Le vent souffle en tempête. Il gonfle son coupe-vent rouge comme un ballon. Mais elle s'accroche, arc-boutée, en danseuse sur sa machine. Pour adoucir la pente, plus que rude, elle zigzague sur la petite route. Ce qui la console et lui donne du courage, c'est que le gros chat à moustaches qui roule quelques dizaines de mètres au dessus d'elle, à l'air de peiner tout autant. Si le vent se fait furieux et semble vouloir l'empêcher d'atteindre son but et la refouler vers le bas, le ciel, quant à lui, est tout sourire, d'un bleu de plus en plus pur et de plus en plus soutenu à mesure que la matinée avance et que P.P., la petite souris gravit la pente. Les trois cimes du Lavaredo s'y détachent, baignées de soleil. Leur roche, d'un beige rosé, scintille par endroits. Elles se dressent, excroissance soudaine surgie de la chaîne. C'est bien là la caractéristique des Dolomites : partout des dents roses, des cônes, des murailles émergent d'une montagne aux pentes riantes, aux verts pâturages, aux petits lacs d'émeraude ou de turquoise. La situation à quelque chose de magique : les trois cimes exercent leur pouvoir d'attraction, le vent, paradoxalement, repousse P.P. et ses compagnons et le temps semble s'arrêter, avec le pédalage, le mouvement se fige, en suspens. Mais il faut échapper à cette sensation et d'une pression plus forte relancer la machine et enfin arriver au pied des trois dents. Là s'arrête la route revêtue et le gros chat, exténué, s'engouffre dans le refuge dont les portes claquent au vent. Pourtant, comment résister à l'appel du sentier qui continue à grimper, encore plus haut, vers le col, et qui permettra sans doute de voir de l'autre "côté". N'est-ce pas toujours le désir de celui qui monte, que d'aller voir ce qu'il y a derrière ? P.P. a du mal : si la pente est moins dure que sur la route, l'état du chemin ne permet pas toujours de rester en selle et l'accès final au col nécessite de pousser le vélo. Au sommet, à nouveau l'impression d'être en équilibre : le vent, dont la muraille les avait abrités pendant la dernière montée, souffle de plus belle. Et derrière, c'est beau, certes, mais c'est surtout en faisant demi-tour que P.P. découvre le plus beau spectacle : la-bas, tout en bas, très loin, le "petit" lac d'Auronzo... comme un minuscule trou d'eau... |
Auronzo : un pont franchit le lac. Appuyée au parapet, P.P. découvre dans son miroir les montagnes environnantes, tel un écrin, et là haut les trois cimes d'où elle a eu la première vue sur ce joyau. Pour l'atteindre, il a fallu redescendre la pente gravie avec tant de peine et contourner le massif par Toblach, Inichen et Padola. Entre ces deux pôles tout a été affaire d'attraction : se hisser vers les cimes, gagner ensuite la merveille aperçue d'en haut. Aller plus loin, atteindre ce qui attire, qui luit là-bas, n'est-ce pas le véritable moteur ? se demande P.P. En tout cas c'est son moteur à elle, elle a besoin de voir au loin un point "lumineux", qu'il existe réellement ou qu'il se promène dans sa tête, et la randonnée cyclotouriste est une illustration aimable (même si elle est parfois pénible) de sa dynamique personnelle... Pierrette POYER N°1024 du MANS (Sarthe) |