Le jura est une montagne, chacun sait cela. Pour augmenter mon capital-cols, je m'y suis donc rendu, dans le Haut-Jura tant qu'à faire. J'en suis revenu bredouille. Ça, on ne peut pas dire, le jura est beau, bien vert, tout fleuri, habité par de charmantes Montbéliardes à la robe blanche tachetée de marron, de Montbéliardes plantureuses, aux mamelles bien gonflées. Une parenthèse pour m'étonner de l'absence de mâles dans cette société jurassienne ; ils ne sont pas admis, on les occit quasiment dès la naissance. Et la reproduction ? Artificielle ! Pauvres Montbéliardes privées de plaisir. Elles sont bien bonnes de fournir le lait qui fait le si bon Comté. A leur place, je bouderais, je fermerais le robinet du lait. Pas de semence naturelle et réjouissante, pas de lait ! Revenons aux prairies, aux fleurs, aux Montbéliardes généreuses, au Comté, à tout ce qui est le jura et plaît. Et même aux montées et aux descentes. Car il y a cela aussi dans le jura. Un relief tourmenté, fait de crêts, de combes, de cluses, de ruz, de reculées - le jura a son langage - toute chose délimitée par des escarpements impressionnants. De quoi satisfaire sa soif de sensations montagnardes. Et des cascades ! Elles jaillissent comme cela, au milieu d'une paroi calcaire. L'eau est un problème à elle toute seule dans le Jura. Tantôt elle paresse en méandres rêveurs au milieu de grasses prairies - le Doubs, près de sa source vers Mouthe, un paysage idyllique - tantôt elle bondit - la cascade du Hérisson. L'eau du Jura a ses humeurs ; ici, vive, gaie, sautillante ; là, songeuse, secrète, mystérieuse. Elle va, vient, s'étale au soleil, puis tire sa révérence, fait retraite dans des monastères souterrains, de vastes grottes. C'est une étrange sensation, pédalant sur les hauteurs légèrement à l'ouest de Montbenoît, de savoir qu'au-dessous de ses pneus coule une partie du Doubs que l'on retrouvera quelques kilomètres plus loin, à Ouhans, sous un autre nom : la Loue. L'eau réapparaît comme cela, subitement, plus bondissante que jamais après un long cheminement souterrain, plus bruyante après une longue période d'isolement, sinon de silence, dans le ventre de la terre. Curieux, le jura. Intéressant. Plus que cela. |
Mais pas de cols ! Deux malheureux entre Lons-le-Saunier et Pontarlier. Quel mauvais rapport qualité/cols ! Et pourtant j'ai grimpé ! j'ai mis le petit plateau ! j'ai peiné ! j'ai sué ! Je vous l'assure ! Et pourtant il y a des sites que le (fin) connaisseur que je suis appelle cols sans hésiter ! A Métabief, sans doute, là où se croisent de nombreuses routes. A Gillois, au sud de Nozeroy, où l'Ain prend sa source et se perd déjà. Sur la petite route qui mène de Pontarlier à Montbenoît, au-dessus de la station de ski de fond des Alliés, non loin de la Suisse à portée de bras à sa gauche. Que dire de cette croisée de chemins entre Nozeroy et Mouthe, près de Cerniébaud, autre haut - oui, haut ! - lieu de ski de fond ! Si ce n'est pas un col, je me fais curé sur le champ ! Je reprends la menace de mon instit' de la classe du Certificat d'Etudes : "Si tu es reçu au certif' à la fin de l'année, je me fais curé !" avait-il coutume de crier aux cancres (pas moi !) du fond de la classe, ceux qui jouxtaient les poêles. Le bon temps, deux jambes, toutes mes dents, pas de bicyclette, pas de soucis de cols, pas d'états d'âme sur le jura ; c'était une montagne ; ainsi je l'apprenais, ainsi je le récitais. Aujourd'hui, après ma randonnée dans le jura, je doute, je pleure mes cols perdus. Je me rebelle aussi, car j'ai du caractère - un mauvais - contre cette injustice, cette lacune, ce vol de cols. Faire de la montagne - le jura en est bien une - et ne ramener que deux cols dans sa sacoche, si ce n'est pas du vol, c'est quoi ? Il y a de l'abus ! Cyclos, cyclotes, Jurassiens, jurassiennes, mes amis-es, Montbéliardes mes grandes sœurs - "Petite v...!" grommelle Annie quand elle a quelque grief contre moi - manifestez, ouvrez grandes vos bouches et vos gueules (je parle de "mes sœurs"), braillez, beuglez : "Des cols ! Des cols !", brandissez des panneaux avec des noms, plantez-les là où vous savez qu'ils doivent être ! Les Montbéliardes, c'est beau ; le Comté, c'est bon ; mais ça ne suffit pas. Il vous faut des cols. Il en va de l'avenir de votre belle région, de son avenir touristique, cycliste. De l'avenir du Jura tout court. Du vôtre. Bernard Migaud de Metz (eh! ça fait noble !) |