Il est comme ça, des lieux privilégiés où l'homme se sent bien, où il a toujours envie de revenir. Pour un pélerin catholique, ce sera Lourdes ou Jérusalem ; pour un turfiste ce sera sans aucun doute Longchamp ou Vincennes ; pour un mélomane, ce sera Garnier ou Pleyel et j'en passe... Pour moi, cet endroit magique a un nom catalan : c'est Pla Guilhem. C'est de plus un lieu où depuis des années, et sans que je la connaisse, une femme attendait ma venue, Madame Pa. Qui êtes vous donc, Madame Pa ? J'étais déjà monté deux fois jusqu'à la cime, une première fois en 1989 avec mon fils Laurent et mes amis Nicole et Robert par la face nord puis en 1991 avec Maud par la face sud mais je n'avais pas trouvé le chemin qui menait jusqu'à cette femme mythique qui vivait sur cette montagne du Canigou. Où vous cachiez vous donc, Madame Pa ? Sans pour autant que l'on puisse parler d'obsession, je pensais souvent à elle quand je ressortais mes photos de vacances et je me promettais de revenir sur ses terres pour la voir enfin, pour aller jusqu'à elle, lui faire en quelque sorte ma déclaration. Le troisième essai sera le bon et c'est le 16 août 1996 que j'ai pu enfin aller chez Madame Pa sans, je peux bien l'avouer, être déçu de ma très longue attente. Mais n'anticipons pas et reprenons au début de l'aventure. Nous sommes donc le 16 Août et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il fait chaud au col de Jou à 1125 mètres d'altitude, là où le goudron s'arrête. Mais nous avons, Maud et moi, de bons V.T.T. qui, à n'en pas douter, nous emmèneront jusqu'au sommet. Un petit panneau nous donne la mesure de la tâche qui nous attend : Pla Guilhem est à 10 km ce qui signifie que notre objectif déclaré, la collada de la Roquette (2083 mètres d'altitude) est à 8,5 km. 958 mètres de dénivelée nous en séparent donc, et tout bon mathématicien vous calculerait sans aucune difficulté le pourcentage moyen : 11,27 % ! Je me garde bien sûr d'annoncer ces chiffres à Maud de crainte de l'inquiéter et de la démotiver ! Il y a foule pour nous voir quitter le goudron. Non, non, ce ne sont pas des supporters mais simplement des promeneurs que l'altitude a appelés jusqu'ici. Il y a aussi, malheureusement, de nombreuses voitures, alléchées par l'idée de pouvoir monter à plus de 2000 mètres d'altitude, si près de la mer, et sans fatigue ! Nous devrons donc supporter, au moins jusqu'au refuge de Mariailles, la poussière et la pollution générées par ces "amoureux de la nature" motorisés. Les premières dizaines de mètres sont sages mais, sitôt la première épingle passée, la pente s'accentue et sauf à de rares reprises, il en sera ainsi jusqu'au sommet. La piste est toutefois en très bon état et d'aucuns la qualifieraient "d'autoroute muletière". Je croyais que les autoroutes ne devaient pas dépasser un certain pourcentage ! J'ai pris quelques mètres d'avance et nous allons rouler ainsi pratiquement tout au long de notre randonnée. Il n'est, en effet, pas très facile d'aller de front sur des pistes à cause des ornières et du déséquilibre induit par la difficulté de la pente. J'aurais ainsi tout loisir de penser à cette Madame PA que je vais enfin rencontrer, sans que Maud le sache car, évidemment, je ne lui en ai pas parlé ! Délice des délices, la piste est ombragée, au moins en partie et nous pouvons le plus souvent rouler à l'ombre ce qui nous évite de mêler à la sueur de l'effort celle due à un soleil trop ardent.Par ailleurs, et jusqu'au refuge de Mariailles, la forêt épaisse va réussir à nous cacher le paysage et la vue parfois déprimante de ce qu'il reste encore à gravir pour atteindre le sommet convoité. Maud , dont l'entraînement n'est pas des meilleurs cette année, va rapidement faire à la montagne les "honneurs du pied" et, pour lui tenir compagnie, j'en ferai de même à plusieurs reprises. Mais chaque fois