Il est drapé dans son paletot gris délavé, son écriture est lente. Il a tracé sur le flanc de la montagne abrupte, son long chemin, comme une belle page d'écriture. Les lacets de la route, des pleins et des déliés ; il les a consciencieusement dessinés sur le grand tableau vert de la pelouse alpine. A chaque course nouvelle, il nous a laissé son message que nous essayons d'éclaircir depuis le pied de ce passage élevé ; et nous voilà étonnés dans nos blouses sans col, aux poches ventrales mal taillées... Il vient d'abandonner cette belle écriture harmonieuse pour se jeter à corps perdu dans de hideux graffiti en dehors des chemins battus. Il faut être tête comme la mule pour s'acharner à vouloir écrire ainsi hors des normes, avec cet étonnant objet : cet étrange outil, si peu adapté à ce genre d'écriture, qui lui fait côtoyer l'abîme, en perpétuel déséquilibre sur deux roues. On a cru deviner un sourire dans la barbe d'apôtre du maître des cols, lorsqu'il s'est arrêté pour boire à la source ; plusieurs porteurs de blouses colorées aux poches dorsales mal taillées avaient franchi le col, hagards et pressés, sans prendre un peu de temps pour se recueillir. Ainsi, certains étaient dévorés, détruits par le col et d'autres s'en nourrissaient et, une fois repus, étaient prêts à repartir vers de nouvelles conquêtes. Pour le maître des cols, ce n'était qu'une cueillette de mille fleurs aux collerettes multicolores et la cueillette suffisait pour alimenter le feu qui éclairait la grisaille des jours. |
Peu importait les fleurs et leur nombre, ni leur place : edelweiss perchés tout prés des glaciers ou pâquerettes rase-mottes aux abords d'une plaine : il était important de toujours en cueillir. Il était nécessaire de toujours espérer en trouver quelque part, une, deux ou trois nouvelles. Sa démarche était humble : elle lui faisait toujours choisir le point le plus bas pour rejoindre l'autre vallée en respirant la poussière grise des chemins. Mais le maître des cols sait, et nous enseigne que nous sommes faits de cette même poussière des routes qui se met parfois à étinceler sous le soleil lorsqu'il secoue son paletot gris délavé, en fin de saison. Cette poussière est son souvenir, elle a le goût de la joie qu'il veut nous faire partager en nous livrant son histoire. Et l'on a envie de communier en goûtant à cette poussière de col, de retrouver la saveur indéfinissable qu'elle a laissé sur nos lèvres, quand nous avons atteint le passage. C'est cette lumière fugitive qu'il était parvenu si souvent à saisir, pour devenir... le maître des cols. Pendant que nous dévorons la route dans nos blouses sans cols aux poches ventrales, mal taillées ; hagards, avides et insatiables ; il roule ou rêve, tranquille, dans son paletot gris délavé, sur des rubans d'asphalte bleutée, en savourant paisiblement toutes les poussières de route...le maître des cols. Michel Cartier-Moucin |