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Heureux centenaires !

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Lorsque j'ai découvert le club des 100 cols, il y a 8 ans, un de ses aspects qui m'avait alors le plus séduit, c'était la logique de son règlement, son bon sens. Comptabiliser des cols gravis ? Quoi de plus naturel en somme. Un col c'est un col, un et un font deux... Cela lui conférait un côté "science exacte" tout à fait rassurant pour qui conçoit le vélo comme un sport de plein-air.

Il en est allé ainsi jusqu'au centième et même au-delà. En ces temps là, CHACUN des cols que comptait ma liste évoquait quelque chose en moi. Une anecdote, un lieu, une altitude quand ce n'était pas les 3 à la fois. En tous cas je pouvais dire, presque sans hésiter, "oui ! je l'ai fait' ou alors "non ! mais cela ne saurait tarder". La belle époque !

Encore que tout n'était pas si clair qu'il n'y paraissait. Il suffisait et il suffit encore aujourd'hui, de prendre deux cartes différentes, de même échelle mais de deux éditeurs différents, pour s'en convaincre. L'une mentionne des cols que l'autre n'indique pas et vice-versa. Fait plus troublant : certains cols dont les listes officielles font état ne figurent sur aucune d'elles ? Aussi très vite il a fallu que je me rende à l'évidence. Contrairement à ce que j'avais toujours pensé jusque là, m'appuyant sur des faits que je croyais établis, je découvris brutalement que les cols n'étaient pas seulement l'oeuvre de la nature, mais aussi doublement celle de l'homme. D'un point de vue historique tout d'abord. D'un point de vue beaucoup plus inavouable ensuite, dont les éditeurs de cartes portent l'entière responsabilité. J'ai nommé la facilité. (Preuve flagrante que le club des 100 cols doit poursuivre son effort en s'infiltrant encore d'avantage chez ces derniers).

La banalisation des faux-cols dont le col des cyclotouristes n'est qu'un exemple, !e moins représentatif selon moi, me conforta très vite dans cette idée. D'autant plus qu'à l'opposé nombre de "chose" n'avaient de col que le profil. Pas d'altitude, d'appelation encore moins. Donc de col, il n'était question. Combien de fois dans le feu de l'action, les sentiments exacerbés partant de complicité, ai-je voulu leur porter parole. Crier à la confrérie que tout n'était qu'injustice et qu'il y avait sûrement quelque chose à faire. Mais à chaque fois une descente mise là intentionnellement me ramenait à de plus justes propos. Après tout ! Les uns composent les autres ! Moyen commode s'il en est pour tourner la page.

L'expérience des randonnées hors de France, hors du "Chauvot" devrais-je dire, ne m'apporta rien que je ne sache déjà. Si ce n'est que dans certain pays très reculés, l'absence de carte détaillée me fit regretter plus d'une fois le caractère non universel de notre club.

Si les choses en étaient restées là,elles n'auraient sans doute jamais mérité un tel développement. Mais c'est précisément parce qu'elles n'en restèrent pas là que ma période dite"rose" pris fin. C'est qu'on ne manipule pas une liste de 1000 cols comme on gère une liste 10 fois plus courte. Première évidence: il est impossible de connaître l'intégralité des cols que l'on a gravis, ni même la moitié. A la question "L'as-tu fait" le plus souvent il faut savoir se contenter d'une réponse évasive. Peut être ! C'est possible ! Ça m'dis que c'chose ! D'où le double risque selon moi de comptabiliser deux fois le même col sans même s'en rendre compte ou... de créditer un col qui n'en est plus un (??).
Ce qu'il y a d'extraordinaire dans notre club c'est que l'on jongle avec le fantastique un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose : sans en avoir conscience. Prenez ce vieux rêve de l'humanité : remonter le temps. Eh bien moi, j'affirme tout haut gravir des cols dans le passé. Ma liste 83 en fournit d'ailleurs un bel exemple. Y figurent 5 cols gravis en 79 !

Ne vous est-il jamais arrivé de comptabiliser un col à tord ? Ne croyez pas que je veuille mettre votre honnêteté en doute. Non, je veux dire en pensant l'avoir effectivement franchi, alors qu'en fait il n'en est rien. Lorsque quelques années plus tard, par hasard, vous vous êtes rendu compte de votre méprise, comment avez-vous alors qualifié cela ?... Oui, dans le futur (Surveillez-vous mon vieux !).

Autres phénomènes, autres interrogations. Prenez le mouvement des cols. Phénomène bien réel que celui là, mais sur des temps géologiques. Pas d'une année à l'autre ! Imaginez-vous grimpant l'Iseran, 3 heures d'efforts et au sommet quelqu'un de vous annoncer: mais il est plus là ! Pire. Je connais le cas de cols qui se sont littéralement volatilisés. Disparus ! Sur les listes officielles de trace il n'est plus. Je frémis à l'idée qu'un "cent col", un jour peut être en son sommet, savourant quelques minutes de repos durement méritées, en l'espace d'un instant, avec lui fut emporté. Quelles sont les véritables raisons de tels agissements ? A défaut de réponse, j'en suis réduit à formuler des hypothèses. Pour ma part j'en vois deux :
1) Ils seraient le fait de luttes d'influence entre les différents tendances qui composent les instances dirigeantes de notre confrérie (les chauvotistes contre les perdoussiens).
2) Ils seraient liés à des problèmes financiers. Finances en dents de scie qui ne permettraient pas certaines années d'homologuer l'intégralité des cols.

Le principe de la dent de scie expliquant fort bien les 2 phénomènes à la fois (disparition et apparition) je range le 2ème hypothèse parmi la plus probable. Encore que l'on puisse toujours imaginer, dans le cadre de la première, que l'un et l'autre prenne alternativement le dessus.

Quoi qu'il en soit, une constatation s'impose désormais. Comptabiliser des cols n'a plus pour moi ce côté "exact", ce côté rassurant qui m'avait tant séduit à l'origine. J'avoue même que je m'y perds quelque peu. En fait, tous ces phénomènes sont pour moi un véritable casse-tête. Et en l'absence d'ordinateur personnel, je suis bien dans l'incapacité d'y faire face. Aussi ma liste compte fatalement des cols qui n'en sont plus (??) et pose nécessairement sous silence des cols que j'ai pourtant gravis (??).

Qui peut dire aujourd'hui combien ma liste compte de cols ? Quel beau titre cela aurait pu faire. Mais ce n'est malheureusement qu'un cri. Le mien ! Heureusement reste l'essentiel. Le plaisir de découvrir la montagne à vélo. Car ces 1252 cols qu'ils soient... ou seulement... sont pour moi autant de moments privilégiés, souvent difficiles mais jamais ordinaires.

Jean-François MERMET

ANNECY (74)


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