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Les caprices de la montagne

Revue N° 22 Page 54

Et me voilà devant le fameux éboulement de la route stratégique au-dessus de Limone-Piémonte.

Cette nuit il était tombé juste quelques gouttes sur le beau terrain de camping de San Rocco Castagnaretta. Cependant même très tôt ce matin la moindre trace de la pluie nocturne avait disparu. Cela promettait donc!

Quand j'ai quitté le goudron, dans les derniers kilomètres avant le col de Tende, la poussière des voitures et des camping-cars s'ajoutant aux odeurs nauséabondes des pots d'échappement.Je vois les vestiges du fort et des casernes qui se dressent devant moi. Un petit coup d'oeil dans la cour centrale et je continue pour me retrouver de l'autre côté sur les premières flaques d'eau et de boue. Devant moi des nuages cachent le soleil qui vers l'ouest pourtant ne fait que briller. Deux promeneurs viennent à ma rencontre et me signalent en français : " impossible d'y passer aujourd'hui. C'est trop glissant même sans vélo". Je les remercie poliment en haussant les épaules!

Une dizaine de minutes plus tard je suis forcé d'avouer qu'ils avaient raison. A deux on passerait peut-être en portant les vélos l'un après l'autre. Seul je n'y arrive pas. Après quelques tentatives et une glissade sans beaucoup de mal, je me convaincs moi-même et bien à contre coeur, qu'il vaut mieux abandonner. Ce sera pour une autre fois. Aujourd'hui je prendrai la piste vers le fort et le col de Pernante. J'irai voir un peu plus loin de ce côté là.

Là en tout cas pas de problème. Un troupeau de chèvres me barre la route quelques instants. Quelques plus de "2000" cueillis au passage sans aucun effort supplémentaire. Plus loin une famille italienne avec les parents, les bambinos et la mama qui cherchent la vue sur le Monte Carbone et sur la Colle di Tenda. Quand je tente de leur expliquer tant bien que mal sur ma carte qu'ils voient l'un en regardant à gauche et l'autre à droite, la mama m'interrompt et me remercie gentiment. Elle donne ses ordres et la famille prend sans regarder ni à gauche ni à droite, mais à toute allure la piste qui descend vers Casterino. Étonné, voire amusé je les suis des yeux quelques instants. Mais quand je lève la tête pour regarder le Mont Bego je pige. Des nuages archi-noirs s'amassent autour de ce sommet sacré. En lançant un "mais c'est vrai" du plus profond de mon coeur je vire de bord et mets le cap sur le col de Tende.

Deux virages plus loin je m'arrête pile: de l'autre côté du col je vois devant moi le fort et la crête de la route stratégique inondés de soleil et sous un ciel on ne peut plus bleu. Je prends toute une série de photos qui étonne encore aujourd'hui par leur qualité. Au croisement de la route du col j'hésite. Il est 15 heures et les nuages menaçant à l'ouest sont plus qu'un avertissement. En plus, mon épouse montée après midi doit m'attendre depuis quelque temps déjà. Une heure plus tard, quand nous avons terminé le pique-nique dans cette ambiance de kermesse joyeuse du dimanche après-midi de nombreuses familles italiennes installées n'importe où et n'importe comment, le ciel s'est dégagé complètement.