qu'elle le peut, elle remonte sur le magnifique VTT qu'elle a loué et gravit à son rythme la pente sévère. Nos altimètres d'ailleurs ne s'ennuient pas et ont fréquemment l'occasion de changer leur affichage car les mètres se gravissent vite sur du 11 % et plus ! Nous avons bientôt la surprise de découvrir une section de piste bétonnée sur 600 m environ. Il n'en était pas ainsi lors de ma première ascension de ce côté et je comprends mieux le nombre de voitures qui se hasardent à présent sur cet itinéraire. Une source sur le bord de la "route" nous donne l'occasion d'un arrêt pour remplir les bidons. Nous faisons le point sur notre progression et nous constatons que notre moyenne, faible certes mais honorable tout de même, nous permettra de pique-niquer à Mariailles, à 1718 m d'altitude. Il ne restera, en dessert, que 365 m de dénivelée suivis d'une longue descente, cahoteuse à souhait. Nous reprenons donc notre cheminement entrecoupé d'arrêt pour souffler un peu ou pour ramasser quelques fragments de mica qui iront rejoindre ma collection de "pierres souvenirs". Et nous franchissons en même temps, de quoi enrichir celle de Maud, les cols de Creu et du Cheval Mort que j'avais déjà dans la mienne. Et voilà bientôt Mariailles ! Vous dire que l'on pourrait se croire sur les Champs Elysées serait sans aucun doute excessif, mais le lieu est très fréquenté. De nombreuses voitures ont déchargé là des cargaisons de touristes avides de sensations à bon compte et qui polluent à qui mieux mieux ! Et il y a même des compagnies de 4x4 qui proposent le voyage. Rajoutez-y des marcheurs en quête du Canigou, un zeste de VTtistes et vous comprendrez l'encombrement du lieu et la bruyante animation qui y règne. Reconnaissons-le, le paysage mérite le voyage. Là, au-dessus de nos têtes, c'est le Canigou. L'épaulement qui le prolonge en direction de l'Espagne, c'est Pla Guilhem. Les lignes de crêtes s'entrechoquent dans un monde essentiellement minéral où l'arbre, s'il n'a pas disparu, n'est plus le roi. La roche teintée de rose et de pourpre caractéristique de la région s'allie en sanglantes épousailles avec un ciel d'azur... |
Nous choisissons un lieu à l'écart pour tirer notre repas du sac. La pollution est à présent sonore, faite de la vantardise de ceux qui ont amélioré leur temps de 14 secondes (!), de la prétention de ceux qui trouvent que c'est trop facile, que les temps moyens affichés sont trop larges, et du discours de ceux qui tiennent à faire savoir qu'ils ont "fait" Chamonix, les Ecrins, etc. Nous laissons sur notre droite la piste de la Collada des Mattes Rouges, non prévue pour cette année, pour prendre celle, plus rugueuse à présent, de Pla Guilhem. La Croix de Llipodere (Collada de la Roquette) est à 3,5 km. Il ne nous reste que 365 m de dénivelée à franchir avec un pourcentage moyen de 10,43 %, une paille je vous dis. Le départ est pourtant sage et nous roulons un bon moment en slalomant entre grosses pierres et ornières profondes. Mais bientôt nous croisons un convoi de 4x4 qui nous oblige à mettre pied à terre. J'en profite subrepticement pour parler de Madame PA à Maud. Il nous suffira pour aller la voir d'un petit détour de 2 km aller retour, sans grande difficulté puisque, si j'en crois ma carte TOP 25, nous devrions la trouver à 2055 m d'altitude. J'échange son consentement avec le col de Boucacers que je suis prêt à laisser pour une autre année. Bientôt, au-dessus de notre tête, se profilent la crête de Pla Guilhem, le pic de la Roquette et le col du même nom et j'annonce à Maud qu'il ne lui reste plus que 150 m de dénivelée à franchir. Elle me dit qu'il est temps car elle commence à fatiguer et que l'expédition était sans doute trop difficile pour elle. Nous marquons une nouvelle halte dans la dernière épingle du sommet où nous devrions trouver le chemin qui conduit à