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PETITE HISTOIRE SANS QUEUE NI TETE

Revue N° 18 Page 53

Halte casse-croûte sur le G.R. qui court du col d'Allos à la Cayolle. De jeunes randonneurs me disent avant de repartir : " Méfiez-vous du mulet qui a profité d'un moment d'inattention pour manger notre pain ". Ca ne m'étonne pas trop. Qui peut le plus peut le moins : le seule bête que j'ai vu croquer une peau de banane était un mulet bergamasque. Après quoi il avait entrepris de brouter mon sac de couchage synthétique ! attaché sous ma selle. Je n'eusse point gueulé comme un âne, le mal était fait.

Un autre jour, du côté de Bourg Lastic, un brave chien de ferme aux yeux candides me regardait manger. Ses semblables m'ont parfois mordu, mais je lui lançais tout de même de petites choses comestibles. Qu'il avait une bonne tête ce chien qui se rapprochait tout doucement... Quand il fut assez près, il bondit et détala avec une demi-baguette

Un autre cabot, à Bielle, débordait d'affection, pour moi ou mon sac de guidon, je ne sais. Peut-être faisait-il du chantage : " Nourris-moi ou j'aboie ". Je n'y tenais pas, hôte clandestin d'une remise trouvée à la nuit tombante où dormait habituellement une certaine Evelyne. Evelyne à la croupe onduleuse, à la crinière blonde et au rire tonitruant. Du moins l'imaginais-je ainsi, car elle était sortie, ne laissant qu'une plaque émaillée à son nom et son parfum entêtant. Peut-être le lendemain, gambadait-elle dans la brume, au milieu des pâturages du col de Marie Blanque... Quant au chien, il n'a pas aboyé. Il voulait seulement des caresses, mais il avait le poil poisseux et sentait trop mauvais.

Quelque part dans le Samnium (chercher où c'est !). La carte indique un col en cul de sac qui, franchi; éviterait un long détour. N'allons pas sans savoir : pas d'effort inutile ! Renseignements pris une fois, deux fois, trois fois, çà ne passe pas. Je n'ai rien compris à ce que disait ce jeune homme, mais à ses gestes véhéments, il devait s'agir d'une face nord. On y est allé voir, pour ne trouver que deux kilomètres de descente plutôt cahoteuse, mais cyclable...
Le surlendemain, à Leonessa. Munis d'une carte quelque peu dépassée , nous cherchons au jugé la route de Spoleto. C'est bien par là, nous affirment deux amoureux qui ont peu de temps à nous accorder. " Bien sûr que c'est par là " assurent trois commères en conférences. Passée la dernière maison, la piste. Comme persévérer dans l'erreur n'est que trop humain, quoiqu'on dise, et plutôt que remonter à Leonessa, nous continuons. C'est ainsi que nous nous sommes offert vingt kilomètres de caillasse, un col sans intérêt ni prestige (1025 m) et une crevaison. Non, on ne vous dira pas le nom du col : nous sommes trop fiers d'être les seuls Français à être passés là. Notez qu'on est quand même arrivée à Spoleto avant la nuit.

Méfiez-vous de l'autochtone, moins il en sait, plus il l'affirme...

Respectueux de l'environnement mais distrait, je véhicule souvent tout l'après-midi des détritus dans mon sac de guidon. Je passe à côté des poubelles en pensant à autre chose. Mais celle-ci, je la vois, car, détail incongru, il y a quelqu'un dedans (peut-être la mort récente de Samuel Beckett me rappelle-t-elle cette histoire bête). J'attends que ses pieds pendant à vingt centimètres du sol reviennent sur terre : on ne doit rien jeter dans uns poubelle où quelqu'un se trouve de son plein gré. Il a ses raisons.

Marcel Bioud n°12

Coublevie (38)


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