Le lendemain matin, encouragé par le beau temps, je me lance avec un véritable mépris de la mort sur la strada n°20 vers Borgo San Dalmazzo où les voitures italiennes me dépassent, s'obstinent à me raser. Puis sur la strada n°21 vers Vinadio ou les voitures venant en sens inverse, si du moins elles sont immatriculées en France, font tout leur possible pour m'envoyer aux champs élysées. Mais certainement pas à ceux de Paris ! De temps en temps, surtout quand au dernier moment et dans un soubresaut de civilisation, ils freinent quand même, ils prolifèrent des bribes de phrases qui feraient rougir San Antonio et que je tiens à ne pas faire imprimer dans notre revue. A mon plus grand étonnement, j'arrive vivant à Demonte où je prends la toute petite route de la Vallone Dell'Arma vers le col di Valcavera. Une très belle montée qui surtout après San Giacomo devient presque déserte. Une laiterie avec une table à l'extérieur qui sert de buvette où des promeneurs se reposent.
Il fait beau et la température est agréable. Entre les rochers où passe la route du col, il fait du vent. Je me mets à l'abri et je consulte encore ma carte IGN et la photocopie de la page 36 du guide cyclomuletier n°1. Devant moi la piste blanche descend et je discerne au loin les bâtisses de l'une de ces anciennes casernes. A l'horizon, je constate qu'une légère brume tapisse la montagne. Une voiture 4x4 demande discrètement de pouvoir me dépasser. Le passager me salue et désigne du doigt les brumes en faisant une grimace qui n'exprime pas la confiance. Au colle di Salsas Blancias situé un peu à côté de la piste je fais pourtant demi-tour. Le colle Osserot et le passo de la gardetta seront eux aussi pour une autre fois. De retour au col di Valcavera, sur le goudron je remets la descente à plus tard et je suis la route pentue comme un balcon au fond de la montagne.

Je traverse un spectaculaire éboulement des deux côtés de la route et dans un virage à droite, je me trouve devant un poteau avec le panneau colle di Fauniera 2511 m" qui n'est pas indiqué dans notre guide. Pour être certain de me trouver sur la bonne route je continue d'abord pour chercher le colle del Vallonetto bel et bien indiqué dans le guide à 2447m. Je le trouve avec le panneau et vue l'heure avancée, je retourne. En remontant je constate que le ciel s'assombrit d'un coup et qu'un épais brouillard monte de la vallée. C'est tout juste si j'arrive à prendre une photo du colle di Fauniera, puis je ne vois plus rien. Tout doucement je descends, me demandant comment je vais faire si j'entends arriver une voiture. A peine 2 km plus loin et passé les 2 ou 3 lacets de Valcavera je plonge littéralement dans un four. La Vallone dell'Arma rayonne de lumière!

Vous pouvez me croire ou pas: le surlendemain et suivant les conseils de ces aimables italiens toujours disposés à vous aider, nous allons vers Elva et le col di San peyre. Là-haut je roule vers l'ouest jusqu'au colle di Bicocca. Il fait très beau et très clair. Aussi, retourné au col et après le casse-croûte, je ne prête pas trop d'attention au vent froid et désagréable qui se lève. Vers l'ouest, il y a encore quelques cols sur la crête. Il faut donc y aller visiblement. Et tout d'un coup, mais oui : un virage abrupt et je me trouve entouré de brouillard. Cette fois cependant je m'obstine; je n'aurais pas fait tout le trajet pour rien ! A pied et le VTT à la main, je continue tant bien que mal sur les gros cailloux. Ce col sans nom indiqué dans le catalogue de Georges Rossini comme colle 2976 ne peut plus être très loin selon mon compteur. Je dois à tout moment essuyer mes lunettes et je suis sur le point de déclarer forfait quand le brouillard s'éclaircit. Quelques instants plus tard je me trouve en plein soleil. Mais où est le col ? Eh bien en me retournant je constate que je viens de le passer. Dans le brouillard je ne l'avais même pas remarqué.

Pour toute sûreté je retourne au colle di Sanpeyre et j'entame la descente vers Stroppo. Le soleil brille autant qu'il peut briller. Quand je me retourne pour contempler une dernière fois la crête du col di Sanpeyre celle-ci se dessine en toute beauté sur un ciel bleu. Dans les nombreux virages, je dois faire attention pour ne pas tomber: l'asphalte suinte sous la chaleur.

Qui a dit: "jamais deux sans trois" ?

Constant VAN WATERSCHOOT

Oostburg (Pays-Bas)


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