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MON PREMIER COL DE PLUS DE 2000m

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C'est durant un périple de 3 semaines que je devais gravir mon 1er col des Alpes et c'était un plus de 2.000, sa Majesté le col d'Allos. Ce matin là, je quittais Nice que j'avais ralliée la veille venant de Gênes, le ciel était bleu, il faisait déjà chaud à cette heure matinale, je prenais la R.N. 202, la route des grands cols, tournant le dos à la mer et m'engageant résolument vers les Alpes, et devant moi, déjà se profilaient les premières montagnes, des nuages sombres semblaient tapis à l'horizon. Une certaine appréhension s'emparait de moi, pourtant sur ma gauche les eaux peu abondantes du Var coulaient calmement au milieu d'un large lit caillouteux, la route était large, le vent nul, il faisait vraiment bon pédaler...

Je traversais une succession de tunnels et m'enfonçais de plus en plus dans le paysage montagneux, à ce moment, un autocar me dépassait à faible allure et, comme sa vitesse ne devait pas dépasser les 40 km/h, je restais facilement derrière lui donnant quelques coups de pédales de temps en temps étant aspiré derrière ce poids lourd que je considérais, à ce moment, comme un allié, le traître ! Je fis ainsi quelques kilomètres lorsque soudain je sentis un choc à ma roue avant et j'étais précipité au sol, je ramassais là une bûche magistrale vidant les étriers et parcourant plusieurs mètres à plat ventre avant de m'arrêter, là bas le car disparaissait, j'étais seul sur la route. Il me semblait ne pas avoir grand'chose, mais je craignais beaucoup pour ma machine, je me relevais assez rassuré quant à moi, avec deux coudes et mes genoux abîmés et surtout une paume de main arrachée assez largement, conséquence de ne pas mettre de gants à l'époque, la route venait d'être refaite et était rugueuse à souhait, je retournais à ma bicyclette et miracle, après examen, elle semblait intacte, je ramassais ma pompe et ma montre, celle ci en 3 parties avait cessé de vivre, je m'en tirais à bon compte, mais je cherchais à comprendre ce qui s'était passé, seule sur la route large et très belle, une pierre grosse comme mon poing avait suffi à me ficher par terre, venant sous le car, je n'avais pu voir cet obstacle et il avait fallu que j'aie la malchance de passer en plein dessus ! Après m'être nettoyé et pansé sommairement avec mon nécessaire prévu pour ces cas là, je reprenais la route avec beaucoup moins d'entrain.

Je côtoyais toujours le Var, le soleil maintenant se cachait derrière des nuages orageux, un peu plus loin, croisant un panneau POSTE DE SECOURS, je m'arrêtais pour regarder de plus près, ce n'était qu'une plaque de tôle sans autres indications, tout près une maison où je m'adressais mais là, on ne put me renseigner, un peu plus loin, ce fut la même réponse, mais la brave femme que je vis s'offrit à refaire mes pansements, en somme je n'ai pas bien compris ce que signifiait le panneau «Poste de Secours» ...
Maintenant, la pluie s'était mise à tomber, c'était une mauvaise campagne, tout allait mal, un peu plus tard, je voyais devant moi une femme qui tricotait sous son parapluie à côté d'un passage à niveau et ne voyais qu'au dernier moment la chaîne qui servait de barrière, je freinais mais trop tard et les patins mouillés répondaient mal, je rentrais dans la chaîne qui se rompit nette et tombait en deux parties sur la route ! Le choc avait été assez violent, je n'étais pas tombé mais j'avais les bras meurtris et la garde barrière me voyant avec déjà plusieurs pansements s'écria «mais finissez donc de vous tuer !». A vrai dire, on n'a pas idée de tendre une chaîne sans la signaler, car par mauvaise visibilité, à cause de la pluie et du temps sombre, je ne suis pas sûr qu'une voiture n'ait pas fait pareil...

Après ce nouvel arrêt forcé, je reprenais la route espérant que plus rien de fâcheux ne m'arrêterait, la pluie maintenant tombait plus fort et je m'approchais des montagnes en prenant de l'altitude, j'arrivais à PugetTheiniers où je m'arrêtais pour me restaurer, il était 1 heure, la pluie avait cessé, avant de repartir, je pus me faire soigner par un pharmacien très aimable, qui me nettoya mes plaies assez superficielles et je repartais, cela allait beaucoup mieux.

Jusqu'à Annôt, la route était belle puis ce fut la petite route plus étroite et sinueuse, je passais successive
ment à Colmars puis AIlos, de gros nuages noirs venaient de la direction du col, je craignais avoir beaucoup de difficultés à atteindre mon but, le Verdon en parallèle de la route roulait en torrent des eaux boueuses, j'imaginais que l'orage avait été violent là haut... peut être mon retard m'avait il épargné d'autres ennuis. Bientôt, la route devint plus pentue et ce fut le fort pourcentage des grands cols pendant 7 kilomètres, j'arrivais enfin au sommet à 2.250 m.

Après un moment passé à savourer ma réussite et à admirer le splendide panorama, le soleil couchant lançait ses derniers rayons qui effleuraient la neige des sommets qui devenait rose un instant. Puis, je me lançais dans la descente assez caillouteuse à cette époque, c'était en 1951, j'arrivais sans autres encombres à Barcelonnette but de mon étape, j'avais gravi mon premier col de plus de 2.000 m dans les Alpes, le premier pas était fait, le lendemain et le surlendemain, j'avais à mon programme d'autres géants, Vars et l'Izoard, le Galibier et l'Iseran, la vie était belle, j'ai dû m'endormir avec le sourire...

Louis MILLEREAU

BRIOUDE (43)


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