Madame PA. Mais de chemin, nenni ! Allais-je encore manquer mon rendez-vous ? Et puis, comme dans un rêve, nous arrivons à la Collada de la Roquette (2083 m d'altitude). Et un 2000 de plus pour Maud! Nous admirons le paysage superbe sur le massif du Canigou, la réserve naturelle de Mantet et nous suivons des yeux cette piste sublime qui passe tant de 2000 avec, entre autres, la Collada Verda. Nous allons bien sûr immortaliser cette grande victoire (!) en nous photographiant devant le panneau de bois du sommet mais une famille de touristes, montés là en voiture, a justement choisi le pied du panneau pour son pique-nique, alors qu'ils seraient bien mieux sur l'herbe ! La question est d'importance : allons-nous "virer ces malappris" ou prendre notre mal en patience jusqu'à ce qu'ils aient fini leur collation ce qui, semble-t-il, ne saurait tarder ? La solution choisie va de loin être la meilleure et la plus agréable : nous allons profiter de ce léger contre temps pour partir à la recherche de Madame PA ! Ma carte est formelle : il n'y a pas de ce côté là de chemin d'accès et il nous faut nous fier à notre sens de l'orientation et à nos altimètres en suivant dans un premier temps les courbes de niveau puis en plongeant de 30 mètres environ vers Mme PA. Il n'y a heureusement sur ce versant que de rares arbres et très vite nous arrivons en bordure d'un vaste ensellement herbeux, domicile de celle que je suis venu rencontrer. Nous sommes en effet arrivés à la Collada de DONA PA (2O55 m) ou, en français, au Col de Madame PA ! Le lieu est idyllique mais, vous vous en doutez, inhabité. Pas de Mme PA, et je ne sais toujours pas ce qu'a pu faire cette inconnue pour donner son nom à un col aussi haut et prestigieux. Peut-être avait elle tout simplement une bergerie à proximité ? En tout cas, nous sommes bien sur ce col, seuls pour la première fois de la journée et ce n'est qu'à regret que nous en repartons. A la Collada de la Roquette, la place est à présent libre pour les photos dont nous ne nous privons pas. Nous nous remplissons les yeux car c'est la dernière randonnée des vacances. Demain, il nous faudra plier, aller rendre le VTT à Prades et nous retardons le départ le plus longtemps possible ! Nous remettons tout de même nos roues dans la pente, en nous attendant à être secoués, au moins jusqu'à Mariailles vu l'état de la piste constaté à la montée. Et bien, nous ne sommes pas déçus ! La pente est forte et même en freinant d'une façon presque constante, nous prenons de la vitesse. Les impacts sur les cailloux rendent les poignets douloureux, ceux de Maud en particulier car elle a tendance à se crisper un peu trop sur son guidon. L'arrivée à Mariailles est accueillie comme une délivrance mais il nous faut rapidement déchanter. La piste qui semblait confortable à la montée, à très faible allure, l'est nettement moins avec une vitesse très supérieure. Il faut toujours freiner pour maîtriser sa descente et l'arrêt à la source est un moment apprécié. Le passage bétonné est également moins agréable en descendant car, et nous ne l'avions pas remarqué en montant, il est rainuré ce qui occasionne à vitesse plus importante, de très désagréables vibrations. Mais c'est aussi cela, n'est ce pas, le VTT ? Quelques centaines de mètres encore, et nous retrouvons le goudron au col de Jou, la chaleur de cette fin de journée d'été, des voitures encore plus nombreuses avec une pollution d'autant plus remarquable que nous avons passé la journée au grand air. Là, juste en face de nous et bien visible sur sa montagne, se dresse l'abbaye de St Martin du Canigou visitée quelques jours plus tôt. Et là, tout au fond de nos coeurs, invisible mais bien présent, il y a, à tout jamais, le souvenir de cette journée inoubliable passée à VTT, à la recherche de Madame PA. Rolland ROMERO N°1269 de La VOULTE (Ardèche) |