(voir le chapitre 1 dans la revue N° 3) En recevant la dernière revue de notre club, j'ai lu que nos amis auvergnats organisaient le 21 août 1988 un rassemblement au col des Dansadoux. Ce col, que les cartes Michelin désignent souvent sous le nom de col de Faye à l'altitude de 1030 m, figure dans le catalogue Chauvot sous références 76-07-17-11. Ce col m'est particulièrement cher car il évoque pour moi un bien singulier souvenir entre autres souvenirs familiaux ceux-là, mais procédons par ordre. Au bas du col versant Est se trouvent le gros bourg de Viverols et le petit village d'Eglisolles où est né mon grand-père en 1863. Amis auvergnats, je suis un peu des vôtres. Ce brave homme était né au lieu dit "Vertamy", une ferme isolée dans la montagne où les nuits d'hiver, des loups affamés venaient hurler autour des bergeries. Ferme où l'on n'accédait que par des sentiers, la route carrossable n'ayant été construite qu'en... 1979, encore s'agissait-il de desservir un relais télé installé sur un sommet voisin. Je me souviens y être monté à vélo en 1941. J'y fus, parait-il, le premier véhicule autre que char à bœufs, c'est du moins ce que m'ont dit mes amis locaux, à l'époque, en s'efforçant bien maladroitement de garder leur sérieux. A une dizaine de minutes de là, le hameau du Verdier, berceau de la famille Daurat dont l'un des siens prénommé Didier (né à Montreuil/s Bois), fut l'un des pionniers de l'époque héroïque de l'Aéropostale. En résumé, si lui et moi ne sommes pas descendus des montagnes, c'est que nos aïeux en sont descendus avant nous. Toujours à Eglisolles, au hameau de "la Grange" se serait caché le jeune Louis XVII, mais là je suis un peu sceptique. Les supposés refuges des Enfants du Temple, c'est un peu comme les chapeaux de Napoléon et les lits à baldaquin de Catherine de Médicis, à croire que l'un, comme le chantait Brassens "n'a jamais quitté son chapeau devant personne" et que l'autre, à passé sa vie au lit. Passons à Sauvessanges, un village voisin où au XVIIIe siècle, un certain Seigneur de Crozet, qui s'était mis en tête de découvrir ce que Christophe Colomb avait oublié, découvrit à l'ouest des Kerguelen, un archipel qui porte son nom et qui appartient toujours à la France. Au milieu de tous ces petits villages, Viverols qui en est le chef-lieu de canton et la plaque tournante, a aussi son grand homme,: Henri Pourrat, l'auteur de l'immortel Gaspard des Montagnes, dont la notoriété va bientôt supplanter le nom de Livradois où se déroule l'action de cet ouvrage. Il y a déjà un itinéraire dit "route de Gaspard des Montagnes". Henri Pourrat (1887 - 1959) était né à Ambert mais sa famille possédait une maison de vacances à Viverols ; aujourd'hui ça s'appelle une résidence secondaire et elle y venait souvent. Mon grand-père l'a très bien connu alors qu'il était encore enfant. Personnellement, je n'ai jamais rencontré ce grand écrivain, mais je me souviens très bien, vers 1933-34, avoir fait quelques tournées de chevaux de bois à la fête patronale avec sa nièce prénommée Lucette. Elle avait un frère aîné qui s'appelait Louis et qui fut malheureusement enlevé à la fleur de l'âge par je ne sais trop quel mal. Comme c'était un fervent adepte des sorties à bicyclette, quelques bonnes langues du pays ne manquèrent pas de rendre le vélo responsable de ce trépas prématuré sans autre explication scientifique qu'un refroidissement négligé. Le vélo fut donc qualifié "Engin de Mort", terme que je devais entendre bien souvent répété par la suite et qui ne facilita guère mes débuts cyclo au pays de mes ancêtres. Mais que cela ne vous empêche pas d'aller faire un petit tour à Viverols, y admirer les ruelles pittoresques du vieux bourg, son petit musée d'histoire locale et surtout, les imposantes ruines de son château féodal. Au début du siècle, un espèce de Béotien l'avait acheté avec l'intention de le démolir et de reconstruire je ne sais trop quoi, avec les matériaux récupérés : de magnifiques pierres. Quelques charges de dynamite eurent vite fait de venir à bout de toutes les vitres du village, et cela sans grand dommage pour le château, hormis une cicatrice au bas d'une tour et parait-il, une dans le fessier du Béotien chassé par les villageois. Quand cette visite sera terminée, ce sera l'heure de la pause casse-croûte, alors profitez en pour déguster les merveilleux saucissons de mon ami Paul Morel (pub gratuite). Quand vous verrez ce magnifique réseau routier qui dessert la région, les jeunes auront bien du mal à imaginer que dans les années trente et même après, il n'y avait dans le périmètre limité par Ambert, St. Anthème, St. Bonnet le Chateau, Usson en Forez et Arlanc, aucune route goudronnée ; les départementales étaient des chemins étroits, caillouteux, poussiéreux et bosselés, notamment celle du col de Chemintrand, la piste de toutes (…) où deux cantonniers armés d'une petite mallette avaient pour mission de casser trois kilomètres de tas de cailloux entre Viverols et le hameau de Paillanges. Du travail assuré pour un bon demi-siècle, si la guerre n'avait mis un terme à ce chantier digne du Moyen-Age. |
