J’aborde enfin l’ultime partie, les lacets (avec borne d’altitude et numérotation de virage) se succèdent, les automobiles qui descendent sont toutes recouvertes de neige. A environ 8 km du sommet, vers l’altitude 1900 au détour d’un virage, j’aperçois soudain la neige quelques lacets plus haut.

Mon 32 x 28 tourne régulièrement, j’arrive à hauteur de la neige qui couvre d’abord le fossé puis colle sur la route. Ma bicyclette laisse une trace nette sur le goudron devenu tout blanc.

La progression devient plus difficile, la neige plus épaisse sur la route, et les lacets plus nombreux deviennent difficiles à négocier. Le versant est du Stelvio doit être impressionnant par beau temps.

Un dérapage, je mets pied à terre, pousse la bicyclette jusqu’à la sortie du virage, je repars péniblement, la bicyclette devient très instable, à environ 4,5 km du sommet, un virage et c’est fini. Le cavalier est redevenu fantassin. Je change de chaussures, mes cales devenant trop glissantes. J’aperçois un peu plus bas un camion chasse-neige qui monte pour dégager le col. La neige glisse sur les pentes très prononcées et obstrue partiellement la route, provoquant un arrêt de la file de véhicules descendant du col. Au bout d’une petite heure, je débouche au sommet, en pleine tourmente. Après un ravitaillement très rapide, tiré du sac, je décide de ne pas entrer dans les bars se trouvant en bordure de la route (une pose de 5 minutes risquerait de se prolonger bien au-delà).

J’attaque la descente à pied dans une couche de 10 à 15 cm de neige. Quatre kilomètres plus bas, je découvre le Pass Umbrail et son poste frontière. Je suis à quelques kilomètres de mon point de départ de ce matin, mais je poursuis en direction de Bormio.

Enfin la route dégagée, un essai sur le vélo, les freins répondent mal, le poids des bagages m’entraîne, mes chaussures améliorent sensiblement le freinage. Sous un froid très vif et une pluie persistante depuis plusieurs heures, j’effectue la descente en alternant la marche à pied, les séances de roue libre. Ce col du Stelvio est vraiment rude sur les deux versants, l’altitude de l’Iseran et la pente du Mont Ventoux. Mes doigts paralysés par le froid, je ne marche plus, je cours et aborde enfin le secteur des tunnels où la pente faiblit. La séance de course à pied m’a réchauffé et je continue la descente sur le vélo, non sans avoir crevé à la roue avant dans la traversée de la dernière galerie, gêné par un automobiliste qui m’a envoyé dans un nid de poule. Le pneu a l’air endommagé, mais après avoir réparé sous la pluie, avec les doigts engourdis, j’atteins enfin Bormio. Il est près de 17h., le Galvia sera pour une autre fois. (La route non goudronnée doit être transformée en bourbier).

Je suis épuisé et je cherche un hôtel confortable. Le garçon d’hôtel qui m’accueille contemple la flaque d’eau qui s’agrandit autour de mes chaussures, et me conduit au 4ème étage… par l’ascenseur, en portant mes sacoches détrempées. Après avoir tiré des vêtements secs enveloppés au fond de mon sac, pris une bonne douche et un repas substantiel, j’apprécie le lit et je m’endors les muscles brisés regrettant de ne pas avoir vu le Stelvio sous un beau soleil.

Claude BASTIDON de Pierrelatte (26