Printemps de cette année : comme j'attends un bébé, les vacances devront être prises plus tôt que d'habitude (en septembre, je ne serais peut-être plus transportable nulle part !), nous décidons donc, Gilbert et moi, de monter droit vers le nord, chez nos cousins anglais, juste là où finit l'Angleterre et où commence l'Ecosse, à l'extrème-ouest du pays. Après une traversée de la Manche plutôt tumultueuse, nous nous sommes dirigés en voiture au-delà de Liverpool et Manchester, vers la ville d'Haworth, près d'Halifax, ville natale des Soeurs Brontë. Passée cette première étape culturelle, avec visite de la ville et du presbytère dans lequel les trois soeurs écrivains ont pratiquement passé toute leur vie, nous atteignons Kendal, dans la région des lacs, à une centaine de km plus au nord. Nous y laissons la voiture, nous chargeons nos vélos et partons à la conquête de cette région que tous les dépliants touristiques nous ont décrite comme merveilleuse... Ils n'ont pas menti, nous passerons dix jours à rouler sur des routes dépaysantes au possible au milieu de la lande, de la montagne et des moutons typiques de cette région, les "Herdwick", chevelus et gris. Nous traverserons des villages de poupées coquets et fleuris avec ses boutiques vieillotes aux étalages colorés qu'on ne trouve que de ce côté-ci de la Manche, nous longerons durant des km des lacs, des murets de pierres entourant des prairies vert pomme et des fossés fleuris encaissant étroitement un mince ruban de route. Seul os à ce paradis pour cyclos : le relief ! Déjà notre tour de Cornouaille anglaise, il y a quelques années, nous avait donné bien du fil à retordre... avec ses pentes proches des 20 % (courtes mais fréquentes) que nous avions, en plus, dû escalader puis dévaler tant bien que mal sous des pluies diluviennes... Cette année, une fois encore, dès la sortie de Kendal, nous avons un aperçu de ce qui nous attend... Le petit plateau sera à demeure sur le vélo, un 18 % me laisse pantelante, le coeur battant la chamade... avec dans le ventre, un bébé qui doit se demander ce qu'est en train de fabriquer sa mère pour se mettre dans de tels états... Bref, les premières journées se passent : on grimpe, on redescend, on profite de la douceur printanière anglaise... Demain, nous avons deux cols au programme. En lisant le "Guide du Routard", avant de nous coucher, nous apprenons que l'un d'entre eux aurait des passages à 30 %. Sceptiques sur ce que nous venons de lire, nous nous endormons tranquillement, bercés par les bêlements des agneaux, persuadés que le Routard, décidément, exagère toujours un peu dans ses descriptions... Le ciel est bleu ce matin et, lorsque nous sortons de la tente, nous trempons nos doigts de pieds dans la rosée fraîche. Une fois les vélos transformés en "bête de somme", nous nous heurtons dès le départ, à quelques bonnes bosses traversant une campagne anglaise traditionnelle avec au détour de quelques carrefours, de rondes fermes en granit, parfois recouvertes de chaux blanche et au toit en ardoises. |
Puis, une belle descente en sous-bois ensoleillé où les rhododendrons sont géants, de véritables arbres aux fleurs de couleurs inconnues en France : framboise écrasée ou saumon orange. Sous les arbres, un tapis violet de jacinthes sauvages. Nous attaquons notre premier col signalé sur la carte : le " Wrynose Pass". Une route à gauche et nous quittons la campagne pour la montagne. Ici, à 400 mètres, le paysage ressemble à un paysage de haute montagne, nu et sauvage, la lande rousse, les rochers déchirants les sommets et, toujours ces moutons chevelus qui seront les compagnons fidèles de notre voyage. Bientôt, une pancarte annonce les 30 %. Et m.... !, le Routard n'aurait pas exagéré !!! Comme ils font une pause-restauration, nous rejoignons des cyclistes anglais aperçus à une centaine de mètres tout à l'heure. Nous discutons un peu. Ils sont en vacances ici pour une semaine et font un voyage en étoile. Comme nous, à deux km du sommet du col, ils mettent pied à terre. On pousse le vélo sur 50 mètres, on s'arrête pour retrouver son souffle et éventuellement, regarder le paysage. On prend une photo, on remet la chaussure trop grande que l'on perd sur ce genre de pente... Un automobiliste me croise. En riant, il m'annonce " You'll never see that !" Et ben, ça c'est sûr ! En haut du Wrynose Pass, nous déjeunons avec en toile de fond une vue dégagée sur le futur col à passer : le "Hard Knott Pass" Le couple d'anglais nous double et nous souhaite bon courage pour la suite des événements... La suite, c'est tout d'abord une belle descente par une route en lacets qui longe un torrent gris argenté. Puis, nous passons sur un petit pont de pierre romain dont il faut ouvrir la barrière et nous nous retrouvons au pied du terrible "Hard Knott", le bien nommé. Pour moi (j'ai maintenant la technique !), rien d'autre à faire que de descendre de vélo et de marcher à pied tout en poussant la bête tant bien que mal... Sur les pentes les plus raides, Gilbert m'aide à pousser puis redescend chercher son vélo quelques mètres plus bas. Parfois, un sursaut d'énergie lui permet de passer un ou deux lacets en danseuse... Encore heureux, le paysage est de toute beauté, le col pas très long et le moral d'acier. Arrivés au sommet, Gilbert dégringole de l'autre côté, en faisant crisser ses freins. Quant à moi, j'ai trop peur... Je descends comme je suis montée, à pieds... Décidément, je me dis que des godillots de marche auraient été plus utiles que mes traditionnelles basket de vélo. Une fois de retour dans la verte vallée, nous bivouaquons dans un camping à la ferme dans lequel nos tentes se battent en duel dans un immense champ entouré de prairies à moutons... Le soir, nostalgie de notre voyage en Roumanie durant lequel notre réchaud à essence était tombé en panne, nous décidons de faire un feu de bois et d'y glisser les saucisses au menu de notre dîner. La fraîcheur tombe, le feu nous réchauffe les doigts et le bout du nez, les agneaux tous noirs (ils blanchissent en vieillissant... nous a appris la propriétaire du camping) bêlent désespérément. Hélène RICHARD de PARIS |