Le cyclo montagnard a souvent une préférence pour un col qu'il ne manque pas de faire régulièrement et qu'il trouve différent à chaque fois. Habitant à proximité des Pyrénées, j'ai bien sûr monté les classiques pyrénéens (Aubisque, Tour malet, etc), mais je fais chaque année le pèlerinage du magnifique col de Burdincurutcheta 1090m (Croix de Fer en Basque), difficile à prononcer pour les non-autochtones et difficile à grimper. Ce col se trouve dans les Pyrénées Atlantiques à proximité de St-Jean-Pied-de-Port. Hors de nos frontières, c'est au Maroc que j'ai découvert en 1984, au cours d'un voyage cyclo organisé, le Tizi N'Tichka 2260m (Tichka signifie prairie de montagne) qui est le col routier le plus élevé du pays. Il est situé dans le Haut Atlas, sur la route de Marrakech à Ouarzazate. Après un petit déjeuner pris à la hâte à l'hôtel à Marrakech, je l'ai regretté par la suite, nous sommes partis de Aït Ourir, un petit village situé à 71 Km du Tichka. Un premier col à franchir, le Tizi Aït Imguer 1470m, ascension très agréable au milieu des oliviers et des amandiers, puis une descente assez courte et on aborde les pentes du géant de l'Atlas. Durant 32 Km un bitume très roulant, un dénivelé régulier et une température de 20° qui permet de cycler en tenue d'été et cela au mois de février. Après Taddert, une magnifique forêt de noyers, un paysage un peu dénudé de pierres sombres et de terre rouge, et c'est le sommet où l'on découvre un panorama grandiose. Après l'effort, le réconfort. Un excellent tajine au poulet et aux petits pois (ragoût cuit à la vapeur) remet tout le monde en forme et c'est la descente vers Ourzazate, à 94 Km, où une foule enthousiaste nous attend. C'est la réception du Maire autour d'un thé de bienvenue. Nous apprécierons par la suite et au cours d'autres circuits, la courtoisie et la qualité de l'accueil des marocains. L'année suivante et toujours à la même époque, je tentais à nouveau l'aventure mais avec un départ au petit matin de Marrakech. Un faux plat régulier durant 40 Km qui s'accentue ensuite très sérieusement et c'est le col de Tizi Aït Imguer. Il commence à faire chaud, les pédales sont de plus en plus lourdes, je n'ai plus d'eau. Heureusement le car arrive, une bonne gorgée de SidiHarazem, eau minérale locale n'ayant aucun pouvoir magique. Je remplis mon bidon et c'est la minidescente de 8 Km. A Taddert, village berbère très typique, une pause brochettes-galettes qui n'ont aucun effet sur ma fatigue. Faible consolation, je ne suis pas le seul dans cet état. Je constate toutefois, mais un peu tard, que mon ambition est démesurée par rapport aux possibilités, que le manque d'entraînement et de kilomètres se font durement sentir. Le départ de ce village n'est pas facile, les 16 Km jusqu'au sommet vraiment pénibles malgré les encouragements un peu trop exaltés d'une horde de gamins surgis de nulle part. A l'arrivée, le traditionnel tajine et je monte dans le car jusqu'à Ouarzazate. |
C'est deux ans plus tard, soit fin mars 1987, que je reviens au Maroc et redécouvre la route du Tizi Tichka avec un départ prudent d'Aït Ourir. Le temps est couvert et il ne fait pas chaud; heureuse initiative, j'avais pris un coupe-vent, mais n'avais pas prévu d'équipement d'hiver. La température descend et le bandeau sur le front qui habituellement éponge la sueur retient difficilement la pluie qui devient de plus en plus forte dans la descente du Tizi Aït Imguer. Un bref arrêt à Taddert où un petit groupe déguste un tajine dans l'attente d'une éventuelle éclaircie, puis la grêle nous oblige à nous arrêter et nous mettre à l'abri contre des rochers. Une accalmie et nous reprenons la route; il reste 5 Km. Après la grêle, c'est le vent violent et la neige qui nous cinglent le visage. Un bref regard sur le panneau indiquant le sommet, quelques photos sont prises mais la pause est brève. C'est la descente prudente, car il tombe encore de la neige, vers Irherm N'Ougdal où nous mangeons habituellement au mois de Février le tajine en plein air; ce n'est pas le jour! Je découvre le "Restaurant", un baraquement en planches où le présumé patron s'efforce d'allumer un poêle à bois antédiluvien qui enfume la pièce. Je saisis un minuscule verre de thé à deux mains; le liquide brûlant me fait un bien énorme et je me sens revivre. Ce col est extraordinaire; s'il est moins rude que le Ventoux du fait de sa longueur et d'un pourcentage inférieur, il rappelle un peu ce dernier par ses changements de température et le vent qui au sommet souffle de façon quasi permanente. Je reviendrai certainement au Maroc, soit depuis Marrakech, selon l'humeur et surtout la forme du moment, ou, devenu raisonnable, depuis Aït Ourir, et je grimperai pour la quatrième fois, pour mon plaisir, le Tichka... car c'est un sacré morceau! Inch Allah ! Bernard Lapeyre |