Micheline, qui en a quelques-unes de bonnes dans son havresac de guidon, m'a confié celle-là sous le sceau du secret... et comme vous ne l'ignorez pas, le sot du secret, c'est moi alors allons-y ! Si vous désirez qu'un secret profite à tout le monde, confiez-le moi. Je tire en général à 1000 exemplaires. Je disais donc que les Vial ne se privent de rien. Je ne l'ai pas dit ? Eh bien, j aurais dû ! En effet, sitôt rentrés du Mexique ou du Maroc, ils se font parachuter sur Bali. Sitôt débarqués de Californie ou du Névada, ils se jettent dans l'avion pour la Colombie. Sitôt reposés des déluges de la Réunion et du soleil de Mauritius, leur frénétique besoin de kilomètres les dépose dans les déserts brûlants de l'Arizona et les gorges chaudes du Colorado. Et vous remarquerez que dans cette liste ne figurent ni les étendues glacées qui bordent la mer Baltique, ni la première hivernale d'un plus de 8000 himalayen, ni la traversée du Pôle Sud en traîneau à chiens, comme ça se pratique couramment de nos jours jusque chez les mémères celluliteuses et emperlousées. De là à penser que les moiteurs tropicales ont, seules, leur préférence, il n'y a qu'un pas que je m'empresserai de ne pas franchir de ce pas. Après cette entrée en matière un peu longuette, j'en conviens, je reprends la chèvre à la barbe et l'alpaga aux longs poils, pour vous dire que dans les années 89, ils sont donc allés chercher en Colombie, des cols perchés à près de 4000, au sein d'une compagnie que je ne vous citerai pas, d'abord parce que je ne suis pas appointé pour faire de la concurrence à mon très cher Fanfan qui, lui a sans doute l'intention de me payer encore plus cher pour lui faire de la pub, ensuite parce que cette organisation meylayonaise n'a vraiment pas besoin de cette réclame pour se remplir scandaleusement les poches, au détriment de petits animaux qui ne lui ont rien fait, comme marmottes, isards, éperviers, bobettes et autres nounours. Voilà donc nos amis Vial embarqués dans l'épopée colombienne, à Bogota qui étale ses avenues à plus de 2600 mètres d'altitude. Et là, nos deux amoureux de la petite reine vont avoir le rare privilège de pédaler avec un président de club cyclo pas comme les autres. En effet, tous les dimanches, abandonnant chasuble, soutanelle et bréviaire, le curé de Bogota enfile fièrement son cuissard multicolore, son maillot de club tout aussi chamarré et ses chaussures new-look dernier modèle, pour emmener les ouailles pédalantes à l'assaut de la côte de la Caléra, un drôle de morceau, soit dit en passant. Ce curé-là qui avait allègrement vu passer 52 printemps, mais seulement 51 hivers, car il était né en avril, était brun comme tout bon Sud-Américain qui se respecte et un curé ça se respecte plus que toute autre en ces bons pays très catholiques. Il était costaud, taillé à la hache dans ce bois dont on fait les noueux et solides bâtons de pèlerin, râblé sans excès et paré du bronzage cyclo, ce fameux bronzage qui trahit son homme au premier coup d'oeil sur les plages, même quand il s'agit d'un spécimen à la peau mate. Il était donc toujours cuissardé de neuf, sauf quand une réception officielle l'obligeait à se mettre sur son trente et un, ou les rares fois où il enfilait l'habit sacerdotal pour exercer son saint ministère, par dessus le maillot et les chaussures cambrées à cales. Je ne me serais pas permis de vous retenir aussi longtemps sur ce sujet, si notre serviteur de Dieu n'avait pas réussi un exploit que ni Poulidor, dit Raymond visage pâle, car il restait toujours dans l'ombre des vainqueurs, ni Brise Lemonde dit allez les verts, notre jeune et bondissant ministre de l'environnement, n'ont jamais accroché à leur palmarès, à savoir : Faire réserver TOUS les dimanches, aux seuls cyclos, les deux plus grandes artères de Bogota. Je répète : obtenir l'interdiction par un décret officiel en bonnet difforme des instances gouvernementales officielles et assermentées, de circuler pour TOUS les véhicules à moteur dans le deux plus grandes avenues de la capitale ! Capital ! C'est capital pour la bonne santé des clubs de vélo et tout bonnement pour la bonne santé des habitants de la cité convertis aux deux roues, les Bogotétois... quand je cause ! |
