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24% : incroyable mais vrai !

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Il faut aller en Italie pour dénicher ce joyau de col dur : la Passo Nigra ! Vous connaissez ? Non ! Moi non plus d'ailleurs avant ce beau jour de juillet 92, où mon copain Joël, surnommé le fou de Châteauroux, atteint de façon chronique du virus de la 'colite', bientôt vénérable de notre Ordre, environ 900 cols à son actif, m'a fourvoyé dans ce piège à rat pour cyclocampeur inconscient.

Moi je voulais voir les trois Cimes du Lavaredo, haut lieu des Dolomites, lui, c'était grimper le Nigra. Il avait lu quelque part, dans un article de Pierre Roques sans doute, que c'était l'Everest, le "K2" des montagnards, un truc impossible quoi !

Alors on a grimpé le Nigra... On a essayé ! A la sortie de Bolzano, dans le petit village de Prado, il a fallu dénicher la fameuse route vers Tires, pas celle qui serpente en douceur, non, l'autre, celle qui longe le torrent cascadant au fond de la gorge étroite. Quelques kilomètres en douceur virevoltant dans un décor sauvage. Et puis soudain, vrai de vrai, le fameux panneau 24% ! Et les autochtones qui vous font comprendre que ça grimpe ainsi pendant 4 km... Quand vous avez les sacoches pleines à craquer, vous commencez à vous inquiéter de la galère dans laquelle vous vous êtes lancé. Photo historique et vogue la dite galère ! Quelle pente ! Pour un mur c'est un mur... C'est là que vous bénissez le 28x30, mais aussi le replat au bout de 150m. Quoi ? Déjà fini ?
Ne rêvons pas, ce n'était qu'un apéritif corsé ! Le plat de résistance c'est la suite. Sans doute plus 24% évidemment, mais du 18 ou du 20% et sur au moins 3 km et sans un replat, sans un parking providentiel pour un zigzag salvateur ; une route étroite à l'assaut de la montagne. Impressionnante ! Et le soleil ricanant qui redouble d'ardeur. 1 km...1,5...2...! Le compteur ne dépassant pas 5 km/h, vous imaginez le temps qu'il faut et les toxines s'accumulant dans les mollets, dans les bras, dans les reins. Troisième kilomètre ! Le sommet ne doit pas être loin ! Pas celui du col, juste celui de cette infernale montée. On entend les camions sur la grande route, au-dessus, dans la forêt. Mais le virage qui s'annonce semble vertical, la route plus assez large pour zigzaguer, le doute vrille le cerveau, l'impossible n'est pas loin, le compteur tombe à 2 km/h, gare à la gamelle. C'est la fin. Surtout que la dernière traîtrise est là, sur la gauche : une fontaine fraîche, une eau limpide. C'en est trop de sadisme pour un maso ! Fini l'exploit, la volonté cède, c'est la délivrance, la gorge en feu enfin apaisée.

Mais c'est décidé, je retournerai au Nigra, ce jour-là, la sirène de la source n'aura pas le dernier mot. Et je crois que mon fou de coéquipier sera de la vengeance, lui qui a enfin enfin trouvé un col digne de lui, l'obligeant à finir à pied, à suer sang et eau. Nigra, prends garde à toi !

Bruno FRILLEY

Montgeront (Essonne)


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