Tiens, qu'est-ce qui m'arrive ? Où suis-je ? Quel luxe cette chambre, je n'ai pourtant pas l'habitude de descendre dans un 4 étoiles... Je sonne, il y aura bien quelqu'un pour m'expliquer ce que je fais ici... Bonjour mon cher collègue, vous voilà donc revenu à vous. Je suis chargé par nos dirigeants de vous chaperonner et de vous mettre au courant de nos coutumes. Votre vie terrestre étant terminée, il va falloir vous adapter à votre nouvelle vie éternelle. Pour l'instant vous demeurez dans un appartement de transit. Votre carrière cyclo sur la terre, ne pouvait que vous amener à nous rejoindre dans notre espace réservé. Comme tout le monde, nous avons notre paradis, notre purgatoire, notre enfer. Le conseil des sages après avoir statué sur votre cas, vous indiquera l'endroit que vous devrez rejoindre. Pour nous, il est temps de partir, nos vélos nous attendent, je suis à votre disposition pour vous faire visiter et répondre à vos questions. Si vous le désirez, nous commencerons par notre coin d'enfer... "Voici, nous arrivons, sentez-vous cette chaleur qui monte de la route ? Rassurez-vous, vous êtes conditionné pour ne pas souffrir de la chaleur. Les résidents ont chaud, très chaud Voici quelques heures que nous roulons, j'aimerais maintenant vous poser quelques questions. Par exemple, j'ai vu beaucoup de cyclos en train de réparer, souvent avec difficulté... "Oui, ça fait partie des inconvénients de l'enfer, chaque cyclo crève environ une fois tous les 10 à 12 kilomètres..." Pouvez-vous me dire qui sont ces jeunes gens au sourire de loup qui courent sur le bord des routes, s'arrêtent souvent et font le geste du semeur ?". Ce sont les diablotins chargés de semer sur les routes, des punaises, des clous et du verre pilé vous comprenez pourquoi ? "Mis à part les crevaisons et la chaleur, j'ai remarqué qu'une grande partie de notre parcours était plat, mais que c'est justement sur ces routes faciles, que nos collègues paraissent le plus abattu, le plus malheureux... "En effet certains des cyclos que vous avez vu sur ces routes plates, ne peuvent emprunter des parcours vallonnés, encore moins des parcours montagneux. Ils sont condamnés à rouler sur le plat. Ce sont tous des grimpeurs ayant appartenus pour la plupart aux clubs montagnards des "Cols Durs" ou des "Cent Cols". Ici ils sont connus comme étant des "Sans Col". C'est pour eux une terrible punition... "Qu'ont-ils fait pour mériter un sort aussi cruel ?" Et bien, entre autre choses, ils ont triché plus de trois fois en s'attribuant chaque fois au moins 5 cols qu'ils n'ont pas franchis. Nous les plaignons beaucoup, car ce sont malgré tout des montagnards. Vous vous rendrez compte de leur souffrance, ce soir à la séance de cinéma obligatoire et quotidienne pour eux. 0n leur passe intégralement, La Randonnée des Cols Pyrénéens, le Circuit des Vosges ou encore la Baule-Super Bagnères ou le Circuit des Aravis. Il y a aussi de fort beaux films sur les Cols Muletiers. Vous verrez et vous entendrez les pleurs et les gémissements de nos malheureux compagnons condamnés au plat. Nos autres collègues ont été condamnés à l'enfer pour des motifs très divers. Par exemple, celui qui un jour avait scié le cadre du vélo d'un de ses compagnons de club, ne peut pas faire 20 km sans casser son cadre, ce qui provoque une chute spectaculaire dont il se remet pour effectuer la réparation, avant de repartir pour recommencer 20 km plus loin... Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais nous venons depuis quelques instants de passer sur le territoire du purgatoire. Je vous laisse à vos découvertes... Et le temps a passé... Au cours des km parcourus, j ai vu des choses assez étonnantes. Mon cicérone se fera un plaisir d'éclairer ma lanterne. Ainsi j'ai vu des cyclos pédaler sans que le vélo avance, exactement comme s' ils étaient sur un home-trainer. L'explication, la voici . Ces camarades ont menti sur le kilométrage effectué lors de sorties ou de randonnées. Je peux vous citer l'exemple de celui qui s était vanté d'avoir fait 600 km en une étape, alors qu'il n'en avait fait que 260. Ici, au purgatoire, arrivé au 260ème kilomètre, il continue de pédaler mais n'avance plus que de 1centimètre par an, 10 cm en 10 ans, 1 mètre en 100 ans, etc Quand il aura atteint les 600 km, il recommencera une fois encore avant de bénéficier d'une amélioration. Le blocage au 260 km n existera plus, il pourra continuer à vitesse normale, et n'aura plus contre lui, que le vent. Le gars à qui on a infligé la même peine pour avoir voulu faire croire qu'il avait fait Paris, Brest, Paris, 1200 km, n'est pas sorti de l'auberge, lui qui a commencé à rouler à 1 cm par an dès le départ. Qu'en pensez-vous ?... "Je trouve la punition un peu sévère..." Que voulez-vous, c'est le tarif... "Bon pouvez-vous me dire pourquoi tant de camarades sont à la recherche de cachets