Mais le col des Dansadoux, que devient-il dans cette histoire ? J'y arrive (enfin). Nous sommes en 1935. Après avoir réussi brillamment (hum) mon CEP, mon père m'avait offert le vélo depuis longtemps attendu et il fut décidé que je passerais les vacances scolaires chez Marraine à Viverols, en emmenant le vélo bien entendu. Si j'avais été un peu plus perspicace, j'aurais vu que Marraine avait gratifié le vélo d'un regard dépourvu d'aménité qui ne laissait rien augurer de bon pour l'avenir. Ma seule préoccupation était de grimper un plus de 1000 m, et pour cela, j'avais le choix : Chemintrand et Dansadoux ; les Pradeaux, c'était un peu trop loin. Vous m'objecterez que Viverols étant à 870m ; grimper entre 1030 et 1080 ne demandait pas une grande dépense d'énergie mais quand on a 12 ans, on ne se préoccupe guère de ces détails. Il se trouvait qu'un autre jeune vacancier prénommé Etienne avait fait le même projet. On se mit bien vite d'accord ; Dimanche Chemintrand et lundi le Dansadoux. Chemintrand ne nous posa aucun problème, cela nous avait même paru trop facile. Après un bref arrêt en haut du col, ne pas manquer l'arrêt à la vieille auberge Batisse où peu de choses ont changé depuis le second empire ; il fallut redescendre car Etienne devait être présent à la maison où l'on recevait la tante Casse-Pieds qui habitait Usson ; une brave femme aux accolades redoutables où l'on risquait rien moins que se faire éborgner par sa monture de lunettes, se faire racler l'épiderme par sa joue aussi râpeuse que celle d'un vieux sapeur et de plus, qui sentait le mouton. C'était du moins ce que prétendait Etienne. Ce fut le lendemain que les ennuis commencèrent. La tante était rentrée à Usson en oubliant ses lunettes à Viverols. Etienne avait donc reçu l'ordre de les lui rapporter, donc pas de Dansadoux ; tant pis, on n'en était pas à un jour près. Etienne m'ayant demandé de l'assister dans cette épreuve, j'acceptais, mais étant bien entendu que je l'attendrais sur la place du village, ne tenant pas du tout à voir et encore moins à connaître la tante Casse-Pieds qui sentait le mouton. C'est au retour que le drame se produisit. Au bas d'une descente, à la sortie d'un virage, juste avant le pont sur l'Ance, limite départementale entre la Loire et le Puy de Dôme, un virage très sec avec cailloux, gravillons et bouses de vaches qu'Etienne négocia tant bien que mal et que je ne négociais pas du tout. Quel plongeon. Il s'en fallut de peu que, décollant de ma selle en terre Forézienne, je n'atterrisse en terre Arverne. Le vélo s'en tira pas trop mal mais votre serviteur : genoux, coudes, menton, bonjour les dégâts. Inutile de vous décrire l'arrivée chez Marraine après avoir, suprême vexation, traversé tout le village dans cet état. "A l'étable" vociféra-t-elle. Ce n'était pas à moi que cet impératif s'adressait mais au vélo qui termina piteusement les vacances sur une botte de paille à portée des coups de queue de la Roussotte quelque peu intriguée par ce voisinage. Heureusement que Marraine a vécu assez longtemps pour connaître l'ère des engins polluants, pétara- dants et écrasants. Suivit la lettre aux parents "inconscients" qui mettaient de pareils "engins de mort" entre les mains d'enfants inexpérimentés, lettre qui rappela à Papa et Maman un autre incident, vieux d'à peine trois mois mais pour cela, consulter la revue N° 3. La rentrée scolaire cette année là n'eut rien de triomphal, papa ayant décrété et cela sans appel, que si à la caserne je me tenais sur un cheval comme sur un vélo, je serais tout juste bon à brouetter le crottin (il avait été dragon). Et pour couronner le tout je dus encore me faire opérer des végétations. Je m'en rappellerai, des vacances de 1935. Le col des Dansadoux fut remis à l'année suivante, autrement dit un siècle pour un gamin de 12 ans, mais à cet âge- là, on évolue vite ; l'année suivante les vacances chez Marraine, cela faisait un môme attardé, je préférais les ballades avec les copains et à Viverols, "l'engin de mort" était toujours interdit de séjour et pas seulement chez Marraine. Une année passa encore. Je n'étais plus écolier, pas très studieux, mais marmiton dans un restaurant et cela depuis trop peu de temps pour avoir droit aux congés payés. Puis les années passèrent, puis il y eut ceci, puis il y eut cela... Le col des Dansadoux figure sur ma liste sous le N° 378 en date de juin 1965 alors qu'il aurait dût porter le N° 3 en date d'août 1935. Trente ans pour grimper un col de 5 km à 4% est une prouesse dont peu de mes confrères peuvent se glorifier. Si quelqu'un a fait mieux... René LORIMEY |