Pendant mes congés de juillet j'ai effectué, en compagnie d'Alain, la Randonnée permanente du Reblochon; une création du Club Cyclo de Thones. Une trentaine de cols à se mettre sous les roues; de quoi satisfaire les plus gourmands du club des Cent Cols ! Aravis, Colombière, Arpettaz, Saisies, Forclaz, Glières, figurent parmi les plus huppés du circuit, sans oublier... celui de Bassachaux. Ce col est le trait d'union entre la vallée de Morzine et celle de Châtel. Les notes fournies par l'organisateur nous préviennent que : "Le col compte cinq kilomètres de route non revêtue à ce jour. Le port de chaussures, genre "pataugas" est vivement conseillé.". Sur quel os allons nous tomber ! Bof ! Après tout, nous en avons vu bien d'autres avec en particulier la descente aux enfers du col du Granon, côté hameau de Granon ou même la montée du Port d'Aula où il est bon d'avoir des talents d'équilibriste. C'est par la pimpante station de Morzine que nous avons décidé de "l'attaquer". La route serpente dans les alpages puis dans les bois. Nous découvrons le joli lac de Montriond dont les eaux vertes s'enchâssent dans une ceinture de mélèzes. Trois kilomètres plus haut, nous débouchons aux Lindarets dans une zone de pâturages. C'est un de ces lieux touristiques où l'on vend les habituels produits de la montagne. Des chèvres (certainement les seuls vrais indigènes de l'endroit) déambulent très à l'aise, parmi les voitures et les chalands. L'une d'elles a la malencontreuse idée d'aller se gratter contre le vélo d'Alain et y met tant d'ardeur qu'elle finit par le faire tomber. Fureur noire de mon camarade ! Il voue aux gémonies la stupide bestiole qui s'éloigne en rigolant dans sa barbichette; c'est du moins ce qu'il me semble... A la sortie du hameau, nous laissons la route goudronnée pour nous engager sur un vaste plateau. Un randonneur pédestre va nous indiquer la direction à prendre car nous avons le choix entre plusieurs voies sans aucune signalisation. C'est donc par la gauche et "tout à gauche" que nous nous élançons gaillardement vers le col de Bassachaux... Pour être presque aussitôt stoppés par la rudesse de la pente, la caillasse abondante et les ornières profondes. C'est d'ailleurs dans l'une d'elles qu'est venue s'échouer une Jeep 4 x 4, présentement abandonnée à son triste sort par son propriétaire. Mauvais présage car si un véhicule tout-terrain n'a pu réussir à passer, comment nous, pauvres humains sans crabot, allons faire ? |
De plus le ciel se met au diapason. Il roule de gros nuages noirs et le vent forcit; c'est un orage qui se prépare. De toutes façons nous n'avons plus le choix car il est déjà 18h.30. Il nous faut absolument arriver à Châtel avant la nuit et si possible avant la pluie. Rassemblant notre énergie, nous nous hissons sur le sentier, poussant le vélo en ahanant; nous devons nous arc-bouter tant le pourcentage est sévère, le coeur battant la chamade ! Faute de pataugas, je dois reconnaître que les chaussures cyclo à semelles crantées s'avèrent efficaces dans ce genre de terrain. La route est coupée par des tranchées profondes et larges qui nous obligent fréquemment à soulever le vélo lourdement chargé et à le propulser sur l'autre rive. Travail de romain ou plutôt de mulet ! C'est bien d'actualité. Nous sommes sur de ces chemins muletiers naguère fréquentés par des quadrupèdes transportant du matériel ou des marchandises. Or ils ont, depuis belle lurette, disparu de cette contrée. Pourtant, les sentiers dits muletiers sont toujours empruntés. S'ils gardent cette appellation, c'est certainement parce que des bipèdes ont remplacé les animaux de service. Les bipèdes, vous l'avez deviné, ce sont les cyclos que l'on rencontre en pareils lieux, pliant sous le fardeau de leur propre monture ! Foin de ces élucubrations ! Mulets ou pas, nous progressons quand même malgré les embûches dressées sous nos pas et finissons par aboutir sur une sente nous obligeant de nouveau à faire du portage. Nous atteignons enfin un plateau herbeux d'où part un chemin en pente douce. Un panneau directionnel en bois nous indique que c'est bien celui qu'il faut prendre pour arriver au but. Ce sera l'affaire d'une dizaine de minutes seulement car, de mulets, nous redevenons cavaliers; situation nettement plus en conformité avec notre discipline et permettant, par ailleurs, un cheminement plus rapide. Lorsque nous débouchons au col, nous découvrons côté Châtel un paysage d'une beauté farouche et même quelque peu diabolique. Sans doute est-ce un effet de la lumière ambiante, couleur lie-de-vin. L'orage est sur le point d'éclater, déjà de grosses gouttes de pluie s'écrasent à terre, aussi nous lançons-nous, sans plus attendre, dans la descente goudronnée qui mène vers la vallée. Alain n'a pas franchi 500 mètres, qu'il fait la plus belle chute de sa carrière de cyclotouriste ! Je soupçonne la chèvre des Lindarets de lui avoir jeté un sort... Mais ça, c'est une autre histoire ! Jean-Jacques LAFFITTE NIORT (79) |