Et même la mafia de Médelin, avec deux grands "M", même elle qui ne recule pourtant devant rien, n'a jamais osé enfreindre cette interdiction ! C'est dire si notre curé a les bras long et s'il est bien noté dans les sphères célestes supérieures et dans les petits papiers du Seigneur ! Tu parles d'une aubaine ! Du coup, il y a foule à son club cyclo et notre homme de Dieu peut tout tranquillement se pavaner dans sa toute dernière tenue rutilante, entouré de ses foules d'admirateurs, qui en vélo, qui en montagnos biquos, qui en trottinette ou en patins à roulettes. Partout, on a vidé les greniers les plus poussiéreux des bidonvilles pour sortir au soleil des engins datant quelquefois même de l'époque précolombienne. Son vélo à lui, inutile de le préciser, c'est le plus perfectionné, le plus au goût du jour, le plus multicolore, le plus brillant, le plus beau. On a beau être prêtre, on n'en est pas moins homme. Et même un peu macho sur les bords. En tout cas, depuis des années, il est possible d'admirer tous les dimanche, notre président de club montant vers la Caléra entouré et surtout suivi par des milliers de cyclistes de tout âge, de tout bord, mais exclusivement masculins. Malheur ! Un jour, voilà-t-y pas qu'un jeune indigène, un autochtone, comme on dit, issu d'une des meilleures familles de la ville, nous ramène une épouse d'une escapade en France, une splendide diététicienne, la trentaine bien portée, blonde comme les blés, fine comme une liane, vaporeuse, très mignonne allons voir si la rose, mieux qu'une poupée gonflable, bref, une véritable pin-up. Et comme ces européennes, ces maudites femelles émancipées, ces profaneuses, ne respectent rien, pas même et surtout pas la suprématie des mâles, cette charmante créature, suppôt du matin, ne trouve rien de mieux que d'exiger de s'inscrire au même club cyclo que son époux bien-aimé. Notre curé commence par faire la moue. Putain, j'ai failli écrire l'amour ! Car il n'aime pas du tout ça, notre vicaire, il sent que ça va semer la merde dans le milieu, mais il finit par s'incliner à contre-coeur. Les voies du seigneur sont impénétrables... alors! Et c'est ainsi que notre jolie blonde membre à part entière du club se met à participer aux sorties sans trop de problème. Toujours méfiant, notre jésuite observe et ne dit rien... Et ça dure un moment. Jusqu'au jour où la belle s'estimant bien rodée, décide de participer, elle aussi à la fameuse montée de la Caléra. Et il avait bien raison de se méfier, le bougre, car dès les premiers coups de pédale, voilà notre blonde qui appuie un peu trop sur ses jolies mollets et qui le distance, comète évanescente, fragile et frêle, mais aérienne. Lui, il connaît cette grimpette sur le bout des pédales, il l'a gravie des centaines de fois et cette péronnelle qui débarque à peine et qui ne porte pas moustache que je sache, cette effrontée en jupettes est en train de le ridiculiser devant la foule des milliers de paroissiens massés tout au long de la route pour l'applaudir, lui... rien que lui ! Alors la honte sous le bras, il met au point une tactique qu'il appliquera chaque fois que cela s'avère nécessaire. Les sourcils froncés, il fonce et se défonce, il met le paquet, rattrape la fille, s'accroche à la selle, tout en donnant le change et l'impression de la pousser... Alors là, les cris d'enthousiasme fusent, c'est du délire, les applaudissements redoublent... et il est heureux, notre tartuffe de petit curé. Elle finaude, a compris vite la leçon. Depuis ce jour, elle reste tranquillement derrière, comme son ombre et l'honneur curial est sauf. Et quand Micheline, membre des 100 Cols, ne l'oublions pas, lui a annoncé son intention de grimper elle aussi la Caléra, en compagnie de Guy et des autres, elle qui ne bénéficiait pas, comme la plus haut narrée, de l'avantage de la jeunesse, il s'est déplacé spécialement pour voir de visu, de ses propres yeux voir, ce qui s'appelle voir, s'il ne s'agissait pas d'un canular. Ça n'en était pas un ! Jacques BENSARD Grenoble |