Mercredi 8 juillet Ce matin encore, le ciel est bien dégagé. On ne s'en lasse pas. Ce matin donc, la Bonette est au programme. 26 kilomètres d'escalade, 1.658 mètres de dénivellation. Pourcentage moyen de la pente 6,4 %. Montée on ne peut plus régulière. Sa longueur en est la principale difficulté. Il est 7 h 40 lorque nous entamons l'ascension, après nous être extraits presque à regret de la grange opulente où nous avons passé la nuit, sur les hauteurs de Saint Etienne de Tinée. La route est déserte et bien «bornée». Qui plus est, chaque borne mentionne l'altitude ainsi que le kilométrage restant à parcourir jusqu'à la cime, ce qui permet maints calculs, dénivelé réalisé, dénivelé restant, variation de la pente moyenne, distance accomplie, à accomplir et tous les pourcentages correspondants. Cogitations sans importance, dont les fruits naissent et s'évanouissent comme des bulles au gré des hectomètres. J'aime ce genre d'ascension tranquille où l'effort ne supplante pas la méditation. Boussieyas, petit hameau que deux lacets de la route enserrent, à mi chemin entre Saint Etienne et la Cime. Nous y sommes vers 9 heures. Joseph, après en avoir délibéré dans le secret de sa conscience, répond oui à la question de savoir s'il convient ou non d'y faire un petit arrêt casse croûte. Devant l'entrée du foyer de la G.T.A. des randonneurs à pied déjeunent et s'équipent avant le départ. Nous nous renseignons sur les possibilités de trouver gîte au Refuge Napoléon à l'Izoard. «Les marcheurs ont priorité, nous dit on, mais s'il y a de la place vous y serez accueillis sans problème». Il fait encore beau sur les larges lacets s'étageant dans les pâturages au dessus du hameau mais, sur les crêtes qui s'étirent vers l'est, de la Cime de Voga à celle de la Bonette, le temps s'est couvert et il est plus que probable que nous évolueront bientôt dans les nuages. De fait, au dessus du Camp des Fourches, sinistre alignement de bâtiments militaires en ruines, nous glissons progressivement dans un univers ouaté hors du monde et du temps. La route serpentant sur la corniche parvient à l'échancrure du Col des Granges Communes, par où s'engouffrent de sombres cumulo-nimbus. La Cime de la Bonette n'est plus très loin désormais, mais nous ne la distinguons pas. Quelques silhouettes de touristes battant la semelle surgissent bientôt du brouillard. Nous sommes au Col de la Bonette 2.747 m. Reste, pour le plaisir, à grimper jusqu'au faîte de la route qui enserre le Dôme de la Bonette, en une boucle dont on a soigné la pente, sur laquelle je vins buter, il y a quelques années, l'esprit trop tôt démobilisé et les membres engourdis dans le brouillard et sous la pluie. A gauche toute, et sans tergiverser. Tout au long de notre ascension, nous n'avions pas rencontré le plus petit névé. Il a dû peu neiger cet hiver... Seule, une vieille plaque de glace noirâtre et sournoise subsiste encore sur cette raide portion de route culminant à 2.802 m. Il est 10 h 25. Nous n'irons pas plus haut à vélo, ni aujourd'hui ni dans les jours à venir. Nous avons atteint le point le plus élevé de notre Tour de France. A la stèle, commémorant l'ouverture, en 1962, de cette voie reliant l'Ubaye et la Tinée, le ciel s'entrouvre, le temps pour nous d'immortaliser l'événement sur la pellicule. A la Cime proprement dite (2.860 m) que nous escaladons à pied, le panorama s'est partiellement dégagé vers le sud, en direction du Col de la Moutière, dont les ultimes lacets se dessinent en contrebas. Mais, vers le nord, bernique ! C'est dommage, surtout pour mon compagnon qui ne connaissait pas les lieux. Les nuages se dissiperont un peu plus tard quand nous aurons entamé la descente vers Jausiers... La route a été en partie refaite au-dessus et en contrebas des casernes (désertes) de Restefond. Profitons en car, si mes souvenirs sont bons et si les choses sont restées en l'état, la fin de la dégringolade sera des plus pénibles, sur une chaussée particulièrement délabrée. Effectivement, les choses sont restées en l'état. Il y eut pourtant du beau monde, tout le gratin des Alpes Maritimes et de Haute Provence, pour inaugurer en son temps cette route appelée pompeusement la plus haute d'Europe (une de plus...). C'était il y a vingt ans. Depuis... |
