Jadis contraint de boire, pour ma santé, l'eau puante d'Allevard les Bains, je n'aime guère les villes thermales et, quand je passe à Luchon, tous les cinq ans environ, je ne m'y arrête que pour remplir mon sac. Il pèse lourd ce matin, dans le raidillon qui grimpe vers l'Hospice de France et l'éboulement me fournit une bonne raison pour monter à pied. Le passage s'est un peu amélioré depuis 1978, l'Hospice, non. Plus question d'y passer une bonne nuit : des moellons obturent entrées et fenêtres, les locaux accessibles sont livrés aux moutons. Misère et décadence. Trente minutes plus tard, l'estomac garni, les pieds chaussés, je pars pour ne plus revenir : il fait beau cette fois sur le port de Venasque. Vieux passage historique mentionné dans nos vieux livres de géographie (on nous enseignait les passages muletiers à l'école primaire, le grain a dû lever sans qu'on s'en doute...) vieux projet aussi que j'ai inclus dans une mini-randonnée de cinq ou six jours; bon époux et bon père, j'ai promis de rentrer dans les délais... Voilà un col comme je les aime : larges lacets dans les prairies et les cailloux, pas de portage sauf vers le sommet, trois petits lacs étagés d'un bleu intense et un Hospice de France qui fait très bien en photo sur fond d'alpages. Oh ! L'excellente plaisanterie qui attend le randonneur ignorant, pris par la nuit et la pluie. Bien sûr, il peut s'arrêter au refuge du C.A.F. que je vais voir, pour ma culture montagnarde. Et bien, à part le toit et les murs... De là, on se demande où peut bien être le passage dans ce cirque peu engageant mais on le découvre vite, entaille dans la falaise où montent, sans la franchir, des dizaines de promeneurs. Saluts, causettes, explications habituelles. Une digne vieille dame tient un singe en laisse. Je pense au dromadaire circulant à gauche qui faillit me faire tomber il y a quelque vingt ans, du côté de Tardets, élément d'une ménagerie se livrant à un petit galop hygiénique en fin de journée. Une heure de descente me permet d'admirer les sommets voilés de la Maladeta. Reviendrai-je un jour en ce vallon faire connaissance du Trou du Toro et du Gueil du Jueù, où se perd et renaît notre Garonne ? Le chemin qui rejoint la route de Benasque est un sacré tape-cul, comme tant de chemins des Pyrénées espagnoles et ne donne guère envie de le faire en sens inverse. Retour aux lieux habités, courte visite de Benasque aux sombres ruelles, lente descente dans la tiédeur du soir et raides lacets de Chia. J'y trouverai, après deux demandes infructueuses ("No soy el duerno'.."), une grange à la tombée de la nuit, avec ce qu'il faut dedans, dont le verrou se manœuvre aussi de l'intérieur, détail important pour qui veut partir tôt sans se faire remarquer. Sous mes pieds, une femme n'en finit plus de nourrir et d'invectiver de petits animaux grouillants. J'essaie de manger sans faire de bruit. La nuit est calme, semée de tintements lointains et traversée d'effluves porcins. Ce trait plein (Michelin 43 pli 4), qui relie Chia et Plan, c'est, pour qui l'ignorerait, le chemin du Puerto de Sahun (1989 m) et long de 30 km si l'on en croit le gribouillis peint sur un mur à la sortie du village. Montée passable dans des terres arides, descente fort médiocre en forêt, qui évitent de toute façon un long détour par le petit col de Foradada, brûlé de soleil en août comme ses semblables, Pervès, Fadas, Sarrablo, etc. Tout en bas, au niveau du Rio Cinqueta, le torrent a emporté la route dont le nouveau tracé reste rive gauche. Au prix d'un peu de marche, je passe par Salina et m'en trouve bien. Ne prenez pas le petit déjeuner au restaurant sur la grande route, il est infect. Bielsa a une jolie placette de grand style, grouillante de touristes. Le tunnel a amené un libre service, une banque, des hôtels, des boutiques à souvenirs affreux, tels ces gourdins de toutes tailles ornés de devises "machistes" écrites dans un français curieux. Ports d'Urdiceto, de Moudang, de Barroude, de Pinède... le choix ne manque pas pour rentrer au pays. J'ai jeté mon dévolu sur le Port Vieux mais la pente est rude et soutenue jusqu'au tunnel. Devant la bouche noire, le vieux démon du doute et de la facilité me montre le départ exécrable du col dont le sentier a disparu depuis les travaux. Je fini par le retrouver et avec lui, la joie enfantine de grimper vers un col encore inconnu. |
