Les mêmes mordus de Tende l'an passé se sont retrouvés pour une chasse rangée aux cols dans le secteur hercynien de Super-Lioran, à l'invitation de Jean Fournol, président animateur du club cyclo de Siran. Treize cyclos, ils étaient treize... Porte-malheur ou porte bonheur, je ne sais ce que portait ce chiffre, mais cela n'empêcha pas que la pluie ne s'amenasse (pour les fâchés avec ta conjugaison : la pluie ça menace !). Eh oui, tant nous eûmes de soleil et de clarté sur les cimes frontalières en 1994, tant nous eûmes de brouillards et de flotte sur les Puys ensevelis comme au plus profond des mauvais automnes. Dès le départ samedi, l'eau tomba du ciel, triste, fade, sombre. Les noirceurs de la veille, ce souffle irrégulier de sud-ouest l'avaient assez annoncé du côté de Murat (se prononce comme la troisième personne du singulier de murer au passé simple !) par où nous parvenions en ces plateaux auvergnats depuis un midi ma foi chaleureux et lumineux. Il fallut sortir le gros équipement, couvre-pantalons pour certains, gants polaires pour d'autres. On vit même des sacs de supermarché emballer chaussettes ou souliers et des poches poubelles trouver la noble fonction de garde-corps. Alors qu'il suffisait d'un bon poncho et de vrais pare-boue pour se prémunir au mieux contre l'assaut des gouttes. Mais la variété ne fait-elle pas le charme en toute circonstance ? L'eau tomba du ciel mais le vin coula à flots. Jupiter envoya ses escadrons humides, Bacchus vint à la rescousse. Après avoir pataugé dans les traces boueuses des sentiers à troupeaux, bien essuyé le grain en des cols à l'invisible panorama, usé les patins dans la bouillie abrasive, on en revint penauds et déçus, prématurément, par la N 122 toujours en travaux. Mais Jean, à Saint-Jacques-des Blats réserva la table, celle-la même où vers 12h30 la joyeuse équipe frottée, brossée et rhabillée vint faire honneur aux tripoux d'Aurillac. Le soleil dans les verres remplaçait celui absent dans les airs. L'occasion fut belle pour certains de conter leur "soleil" par-dessus monture et rochers pour tâter le matelas perlé des genêts ou la pente raide d'herbe détrempée. La route en voiture dans le gris après-midi rattrapa, si l'on peut dire, ces 25 aventureux kilomètres où tant de cols conservèrent leur secret pour la plupart d'entre nous. On se consola au buron qui n'avait plus de fromage. On tasta le biscuit local à Salers (se prononce comme celui de la peur !), on z'yeuta quand c'était permis vers les ensellements où l'on aurait dû crapahuter en toute liberté. En la grotte chapelle de Fontanges, toute ruisselante, chacun y alla de sa prière in petto pour des lendemains meilleurs. Oui, cela serre le coeur de franchir de beaux obstacles type Pas de Peyrol en voiture balai. Le soir venu, le vin d'Entraygues ne fit pas un pli contre le côte de Beaune, mais le champagne de Georges, le vrai-faux demi-siècle, mit tout le monde d'accord. Laissons chanter la pluie ; seule Nadine aura tiré aujourd'hui son épingle du jeu en tirant du sac son maillot de bain pour une baignade plus propre que la nôtre : Val vacances, c'est super! La nuit de samedi à dimanche fut moins grondante de vent et d'averses ; on va pouvoir "déménager" sans les accoutrements plastifiés. Pendant le petit déj', on a même vu le soleil magnifier le cône saisissant du Griou. Mais si le ciel nous laisse partir à sec, il se charge vite. Ici, dans ce pays d'Auvergne pas si loin du Midi, impossible de se fier au moindre trou de bleu, pas question d'accorder un fifrelin de confiance à l'aspect pas net du ciel. |
Dans l'ascension goudronnée de Curebourse, le Plomb du Cantal, cime à honorer, se fait écharper par de vilaines brumes. Quelques gouttes se promènent dans l'air instable. Est-ce pour cela que Jean-Michel est parti s'encadrer dans le fossé ? L'homme à la moustache poivre et sel sera à la remorque du groupe en cette seconde journée mitigée. La belle halte à la Thuillière, maison sélectionnée par le guide du casse-croûte de chez Hachette, ne remettra pas entièrement sur les rails le néo-Périgourdin. Malgré le feu de bois séchant la sueur, malgré le café excellemment préparé et servi en mazagran par le maître des lieux : pittoresque personnage prisonnier de sa ferme, malgré les biscuits circulant de main en main. La progression vers Chèvre et Burtonne fut plus le fait de marche et de poussage que de pédalage, terrain herbeux, bosselé, vaseux et pentu oblige. La douzaine de randonneurs mécanisés s'élèvera sans hâte vers le brouillard frisquet, traversant les immenses pacages où se dispersent d'énigmatiques troupeaux. Un petit grain se met de la partie juste sous le sommet. Cela suffit pour qu'on boycotte le col de la Tombe du père ? Caché en contrebas dans cette fichue purée de pois mouillante. Dès lors, l'arrosage va se faire plus copieux. Tout est fermé au terminus des remonte-pentes. Notre estomac crie famine, il faut passer les impers, bref c'est la déroute et la fin de la partie sur crêtes. Daniel, resté ce matin au village vacances, par prudence, n'aura manqué que le salutaire moment du repas. A l'heure où la station dépeuplée de Super Lioran se met à fumer sous les trombes d'eau, on trouve refuge dans la seule pizzeria ouverte. Le demi d'entrée déride les visages, décrispe les lèvres, libère les sourires, redonne la gaieté au coeur. Aujourd'hui, suite des découvertes gastronomiques, à défaut d'avaler d'autres cols la truffade fait place au pounti de la veille, plats des pauvres, recettes sans viande, à base de patates ou de poirée. D'aucuns, moins curieux des traditions, se rallieront aux pâtes ou aux pizzas, généreusement servis. Tans pis si l'averse brutale nous surprend en quittant le village en bois, il ne reste presque rien, tout en goudron de surcroît. Georges guide Victor vers une route tranquille et détournée, sinuant dans les sapins géants tandis que la dizaine en digestion amorce la remontée directe au plus bref. Drôle de week-end, 70 kilomètres de sortie tout au plus, avec pas mal d'aventure et bien des cols amputés. Jean notre hôte désigne, alliant le geste à la parole, tous ses ensellements manqués Eylac, Aisses, Redondet, Bellecombe... Tristesse dans le regard, intonation de regret, mais notre Siranais n'est pour rien dans cette dégradation vers un régime perturbé et perturbateur. D'ailleurs, les trois jours à venir vont voir rouler les paquets de nuages et s'abattre des baquets d'eau encore plus véhéments. Mais pour sûr, Jean nous rappellera pour une autre invitation, une année à venir, et là, il pourra satisfaire tout son monde resté sur sa faim. Salut l'Auvergne, et que vive le vélo ! Victor SIESO |