Midi. Le soleil est revenu à Jausiers et la différence de température est sensible. Les sacs de guidon, lestés du toujours impressionnant ravitaillement de la mi journée, nous allons faire halte à la sortie de la ville, à proximité d'un ruisseau qui se jette plus bas dans l'Ubaye grondante. Belle occasion d'y faire une petite lessive, avant de casser la croûte. Un orage s'est formé non loin, sur la Montagne du Parpaillon lorsque nous reprenons la route. Cette fois ci, nous n'y coupons pas d'une bonne averse. Cela faisait longtemps que les vannes célestes ne s'étaient plus rouvertes à notre passage, puisque la dernière ondée nous avait rincés le 28 juin, juste avant Saint Girons. Dix jours sans pluie ! On ne fera pas mieux avant longtemps. L'accalmie survient alors que nous arrivons au pied de la seconde difficulté du jour. 639 mètres au dessus de Saint Paul sur Ubaye, perche le Col de Vars, distant de 8 Kms. Les trois premiers ne font pas dans la sévérité et offrent même des temps de récupération pour nous permettre d'admirer au passage les Colonnes que le vent n'a toujours pas décoiffées et nous mettre en condition mentale avant le final très pentu qui nous attend. Melezen 1.662 m. Sommet à 4 km 600, pente moyenne 9,7 %. Sans sacoche, ça laisse déjà le souffle court, alors avec... Eh bien, ça n'est guère plus dur, en fin de compte, à condition de ne pas vouloir se battre avec la pente. Avec 28 x 28 pour Joseph, 30 x 28 pour moi, ce n'est pas le genre de la maison. Un éclair à damiers blancs et noirs (de la maison d'en face justement) nous a doublés à l'amorce des cinq derniers kilomètres fatidiques, tandis que tonne l'orage sur les sommets alentour. Joseph devant, moi derrière poursuivant roue dans roue notre lent cheminement silencieux, nous l'apercevrons plus tard, petit point clair parvenu presque au sommet quand nous en serons encore à plus de 2.000 mètres. Nous le retrouverons plus tard au Col où il nous a attendus. «Ca s'est fort bien passé, merci, pour vous ça ne se demande pas». Sympathique notre jeune collègue, quoiqu'il se pousse gentiment du col... de Vars bien entendu... qu'il escalade tel son arbre l'écureuil, en un peu moins de vingt cinq minutes lorsqu'il est en forme, en un peu plus lorsqu'il ne l'est pas. Mais, après tout, ce bidasse en vadrouille n'est il pas le meilleur grimpeur de l'armée ? C'est peut-être vrai après tout. Enfin, petit coursier deviendra grand si la jungle des pelotons ne le dévore pas. A Guillestre, la pluie qui nous a épargnés durant toute la montée et la descente s'est remise à tomber, vidant les rues et remplissant les magasins et les bars. Joseph, jamais à court d'idée, a trouvé la solution du problème. Pour ne pas mouiller ses vêtements, ne pas porter de vêtements. Saluons le génie qui passe. Avant la Maison du Roy, au carrefour des vallées du Guil et du Cristillan, nous réussissons à nous extraire, sur l'étroite route en corniche, d'un bel embouteillage qui ne nous concerne nullement. Derrière les camions et les cars obstruant la chaussée dans leurs délicates manoeuvres de croisement, les voitures en ont pour un moment à ronger leur frein et nous serons tranquilles pour remonter la combe du Queyras, en écoutant chanter le Guil. Joseph est parti en éclaireur sur les premières pentes de l'Izoard. Dans l'histoire du Tour de France, Vars rime toujours avec Izoard, et l'un ne va pas sans l'autre. Mais passerons nous l'Izoard ce soir, c'est une autre histoire, faut voir. Je serais assez partisan de poursuivre jusqu'au col et le refuge Napoléon, où nous pourrions être vers vingt heures, si tout se passe bien, mais Joseph qui m'a attendu à l'entrée d'Arvieux est plutôt d'avis d'en rester là pour ce soir. Demain est un autre jour et le beau temps sera peut être revenu. Sans doute a t il raison. Un hôtel fait gîte d'étape à la Chalp, l'un des hameaux d Arvieux, sur la route du Col, à deux kilomètres. Nous y parvenons sous le déluge. Le mauvais temps a fait fuir les randonneurs et le dortoir est loin d'afficher complet. Dormir dans un bon lit, après une douche bien chaude, et un excellent repas pris dans un cadre agréable, entourés de gens sympathiques, manifestant, de surcroît, beaucoup d'intérêt pour notre périple, j'ai connu des épreuves plus dures. Daniel FRÉZÉ BELFORT (90) |