Lorsque le samedi 29 novembre 1980, la Bresse est recouverte par dix centimètres de neige et que la météorologie nationale annonce d'importantes chutes de neige dans la région Rhône Alpes, ma première réaction est de téléphoner à mon ami à Cours, dans le département du Rhône, pour savoir s'il est possible de me rendre à son invitation et s'il est nécessaire d'emmener mon vélo. Ne t'inquiète pas, me répond il, il y a de la neige mais les routes sont dégagées. Si tu as envie de rouler, amène ton vélo ! En grimpant les Echarmeaux, où l'épaisseur de neige croît avec l'altitude, je m'interroge. Cours bénéficierait-elle d'un micro climat pour que les routes soient dégagées ? Le col des Ecorbans est sous vingt cinq centimètres de neige, Ranchal, le col du Pavillon sous quinze centimètres. La route qui traverse des sapinières est magnifique, mais des congères se forment sous le vent du Nord. La descente sur Cours est toujours enneigée. Je crois que mon ami n'attribue pas la même signification que moi aux mots puisque sa rue l'est également. Je frémis à l'idée d'une route encombrée sous son vocabulaire. Son accueil est néanmoins très chaleureux. Les gens qui m'ont vu circuler ont sans doute dû s'interroger de l'utilité d'un vélo sur le toit d'une voiture par un temps pareil. C'est ignorer la foi ou le démon qui habite le cyclotouriste. En début d'après midi, nous voilà donc partis sous la neige et le vent, à l'assaut du relief. Mon ami Pierre m'a promis de me faire découvrir au moins un nouveau col. Aujourd'hui, ce sera le Burdel à 720 mètres d'altitude. Dix centimètres de neige sur une pellicule de glace recouvrent la route. L'art et la manière de rouler sont difficiles à trouver dans ces conditions inhabituelles. La première descente voit la première chute de Pierre. Quelques centaines de mètres plus loin, dans un virage verglacé, je prends aussi connaissance de la dureté du sol. Ensuite, même plus stables, nous évitons de rouler côte à côte. Peu après La Chapelle de Mardore, nous attaquons le col plus enneigé encore. Pierre grimpe avec un petit développement. Surpris par la rampe dès le changement de route, je n'ai d'autre solution que de continuer sur un 44 x 20. L'allure et l'équilibre très instable ne permettent pas de changer de plateau. Dans une voiture qui arrive d'une route sur la gauche, des enfants rient bruyamment de nous voir progresser en zig zag. Sans doute serait il drôle de nous voir tomber ! Le conducteur en oublie de regarder sa trajectoire et s'enfonce dans une congère de plus d'un mètre de haut, alors qu'il aurait pu la contourner. Malheur à ceux qui se moquent des cyclos ! |
Un obstacle semblable nous oblige à mettre pied à terre, tour à tour, dans les derniers virages. La difficulté pour repartir est d'atteindre une vitesse suffisante dans l'élan pour pédaler ensuite. Au sommet, Pierre qui m'a précédé de cinquante mètres, parle avec la paysanne de la ferme voisine qui l'a reconnu. En la saluant, je ne peux qu'ajouter que les fous vont toujours par deux. Il fallait en effet être deux pour partager cette folie de faire du vélo par un tel temps. Individuellement, nous ne serions jamais partis. Mais quel agrément, lorsqu'une bonne condition physique aide à vaincre les éléments défavorables ! De plus, un habillement approprié permet d'oublier le froid et la neige et permet d'apprécier l'air frais, le silence de la nature, la beauté des paysages. La vitesse est faible mais l'effort est intense. La descente pose le problème inverse : il faut freiner pour maîtriser sa monture. Arrivés en bas, Pierre est surpris par ma facilité apparente. Je le détrompe car j'ai été obligé de suivre le mouvement imposé par mon gabarit plus massif et plus lourd et par un vélo équipé de pneus plus fins qui pénètrent mieux la neige. Un dérapage ample et contrôlé a été nécessaire pour m'arrêter au carrefour. Les chutes de neige sont encore plus abondantes dans la montée au col du Pavillon. Nous rejoignons une voiture qui éprouve beaucoup de difficultés pour repartir. Bien qu'après nous la suivons à faible intervalle, ses traces s'effacent rapidement. Nos arrêts se multiplient. Nos trajectoires deviennent fantaisistes. Pierre se retrouve une fois dans le talus et une fois dans le sens de la descente. La neige bloque parfois les roues dans l'espace réduit entre les pneus et les garde boue. Le vent qui nous accueille au sommet est si glacial que je dois protéger ma joue exposée avec ma main, que la barbe de Pierre n'est plus qu'un glaçon. Lui même, à cinquante mètres de moi, n'est plus qu'une silhouette. Enfin, une descente de quatre kilomètres termine notre randonnée inhabituelle de deux heures pour trente kilomètres. Une tasse de thé sucré au miel en est sa conclusion logique. Comme je suis membre du club des Cent Cols, le col du Burdel se serait perdu dans ma liste sans cette neige. Et cette randonnée restera toujours gravée dans ma mémoire comme un très agréable souvenir. J'en remercie Pierre. Rémi RICHE BOURG EN BRESSE (O1) |