Les chiens : bien souvent le cyclo qui en voit un se méfie. A juste raison : il me souvient en avoir vu un il y a quelques années dans la descente du col des Banquettes (06) ; je me méfiais. Avec raison, car en arrivant sur l'animal, je trouvais celui-ci à droite de la route, son maître à gauche, et entre les deux la laisse extensible ! En ce jour du 13 mars 1996, point de laisse : je venais de Veynes Dévoluy et avais déjà avalé un petit col quand j'arrivais en haut du second vers 12 heures. Je traversai le petit hameau, et à la sortie, sur ma gauche, je vis, sous un arbre, une enfant de 4-5 ans en train de jouer avec un chien. Dès qu'il me vit, l'animal laissa tomber ses jeux pour courir vers moi. Méfiance me-dis-je ! Je prends donc ma gourde, la cale entre guidon et sacoche, prêt à dégainer le jet d'eau révulsif au moindre danger. Mais la bestiole ne l'entend pas comme cela et se met à trottiner devant moi en tournant la tête et en me regardant. Bon, il m'accompagne tant que je suis sur son territoire ? Deux cents mètres plus tard, il est toujours là. La descente sinueuse s'approche. Il reste devant et accélère, comprenant que moi aussi je vais plus vite. Une ligne droite. Un coup de guidon à gauche pour le feinter. Un coup de guidon à droite. Et je le passe. Il s'accroche. J'arrive à Savournon. Sur la place du village, le charcutier ambulant. Je m'arrête pour lui demander s'il connait le chien (donc ses maîtres). Réponse négative. Pendant ce temps l'animal est venu faire le tour du vélo, m'a pris chaque pneu dans sa gueule (sans serrer, comme pour jouer) puis est allé s'asseoir en me regardant. Je repars, lui aussi. Moi derrière et lui devant. Direction la forêt de Jubée et ses cols et ses animaux sauvages. Mais pour les surprendre avec mon compagnon, c'est cuit. Je m'arrête pour manger, il se couche et attend. J'essaie de partager. S'il accepte mes caresses, ma nourriture ne semble pas lui plaire ; me revient alors en mémoire la chanson de Salvadore Adamo : "C'est ton chien, c'est bien lui - c'était pas l'mien, j'ai fait comme si - Et c'était bien, bien ainsi". Et nous repartons. |
Avec l'Ubac, la neige commence à recouvrir la route. Je suis tantôt à pied, tantôt sur le vélo, ce qui n'émeut pas mon compagnon, qui en bon cyclotouriste, adapte son allure à la mienne. Et toujours son avancée en tournant la tête pour me situer, et ses accélérations dès que la route descend un peu. Je me régale de le voir manger la neige pour se rafraîchir, de le voir me tourner autour dès que je m'arrête, de le voir essayer de mordiller ma roue arrière comme pour réclamer : "Allez, avance." 15 heures. je suis de retour au Pas de Jubée. Trois heures qu'il me suit. 25 km. Je décide, puisque nous sommes revenus sur nos pas (mais à 8 km de l'endroit où il m'a accroché) de le lâcher dans la descente, n'ayant pas envie de le garder tout le temps. Après Savournon, j'ai un plat, c'est ma première sortie et je ne le lâcherai pas au train, puis il y a le col de Faye où c'est lui qui m'attendrait, puis la descente de l'autre côté, selon sa sinuosité, il pourrait garder le contact et me suivre ainsi jusqu'à Laragne, ou être lâché à 15 km de chez lui... Donc, dès le début de la descente, je ruse et le passe. Son regard quand j'arrive à sa hauteur semble savoir que cette fois, nous ne nous reverrons plus. Je m'y étais fait à mon petit compagnon. J'en ai le coeur gros. Et comme pour me punir, voici le vent qui se lève. Plein est. Ca va, je l'aurai de dos de l'autre côté du col pour aller à Laragne. Et bien non, il retourne et de nouveau de face, comme pour me repousser d'où je viens. Le soir, j'ai trouvé le téléphone de la maison où il m'avait intercepté : ils n'ont pas de chien, et la veille déjà, la dame l'avait vu avec un cyclo, pensant d'ailleurs que c'était le cyclo qui promenait son chien. Si un jour vous passez par Savournon et qu'un Border Colley noir vous accompagne, donnez lui une caresse de ma part. Pierre CHATEL - BONSIGNORE N°2081 de GRENOBLE (Isère) |