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Plus haut, plus fort

Revue N° 20 Page 14

Merci mon Dieu d'avoir créé la Terre, à la fois si vaste et si infime, diverse et tellement intime, à l'échelle de l'Homme et non pas des hommes.

Merci d'y avoir fait pousser tant de montagnes, jardins privilégiés, merveilleux et variés à l'infini, impressionnantes ou accueillantes, agressives ou paisibles, paradisiaques ou infernales, sombres arêtes déchiquetées, mamelons verts aux courbes harmonieuses, pierriers et rocs brûlants, torrents et lacs glacés, chaumes apaisants...

Merci d'avoir donné aux hommes l'idée et le talent d'y tracer des voies et souvent - autrefois du moins - le bon goût de savoir les insérer dans le chef d'œuvre naturel sans trop en altérer la divine harmonie.

Grâces vous soient rendues pour l'infinie beauté du cirque du Litor, l'envoûtement lunaire de la Casse Déserte, le vert camaïeu des crêtes vosgiennes, l'éblouissante majesté de la Meije ou la plongée grandiose du Splügen...
Merci à vous d'avoir confié à l'espèce humaine à la fois l'ingéniosité et la matière qui firent naître et accéder à la perfection ce merveilleux moyen de locomotion, mais surtout de plaisir, qu'est la bicyclette.

Merci de l'avoir permise si fine et si robuste, simple et pourtant riche de prouesses techniques, discrète et économique mais inépuisable et admirable.

Comment vous témoigner assez de gratitude pour avoir inspiré Drais, Michaux, Michelin et tous les autres créateurs géniaux, mais aussi pour avoir insufflé tant d'enthousiasme communicatif, comme de vigueur prosélytique, à ces apôtres prédicateurs : Paul de Vivie, Philippe Marre, Pierre Roques et leurs émules...

Merci mon Dieu d'avoir favorisé la rencontre d'un garçon et d'une fille parmi des millions d'autres, d'avoir implanté définitivement dans leurs cœurs ce sentiment extraordinaire baptisé du nom, trop souvent galvaudé, d'amour.

Merci d'avoir permis que de cette union profonde naisse un petit garçon, devenu grand sans avoir jamais cessé d'être leur petit garçon.
Merci mille fois d'avoir fait que ces trois êtres, à la fois aussi semblables et cependant aussi différents, aient trouvé leur accomplissement dans la libre expression d'une passion commune : le cyclotourisme.
Merci de leur avoir dispensé la volonté d'accomplir les mêmes efforts, le potentiel physique et moral pour y parvenir de concert, un même goût immodéré pour les choses simples et naturelles, une identique répulsion pour l'hypocrisie et toutes les formes de malhonnêteté. Et par dessus tout, une soif inextinguible d'être ensemble et de partager les mêmes bonheurs.

Merci encore, oh oui merci, d'avoir fait d'eux d'éternels enfants, impatients de voir arriver les vacances, heureux d'une matinée ensoleillée, attendris du spectacle d'un troupeau de moutons barrant la route, émerveillés de revivre en photos les randonnées vécues, remplis de rêves d'avenir sur deux roues et sans nostalgie d'un passé pourtant attachant.

Merci pour les avoir dotés sans retenue de l'incomparable puissance de demeurer capables de se satisfaire du quotidien tout en appréciant l'exceptionnel et la découverte.
Quel rare privilège que de trouver le même plaisir à sillonner depuis vingt ans les routes pyrénéennes et à mettre ses roues pour la première fois, passée la cinquantaine, sur le sable africain ou le roc irlandais, de frémir d'un bonheur identique en abordant pour la quarantième fois les dernières longueurs du Tourmalet, en découvrant les ultimes lacets du Tizi n'Tichka ou en se frayant un passage au milieu des moutons à tête couleur de Guiness, vers le sommet du Ballaghisheen Pass.

Oui, merci vraiment pour toutes ces joies: aucune n'est négligeable, aucune n'est superflue. Elles doivent permettre d'accepter les peines qui en sont peut-être la contrepartie et ont souvent le mérite de tremper les âmes, de forger les caractères et de cimenter les liens d'amour ou d'amitié.

De quoi demain sera-t-il fait '? Vous seul le savez, et c'est bien ainsi.
Sans doute manquerais-je de sincérité si je ne manifestais pas l'ardent souhait que cet état de grâce se prolonge longtemps encore. Et de toutes façons, devant vous, rien ne sert de mentir ou de feindre...

Mais de le penser bien souvent, de le murmurer tout seul face à Vous ne me suffisait plus ; il fallait que je le crie, que je le proclame plus haut, plus fort, au vu et au su du monde entier

Merci mon Dieu, du plus profond du cœur. Merci pour tout.

Jacques LACROIX

Bourges le 3 octobre 1991


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