de contrôle ? Ils ont plusieurs cartes de route, dont pas une seule ne porte un quelconque cachet. J'ai vu des cartes de randonnées permanentes, de BPF, de BCN, toutes vierges de cachet, que pouvez-vous m'en dire ? "Ce sont des cyclos qui ont par des moyens non conformes, en trichant si vous voulez, recueilli des cachets de contrôle soit par l'intermédiaire de copains complaisants, soit en utilisant un moyen de déplacement autre qu'un vélo. Maintenant il s'agit pour eux de recueillir des cachets sans tricher. Ils ont chacun 1000 cartes de 10 contrôles. Ce n'est pas énorme mais la difficulté principale, c'est que chaque cachet apposé s'efface automatiquement. Ce n'est que le millième qui restera sur la carte. Autrement dit, chaque cachet devra être recueillir 1000 fois... |
"Un autre camarade m'a intrigué par son comportement. Monté sur boyaux, il crève, répare très difficilement puisqu'il est obligé de découdre tout le boyau pour trouver la fuite. Naturellement il faut le recoudre, mais à peine monté sur le vélo, il crève et çà recommence indéfiniment. Qu'a-t-il donc fait sur terre ?... "' Celui là et quelques autres ont crevé au moins 2 fois les boyaux de certains de leurs anciens camarades. En ce moment nous avons 2 ex-adhérents d'un même club qui s'étaient mutuellement crevé leurs boyaux. Chaque fois qu'ils se rencontrent, il faut faire intervenir le service de sécurité pour éviter qu'ils ne perdent trop de temps à se taper dessus. Tous les autres habitants du purgatoire ont des punitions très différentes mais toujours en rapport avec les faits qui leur sont reprochés. Il est temps de visiter le paradis, je souhaite que votre comportement sur terre vous l'ait fait mériter..." Des routes plates ou bossues, des côtes et des cols de différentes longueurs et différents pourcentages, des routes bordant des océans, franchissant des montagnes, traversant de magnifiques forêts, routes impeccablement macadémisées, d'autres moins bien entretenues, chemins de montagne, sentiers de chèvre menant à de splendides alpages. Votre paradis ne m'étonne pas, les parcours sont identiques à ceux qui ont fait ma joie de vivre. Tous les cyclos rencontrés se comportent comme leurs collègues sur terre. Les uns souffrent sur certaines pentes, parfois sur le plat où ils peuvent se prendre plus facilement pour Hinault dans un contre la montre. J'en ai vu roulant tranquillement les mains en haut du guidon regardant les beautés de la nature. J'ai vu des vélos de compétition et leurs grands braquets, mais aussi des vélos qui auraient pu être du modèle fédéral, avec sacoches, garde-boue, éclairage et petits braquets. Certaines choses m'ont parues changées. Je n'ai pas vu de crevaison, pas d'auto. Le comportement des cyclos entre eux m'a semblé très amical... "Mon cher ami, vous êtes au paradis des cyclos, il fallait bien éliminer certaines choses qui font notre malheur sur terre. Les automobilistes ont leur paradis, donc ne nous gênent plus sur nos routes. Nous nous servons de pneus ou de boyaux absolument increvables et inusables. La peinture ne s'écaille plus, les rayons ne rouillent pas, les roulements sont graissés pour l'éternité, la poussière ne colle pas, la pluie ne nous mouille pas, le vent, très rare, nous pousse toujours. Vous m'avez dit avoir trouvé les parcours identiques à ceux qui ont fait votre joie de vivre. C'est exactement ce que nous avons voulu, que toutes et tous retrouvent au paradis ce qui a fait leur joie de vivre sur terre. Chacun choisit un parcours suivant ses possibilités. D'avoir éliminé certaines choses dangereuses ou contraignantes à amélioré le caractère de tout le monde. Personne ne fait plus attention à la moyenne horaire ou au kilométrage parcouru par les collègues. Les discussions sur les 650, les 700, sur les pneus ou les boyaux, les gros ou les petits braquets, les couraillons ou les cyclistes du dimanche matin, n'existent plus. Chacun fait ce qui lui plait et trouve un ami totalement compréhensif en chacun des cyclos du paradis... Nous voici arrivé au terme de notre visite. Vous avez vu ce qui vous attend. Peut-être avez-vous une petite idée de l'endroit où vous irez. N'ayez aucune appréhension, du purgatoire et même de l'enfer, on en sort. Bien sûr, ça demande pas mal de temps, des centaines de siècles parfois. Qu'est-ce que ça peut faire, le temps ne compte plus, vous avez devant vous l'éternité. ... Et alors, René, voilà deux fois, que je t'appelle, il faut te lever, nous partons dans une demi-heure.... "Ah ! mon vieux si tu savais le rêve que je viens de faire..." Tu nous raconteras en roulant, il faut partir, le parcours est assez long aujourd'hui, les routes pas trop bonnes et avec leurs boyaux nous risquons d'être retardé par les crevaisons... '"J'espère que nous ne crèverons pas tous les dix kilomètres..." Et puis quoi encore ?... René LAPEYRE BIARRITZ (64) |