Page 54 Sommaire de la revue N° 12 Page 55b

Cyclalpinisme

Revue N° 12 Page 55a

N'a pas longtemps, qui n'a connu Cyclo
Au petit pied traîne-misère,
Signe extérieur de l'infortune : un clouvélo
Sous-chef d'oeuvre en péril, vestige de naguère.
Jurant, pestant grands dieux à la moindre grimpette,
Trempé, fourbu, sous sa casquette,
Déjà plus dans la course à 4 ou 5 pour cent,
Sous le poids de la pente aussi bien que des ans,
Le rêve-dérailleur devenait obsédant,
Pour lui épargner la pompette,
Quand la tripe et l'âme en déroute,
Il pédalait dans la choucroute ...

Plus que tout un chacun, il guignait sa manette,
Le dernier cri du Changement :
S'il est bon ton de broutiller au ras du sol,
Comme en patis, force moutons
Des panurges de peloton,
Il est bien plus grisant de survoler les pentes
Et sans trop se pousser du col,
Longeant les sentes qui serpentent,
Monter doucement au mitan des sapins ..

Onc le voilà, quérir le nécessaire
Et sans souci pour les copains,
Devenir le propriétaire,
A grand renfort de ducatons,
Sans craindre l'I.G.F., ou le qu'en dira-t-on,
D'un bijou, d'un engin en or,
Un vrai trésor,
De quoi se mettre en équipage
Vers l'Olympe de ses nuages ...
Et de jouer les Poulidor.

Bagage fait, s'en fut fort sage,
Envisager son recyclage.
Négligeant pollution, fumées, foules et bruit,
Loin des monstres pétaradant de toute engeance,
Trotte-menu, de jour, de nuit,
Point de cesse, point de relâche,
Sous le guidon de sa moustache,
Par monts, par vaux et en cadence,
Matineux et tranquille, il sillonna la France ...

Le sort le mit, ou plutôt le destin,
Un foutu jour, sur le chemin
D'un jongleur de l'abîme, un mordu des ravins,
Pour tout dire un cent-cols, un fada de montagne,
Et son esprit se mit à battre la campagne ...

Lors, on le vit hanter des sentiers peu battus,
On le vit s'accrocher, opiniâtre, têtu,
Sur les sites les plus pentus,
Défiant Phoebus aux crins dorés
Ou les orages ignorés,
Se jouant des rochers, des torrents, des crevasses
L'oeil fixant les sommets et les aigles en face,
Portant plus souvent que porté,
Et devenir en un été Je vous le dis sans galéjade,
Bonatti du vélo, le roi de l'escalade !!!

Mais je crains fort, moi, voyez-vous,
Que parti comme il est parti,
Il ne fasse un mauvais parti
A Pénélope la fidèle, à sa monture,
Pour acquérir, à sa pointure,
Grimpeur impénitent, double chausses à clous ...

J. BENSARD

Grenoble (38)


Page 54 Sommaire de la revue N° 12 Page 55b