Trop loin, ce Port Vieux, au fond d'un vallon interminable; une vague trace, vite perdue, me mène, au pif, au Port de Bielsa, tout aussi haut mais plus près. Deux heures de marche depuis le tunnel pour atteindre cette brèche d'accès facile. En France, la brume règne, le balisage serré et bienvenu me conduit juste à l'autre extrémité du boyau transpyrénéen (ouvert en octobre 76, 3.070 m de long, pente 5%, sortie en France à 1.820 m). Depuis Fabian, méchante grimpée le long de la Neste de Couplan, dans le jour qui finit. Les lacets ont de bien jolis noms : des Ecureuils, des Myrtilles, des Edelweiss... Je n'ai rien de l'écureuil, sinon mon poil hérissé. Ma sueur lutte contre la brume glacée et c'est transi que j'échoue, à la nuit, au chalet d'Orédon. Ici demeurent les bonheurs simples que sont un bon accueil, un repas chaud, un lit. Le corps s'abandonne, le vin endort, l'esprit vacillant décrète : "après nous le déluge". Mais justement il est là, le déluge et toute la nuit et le matin encore et à neuf heures rien n'en laisse prévoir la fin. L'énorme chien blanc et touffu, qui vient de faire dehors sa crotte matinale et qui en a vu d'autres vient s'essorer dans mes jambes. "Alors quoi, tu es encore là ?". Je me tâte. Redescendre sur Saint-Lary ? Pas drôle ! Alors, en route pour les sommets augustes ! Au bord du lac, les campeurs assument leur dure condition. La nature est facile à décrire, ce qui m'arrange bien. Dans le brouillard, une muraille grise : le barrage de Cap de Long. Des arbres. Sur le replat, vers les 2.000, Gribouille économisant ses pensées, chausse ses croquenots, s'enferme dans son blouson jaune serin pour bien y mariner et commence à sautiller de pierre en pierre le long du lac d'Aumar car le sentier est devenu canal. Et la grimpette commence, agrémentée de dérapages ponctués de jurons (ma voix me réconforte) Une pensée fugace au ménage Giraudin qui naguère vécut ici des heures difficiles et me voua au diable. Qu'ils se réjouissent : la malédiction s'est accomplie. L'eau cesse de tomber, enfin. Un des chaos rocheux s'enrichit des débris d'un feu rouge, lors d'un laborieux rétablissement. D'ordinaire, ce type de difficulté m'amuse, aujourd'hui, moins. Col de Madamète, premier rendez-vous manqué avec le Néouvielle, que le temps transformera-transforme déjà en souvenir heureux. Comme ce col ou voici un mois, trois vieux galopins méditaient, perplexes, devant un couloir vertigineux qui leur fit rebrousser chemin. Il y avait aussi de jolis lacs ensoleillés mais un nom à coucher dehors qui aurait dû éveiller la méfiance : le Landschnitzschatte. Tout ça pour ne pas grimper le Sölkerpass qu'il fallut bien "se farcir" le lendemain. Passons, passons... Au bout de 26 ans, je comptais bien refaire visite au Pic du Midi, lointaine pyramide tronquée sur fond de suie. Dégringoler ensuite sur Chiroulet par Oncet et le col d'Aoube. Partie remise. Déglutissant un pain humide, un oeil sur l'I.G.N. 276, je mijote une traversée future qui passera par Porter et Aubert. Et il fera beau ! Inch Allah... Au pont de la Gaubie - descente facile mais longuette - pluie, brouillard et froid revenus dissiperont mes dernières velléités de grimper le Tourmalet et me montrent, façon de parler, la route de Luz. Retour sans joie sur des routes trop connues et trop fréquentées, alternances d'éclaircies et de pluies diluviennes. Si le ciel daigne sourire sur le Plantaurel, le Kercorb est bien arrosé, la blanquette de Limoux aussi. Une formidable tramontane me propulse vers 1a mer, l'air de dire "File, on t'a assez vu". A Gruissan, les copains n'ont pu mettre à l'eau leur planche à voile. Femme et fille ne se sont guère baignées. "Moi, je me suis bien amusé". Il ne faut jamais perdre une occasion de faire des envieux. Marcel BIOUD CLAIX (38) |