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VARIATIONS ENTRE LOUP ET PENDU

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C'est au-dessus de Sablières, sud de l'Ardèche. Cela monte depuis le matin, régulièrement, insensiblement, sans gagner en altitude : les montagnes restent là-haut. Derniers spécimens de cultures en terrasses, fermes ruinées. Depuis le village, carré sur l'éperon rocheux, ça y va franchement. "Plus que cinq kilomètres" m'assure-t-on. De quoi rendre perplexe ; ma route doit continuer encore bien plus.

J'avais fait, il y a douze ans, le Pas du Loup, les cols de Meyrand et du Pendi en venant de Labastide. C'était alors ma règle du jeu d'égréner des chapelets de cols en descendant le moins possible. Cela m'a donné une liste obscure et un peu de regret. Eh quoi ! Meyrand, cela ne peut se monter que depuis Valgorge ; plus de mille mètres de dénivellation. C'est ce que j'ai fait la semaine dernière; cela m'a pris la journée. Quant à Sablières, c'est ce que j'ai trouvé aujourd'hui pour rendre mon Pas du Loup plus long et plus difficile.

Entre nous, pour toutes sortes de raisons, je reviens sans cesse dans mes pays de prédilection; j'y ai parfois franchi tous les cols; il faut bien, alors, s'inventer d'autres règles pour continuer à jouer.

La côte n'est toujours pas finie; je suis assis sur une murette à l'ombre d'une branche de châtaignier je crois, je ne me rappelle plus bien ; j'ai déballé l'éternel saucisson et le fromage de chèvre. L'eau dans le bidon est chaude et il faut l'économiser. Tout à l'heure, plus loin, sur la baptisée "Corniche du Vivarais cévenol" (ça vous classe une route !), à droite au ras du sol, il y aura une source - sacré souvenir, j'en revois encore les herbes vertes. Cela n'a l'air de rien, mais dans ces contrées de landes asséchées...
Après le Pas du Loup on entre dans la très officielle "forêt de la Caisse d'Epargne de Saint Etienne". Vous ne me croyez peut-être pas, qu'importe. J'y ai trouvé des kilomètres de myrtilles. Celles-là, plantes courtaudes chargées de fruits assez gros au goût âpre, me rappellent très exactement celles que j'avais mangées dans le troisième lacet au-dessus de Burzet quand on monte à la Baricaude. Rien à voir avec celles, plus petites mais plus fruitées, que l'on peut trouver vers le Pal, autant dire à côté.

Loubaresse ; une fontaine dans le village. Toujours intéressant à savoir, surtout que la grand'route fait détour.
Pour rejoindre le col du Pendu, il suffirait désormais, autant que faire se peut, de ne plus trop s'éloigner des sommets. Quant à moi, je leur tourne le dos et descends sur Borne, ce qui, pris sous un certain angle, peut paraître tout à fait logique. La route n'y est pas large, pourtant elle est plus fréquentée que je ne le pensais; deux fois je dois m'arrêter dans l'herbe pour croiser une voiture, les deux des 07.

Plus bas, dans le fond de Borne, un Isérois en camping-car, arrivé d'on ne sait trop où, me demande où va la route et me recommande le grand trou d'eau derrière les ruines au cas où je serais à la recherche d'une piscine (ou d'un coin pour me suicider puisque je ne sais pas nager).
Chacun ses préoccupations.

Il me reste les sept cent cinquante mètres de dénivellation du Pendu ; on ne peut pas toujours se contenter des routes de crêtes.

Bernard Chanas

Oyonnax (Ain)


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