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Cuvée mâconnaise

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Nous étions le 24 août et, dans ce pays viticole, on parlait déjà vendanges. La cuvée s'annonçait fort belle et celle du "cueilleur de cols" ne serait pas mal non plus : près de 80 cols nouveaux pour 1988. Il aimait bien ces pays de vignes car, il l'avait souvent constaté, quand il y a vignes en coteaux, les cols foisonnent aussitôt. Corbières et Beaujolais en étaient les exemples les plus fameux. Les professionnels de la bouteille avaient d'ailleurs dû remarquer cette singularité puisque pour eux, et quelle que soit sa contenance, une bouteille s'appelle simplement un col !

Nous étions donc le 24 août et il avait épuisé les ressources du Beaujolais (en cols, pas en vin). Son programme prévoyait à présent la découverte du prolongement vers le nord de ce massif montagno-vineux, à savoir le Mâconnais.

Il prit donc son départ du carrefour de la Valouze. Mauricette l'avait déposé là et avait continué tout droit pour aller à Cluny, visiter avec Magali, les haras nationaux. La mise en jambes fut courte, à peine trois kilomètres de faux plat pour atteindre Bourgvilain dont rien, il put le constater, ne justifiait le nom. Là, commençait le premier col au nom lui aussi curieux, le col des Enceints. Bien que, fidèle à son habitude, sa vitesse ascensionnelle fut particulièrement faible, il n'eut pas l'occasion de vérifier à quoi pouvait bien ressembler un enceint et il en éprouva de la frustration. La forêt était dense et le protégeait des ardeurs du soleil, œ qui ne l'empêcha nullement de suer abondamment sur cette première pente. Au sommet, à 529 m, la vue s'ouvrait largement sur un Mâconnais embrumé mais il put néanmoins apercevoir, là tout près, les roches de Vergisson et de Solutré, pays du "Pouilly-Fuissé", nectar dont il avait acquis quelques bouteilles les jours précédents.

A Pierreclos, pour lui qui, quelquefois, écrivait en vers, la suite de l'itinéraire était obligatoire. Il lui fallait prendre à gauche pour le pèlerinage lamartinien à Milly. Il photographia son vélo devant la grille du château de Larmatine enfant et eut un regard ému en relisant ces vers qu'il avait appris, voilà bien longtemps : "Objets inanimés, avez vous donc une âme.

Qui s'attache à notre âme, et la force d'aimer ?" Il put s'entretenir quelques instants avec la belle-fille de l'actuelle propriétaire, puis il repartit vers d'autres sites lamartiniens (Berzé le Châtel en particulier), au gré de l'ancienne route nationale 79, bien tranquille depuis que, profitant de la trouée du T.G.V., une nouvelle voie, bien plus rectiligne, avait été ouverte au trafic. Il passa ainsi dans le calme et sans efforts démesurés, le col du Bois Clair (396 m) avant de retrouver, pour quelques instants seulement, la circulation intensive de la RN. 79. Il bifurqua bien vite pour aller à Cluny retrouver Mauricette et Magali qui l'attendaient pour le repas de midi, qu'ils prirent sur une table du jardin public, au pied de la belle tour du XIIe siècle. Il n'avait pas pour autant quitté les pas du poète, car Lamartine venait souvent à Cluny, méditer devant les ruines de la célèbre abbaye, sur l'aveuglement et la cupidité des hommes qui n'hésitèrent pas à détruire ce chef d'œuvre de l'art roman.

I1 quitta, à regret, cette si jolie petite ville, mais il la vit encore longtemps en escaladant le col des Quatre Vents par une petite route, à nouveau très ombragée. Au sommet (494 m), il quitta le Clunysois, du moins des yeux, car le reste de l'après-midi allait l'entraîner plus près de la Saône, au-dessus de Tournus. A Donzy le Pertuis, il s'accorda un tout petit crochet, juste pour rajouter à sa collection le col de la Percée (468 m) qui lui offrit, malgré la faible altitude, un panorama assez large. Il descendit ensuite jusqu'à Blanot, village ancien où le temps semble s'être arrêté à jamais sur les murs blonds dont l'entretien a su respecter la patine. La montée au col de la Croix (486 m) le fit passer devant l'entrée des grottes qu'il aurait bien aimer visiter, mais le temps, désobéissant à Lamartine, ne suspendait pas son vol et il fallait bien avancer... Sous de frais ombrages et par une route de crêtes, il atteignit encore le col de la Pistole (464 m) où il quitta le bois du Mont St Romain pour plonger sur le plateau de Bissy.
Les villages à présent défilaient, noyés dans un océan de vignes ; Bissy la Mâconnaise, Lugny, Fissy, Chardonnay au cépage mondialement connu. Il passa (on ne saurait dire escalada) le col de la Préole (300 m) puis, après le petit village de Plottes à l'église perchée, celui de Beaufer (303 m). N'eut été la vue sur Tournus, l'horizon lui aurait paru monotone car trop de vigne l'avait lassé.

