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Plaidoyer pour un "chasseur de cols"

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Il fut un temps assez proche où la seule idée de gravir un col ne me serait même pas venue à l'esprit tant la chose me paraissait utopique et très au-dessus de mes modestes moyens d'alors.

Jusqu'au jour où ...

De grimpettes en grimpées et de colets en faux cols, ainsi s'opérait l'approche de ces merveilleux sommets tant redoutés.
Pour savoir ce qu'est vraiment un col, il ne suffit pas de lire une carte routière. Un col, il faut le grimper. Et le grimper à vélo. Soyez sûrs que le cyclotourisme en montagne enseigne la géographie plus sûrement que les livres.

Majesté, silence, pureté, inaccessibilité : ce sont là quelques unes des impressions le plus souvent ressenties par l'homme face à la montagne. Impressions qui expliquent et justifient en partie les rapports -faits d'amour et de crainte révérencielle- qui unissent depuis toujours l'homme et la montagne.

Pour ceux qui pédalent et qui cherchent à vaincre la montagne, le col est avant tout synonyme d'obstacle. Peu importe que cet obstacle soit un passage entre deux sommets ou le sommet lui-même. Une chose est certaine, d'une façon ou d'une autre il faut gravir de forts pourcentages. Et c'est dur... Je veux parler bien entendu des routes escarpées sur lesquelles on souffre sur le 26 voire le 28 dents. C'est là un langage que comprend tout cycliste.

La montagne implique inévitablement un fort sentiment de respect. On ne se lance pas sur ses pentes sans une très sérieuse préparation préalable n'excluant pas la crainte de l'échec. Inutile de jouer au plus finaud : en plaine, un cycliste peut facilement faire illusion, ce qui est rigoureusement impossible en montagne. On est face à face avec la nature très spéciale de la montagne, et elle se défend bien, la bougresse !

Il n'y a pas de secret pour gravir un col. Que le cycliste soit très fort ou un grimpeur moyen, il faut à tout prix "rouler en dedans", s'économiser. C'est tout d'abord, au bas du col, la vision d'ensemble de la chaîne de montagnes avec, tout là-haut, la forme acérée du sommet à gravir. Quelques lacets sont passés dans l'euphorique facilité des premiers efforts. Vient alors la douche froide des vrais pourcentages, comme si la montagne voulait faire sentir à l'intrus sa désapprobation. Je me suis très souvent trouvé dans l'état d'esprit où, les efforts de la grimpée étant tels, j'ai cru voir s'animer l'immensité des crêts neigeux, lesquels semblaient me dire: "Tu me veux, soit! Mais tu m'auras dans la souffrance !". Et, subitement, de 8 % la pente passe à 13 %. Bon sang, il faut souffrir pour de bon, se hisser au fil des virages en mettant "tout à gauche" sans avoir le secours moral d'une couronne de plus en réserve! Si vous êtes loyal avec elle, la montagne vous pardonnera une seule petite défaillance. Tous ceux qui font des cols savent que parfois il faut cesser de lutter quelques instants pour se nourrir et reprendre son souffle. Il est évident que mettre pied à terre n'est pas une fin en soi. Quelqu'un a écrit joliment que c'est "faire les honneurs du pied", reconnaître ainsi et saluer la résistance opiniâtre de la montagne.
Face à la reconnaissance de sa force, elle ne vous en voudra pas trop de marcher une centaine de mètres : au delà, ce serait trahir car un col doit être franchi sur sa machine. Vous aurez droit alors à la plus belle récompense que puisse recevoir un cycliste. La montagne vous offre majestueusement un des plus beau panorama du monde qui vous fait oublier la souffrance de la grimpée. Sachez ceci : vous ne serez jamais déçus car elle tient toujours ses promesses ; silence et pureté des cimes, majesté des paysages, animaux en liberté, une des plus belle flore qui soit, C'est beau, grand, fort.

Depuis l'ascension de mon premier col, le coup de foudre instantané ne fait que se confirmer. Dès lors, une seule pensée m'habite, me mine comme une drogue : je veux y retourner car je me languis de cette vieille dame séculaire aux cheveux blancs qu'est mon amie la montagne.

Au risque d'être mis à l'index par certains puristes qui vont trouver cela stupide, je suis fier d'être considéré comme un "chasseur de cols", bien que je le sois modestement par rapport à nos Archanges du Club des 100 Cols. Mais tout de même, j'avoue avec joie mon penchant et en savoure les délices jusqu'à la lie. Tout comme le chasseur de primes pourchasse un homme pour de l'argent, j'assaille respectueusement ma vieille amie pour les joies inégalées qu'elle m'offre sans compter.

Pour sceller cette amicale complicité, je fais bien modestement partie de ses confréries, toutes montagnardes, vouées à son culte : Ordre des Cols Durs et Club des 100 Cols, confréries qui ne sont pas marginales de mon Club d'origine mais ont tendance à être prépondérantes.

Pourquoi ces lignes, me direz-vous, puisque je prêche à des convaincus. Il arrive un moment où la passion et si forte qu'elle doit s'extérioriser. Et ce bonheur il est normal de vouloir le partager avec autrui. Vous qui craignez et aimez la montagne, entraînez-vous sérieusement, utilisez des braquets adaptés, et surtout soyez modestes. Ces trois conditions forment la clef ouvrant les serrures de la porte du paradis des Cyclistes. Une fois cette porte ouverte, venez au Club des 100 Cols. Lorsque vous aurez su percevoir la douce mélodie des dîmes, à l'image des Sirènes d'Ulysse, vous serez devenu un chasseur de cols doublé d'un cyclotouriste heureux.

Eternellement.

J.C. PISTORESI


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