Les sanglots longs Des violons de l'Automne Blessent mon cceur D'une langueur Monotone... Paul Verlaine La montagne est en train de revêtir son étincelant manteau blanc et de fermer les accès de ses cols aux plus téméraires des cyclos. Ma bicyclette est rangée au fond du garage; elle hiberne et attend que je lui refasse une santé d'acier en vue des contraintes de l'année prochaine. Durant ces mois d'automne et d'hiver, mes souvenirs me reviennent par milliers, comme les oiseaux du jardin du Luxembourg qui accourent en foule vers les passants qui jettent des miettes de pain. En cette période de méditation monotone, le souvenir de mes randonnées maintient en moi l'amour de la bicyclette; et l'absence de sorties cyclotouristiques, qui diminue les médiocres passions, augmente en moi celle de la montagne, comme le vent qui éteint les bougies et allume le feu. Quand j'écoute le premier mouvement de la première symphonie de Mahler, avec ses longues tenues, ses sonneries lointaines de trompettes, ses chants de cors, ses appels de bois, je me souviens de mes premières sorties printanières dans nos montagnes vosgiennes et de mes sentiments d'admiration devant la nature qui s'éveille après un long sommeil hivernal. L'aurore aux doigts de fée qui sort de son berceau de brume, l'heure où blanchit la campagne, la lumière qui frémit à travers les branchages, sont des spectacles qui laissent aux premières randonnées de chaque saison le cachet inoubliable des merveilles de la nature qui renaît. Progressivement, le temps abandonne le vent, le froid et la pluie au profit d'un soleil luisant, clair et beau au milieu d'un ciel net, pur et limpide. Les projets de grandes randonnées en montagne, élaborés durant les longs mois d'hiver, verront bientôt leur réalisation. Cette année, en compagnie de mon ami Jacques, j'ai effectué une randonnée alpine de quinze jours dans les Alpes de haute Provence et j'ai profité des splendeurs de nos quatre grands massifs montagneux grâce aux Brevets cyclomontagnards français. J'ai également eu l'occasion de rouler dans les hautes Vosges durant mes trois mois de stage d'étude à Colmar. Mes randonnées en montagne me laissent chaque année des souvenirs inoubliables, car en montagne la souffrance est notre maîtresse. Nous y mobilisons toutes les forces accumulées durant l'hiver pour vaincre la résistance de la nature et pour livrer le plus rude des combats : celui de s'efforcer à se vaincre soi-même. Je me souviendrai toute ma vie des randonnées durant lesquelles j'ai souffert pour vaincre la nature, notamment du circuit des Aravis 1982 et de la randonnée du Velay-Vivarais 1983. |
Lors du circuit des Aravis, que j'ai parcouru en solitaire, j'ai souffert du froid. Il pleuvait depuis le début de la randonnée; j'étais habillé avec ma tenue d'été, cuissard court et maillot à manches courtes, car nous étions en plein mois de juillet; j'arrivai au col de la Colombière trempé de part en part par la sueur et la pluie; mais au col la température frisait zéro degré, et la descente fut un véritable calvaire de frissons et de claquements de dent. Lors de la randonnée du Velay-Vivarais, que j'ai parcouru en compagnie de mon ami Jacques, j'ai souffert de la chaleur. Il était midi; notre soleil, le roi des étés, était épandu sur la montagne et tombait en nappes d'or des hauteurs du ciel bleu; tout était muet sous la chaleur; l'air flamboyant me brûlait avec l'odeur de la souffrance; la terre et le goudron des routes étaient assoupis en leur robe de feu quand j'attaquai le col de la Croix de Bauzon; l'ascension de ce col fut un véritable chemin de croix où j'avançais de ruisseau en ruisseau pour me donner, par la brève fraîcheur de quelques gouttes d'eau, l'espoir d'en finir avec la souffrance de la chaleur. Malgré tous ces moments pénibles, j'aime la montagne, car tout ce qui me demande aucun effort n'est que temps perdu; car la victoire sur la montagne est d'autant plus belle que l'effort pour la surmonter a été intense; car l'effort est la méditation par laquelle la volonté allume l'essor d'une passion; car l'ascension de la montagne, comme le décrit Richard Strauss dans sa symphonie alpestre, est une succession de plaisirs sensoriels: les doux présents de l'aurore, la grandiosité du spectacle alpin, les gloussements des ruisseaux de montagne, l'orage qui vous accueille pathétiquement au sommet du Galibier avec son tonnerre et ses foudroyants éclairs, les cris de marmottes, ce sympathique habitant de nos montagnes, les parfums enchanteurs de nos fleurs alpines, l'air pur et frais qui règne sur un col à plus de deux mille mètres... Comblent notre âme de jouissances. Mais voilà déjà que les derniers rayons de soleil achèvent de mûrir les grappes de raisins de nos coteaux. Nos derniers plaisirs cyclotouristiques de la saison nous sont offerts par la sortie en famille du Kochersberg. Le rossignol se tait comme les sirènes de la montagne. Il neige. On est vaincu par le froid. Et comme chaque année, mes souvenirs éveillent en moi la nostalgie des grands espaces montagnards et des ascensions de grands cols. Fabien DIEDERICHS |