Par la petite vallée de Natouze, il reprit donc le chemin de la "montagne", disons plutôt des hauteurs. Il aurait très volontiers photographié le château du XIe siècle d'Ozenay mais trop d'arbres le cachaient pour que le cliché fût intéressant. En revanche, celui de Chavy s'offrait, en plein milieu d'un champ, avec en premier plan, une magnifique grille en fer forgé. 1l fut un peu déçu de ne pas pouvoir mettre son vélo sur la photo mais le fossé devant le mur de clôture était vraiment trop profond pour cela.

Ce fut ensuite Martailly les Brancion puis, au terme de la facile ascension du col de Brancion (354 m), le village médiéval du même nom, surmonté de son château. 1l était à nouveau sur le versant Est des monts du Mâconnais et la vue étendue lui offrait le célèbre clocher de Chapaize, le plus haut des édifices romans de la région. 1l descendit vers la chapelle sous Brancion puis une petite route vallonnée le conduisit jusqu'à Collonges. Le vent du sud avait déblayé le ciel qui avait été un instant menaçant et il le poussait violemment dans cette partie de son itinéraire.

La carte Michelin l'avait bien averti, le col des Chèvres se méritait. Les deux chevrons de la carte se retrouvaient bien sur la route et il peina pour atteindre le sommet. Le soleil, trop chaud, ne lui facilitait pas la tache et sa gourde était vide depuis longtemps. Un écureuil qui passait par-là, fut tout surpris de voir ce cyclo, qui venait tout juste de réussir une série complète de brevets fédéraux avec dénivelé, recourir à la moulinette pour se hisser à 419 m d'altitude. Et la forêt tout entière colporta ironiquement la nouvelle, propagée par le vent. Le sommet fut malgré tout atteint et la descente fut si rapide que, dans un virage où la vitesse était limitée, il aurait pu être arrêté pour excès de vitesse par deux gendarmes qui, incongrus sur cette voie sans circulation, goûtaient le charme bucolique des bois, au pied de la roche d'Aujoux.

C'est à Mancey, petit village hors du temps, qu'il réussit enfin à trouver de l'eau, denrée très rare dans ces pays de vignobles. La fontaine du village dispensait une eau non potable mais une famille l'alimenta obligeamment en liquide bien frais. Une lueur d'envie luisait dans les yeux du père en découvrant le vélo. 1l avoua avoir escaladé, il y avait longtemps, le col de Navois, le prochain que devait passer notre cyclo. De l'avis de l'autochtone, c'était dur, mais court. Son avis était autorisé : notre cyclo le constata bientôt. Mais la route était si confidentielle et si bien pourvue en mures juteuses, qu'il parvint aux 448 m du sommet, sans trop de difficultés. Les 11 cols prévus étaient franchis ; il fallait à présent revenir au col de Brancion où devait l'attendre la voiture pour le retour à Chauffailles. 1l passa donc le hameau de Corlay au milieu d'une grande animation due, semble-t-il, à une concentration équestre, et parvint à Sully où sa route s'infléchissait plein Sud. 1l dut lutter 10 km face au vent puis remonter les 2 km du col de Brancion, plus difficile de ce côté.

Ainsi s'acheva cette magnifique journée, après 95 km et 2000 m de dénivelé environ, au sommet d'un col. Les vacances, il le savait bien, touchaient à leur fin. Le surlendemain, il faudrait plier l'auvent, charger la caravane pour rentrer en Ardèche et la mélancolie s'installait...

Mais au fond de lui-même, une nouvelle aventure venait de se graver, à l'abri des atteintes du temps qui passe. Il savait bien que, dans quelques années, quand il déboucherait avec des amis choisis, l'une de ses bouteilles de "Pouilly Fuissé", il aurait dans son verre et en sus de la symphonie gustative, bien plus que ses invités, quelques vers de Lamartine, l'image du clocher de Cluny, et cette chose impalpable et indéfinissable que l'on nomme parfois, le Bonheur.

Rolland ROMERO

Cyclos Grangeois 07


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