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Vagabondages

Revue N° 26 Page 25

Impardonnable ! Je suis impardonnable ! Je suis au Club des 100 Cols depuis 1979 et je n'ai toujours pas fait un seul article pour notre revue.

Alors je vais me jeter à l'eau. Mais que vais-je raconter? Le passage de mon énième col ? le récit d'une journée avec un record de cols ? Non, j'ai plutôt envie de mettre sur le papier les idées comme elles me viennent aujourd'hui sur le vélo. Avez-vous remarqué comme sur un vélo, lorsque l'on roule seul, les pensées, les idées, les réflexions affluent, se bousculent, repassent de l'une à l'autre en un incessant tourbillon et vous laissent à la fin de la journée avec le sentiment que tout est clarifié dans votre tête et qu'enfin, on a eu le TEMPS de penser. Rendez-vous compte, dans ce monde trépidant et sous tension, le vélo serait un des derniers endroits où on pourrait trouver le temps de penser tranquillement.

Le temps, je compte le prendre et même en abuser aujourd'hui. Hier j'ai inauguré les balades des Topos Guide des amis René et Michel dans le massif St Genis et ce n'était pas la meilleure préparation pour une randonnée vallonnée. Superbe sortie en VTT mais ils avaient oublié de préciser que le piolet était indispensable à certains endroits ! Descente raide qu'ils disaient ! Sûr de moi, je m'étais dit, pas de problème, je descends à pied ! Mais même à pied !! Enfin cela fait partie des charmes du muletier.

Parti de St Ferréol Trente Pas à côté de Nyons, mon parcours doit me mener à Taulignan, Grignan, Dieulefit, Vesc, Crupies, plus quelques détours pour passer par différents cols. Tout de suite, je sens que la journée va être difficile ; les premières côtes me laissent la douloureuse impression que l'itinéraire prévu est un peu trop ambitieux, que le temps prévu déjà très large va être amplement dépassé. Vous savez c'est le genre de journée où l'on est heureux d'être sur le vélo tout en maudissant cette passion fatigante; où chaque paysage un peu original est prétexte à un arrêt photo, chaque fontaine à un arrêt boisson (même si le bidon est encore plein) ; chaque carrefour à un arrêt lecture de carte (même si on est à peu près sûr de l'itinéraire). Une journée où on pense que vraiment un patin de frein touche la roue en permanence.

Comme disent les sportifs de haut niveau: "je n'ai pas retrouvé toutes mes sensations !" Moi c'est simple depuis ce matin, j'ai une seule et unique sensation, celle d' être fatigué. Les villages passent, de plus en plus beaux : Nyons, Taulignan, Grignan, Dieulefit, Poët-Laval, anciens villages forteresses aux rues étroites, entourés de vignes et de collines.

Quelques kilomètres supplémentaires pour ajouter deux cols à ma liste, le coup de pédale devient un peu plus aisé, ce n'est pas encore le style de Pantani ou de Virenque mais c'est déjà un peu moins poussif. Pourtant les kilos superflus sont de trop et mes kilos en trop ne m'apparaissent pas superflus ! Les amis qui m'ont connu au club de Saint Dié ne reconnaîtraient pas ce cyclo alourdi d'une ceinture abdominale imposante. Promis, je commence à maigrir demain !
Saint Dié 1974, l'année de mes débuts, mon premier club, les premiers efforts, les premières joies, les conseils avisés de Claude Raffenne, les premiers cols aussi encore non comptabilisés. Et puis en 1979 la révélation de l'existence du Club des Cent Cols et l'inscription en fin d'année avec quelques 180 cols. Mon maître des 100 cols à l'époque appartenait au même club de St Dié. C'est Jean Duchamp, avec ses presque 400 cols, palmarès qui nous paraissait inaccessible. Et puis au fil des ans, ma liste s'est allongée, la sienne aussi, mais petit à petit le trou qui nous séparait s'est comblé et j'espère cette année pouvoir le côtoyer non plus sur un vélo mais sur la liste de la revue 98. (Que ceux qui ne se sont jamais situés sur la liste et calculé leur rang me jettent leur premier vélo !).

Je pédale toujours dans la Drôme et je pense toujours à Jean. La vie sépare les êtres humains et il suffit d'une Confrérie comme les Cent Cols pour garder un lien aussi minime soit-il. On se dit, tiens cette année il n'a pas fait beaucoup de cols, il n'a peut être pas beaucoup roulé. Tiens, Jean-Pierre a encore fait 120 cols cette saison, il a toujours la pêche !

Je suis en train de gravir mon dernier col, celui de la Sausse avant de me laisser glisser sur Saint Ferréol. Je suis redevenu incapable de mettre toute la sauce et il ne me reste qu'à mouliner sur cette pente qui ne doit pas excéder les 5 %. Un couple sur le bord de la route m'encourage gentiment, j'essaye de ne plus pédaler avec les oreilles mais de paraître facile ; orgueil, quand tu nous tiens! Quel plaisir aussi d'avoir un mot gentil sur le bord de la route, quand les gens nous regardent d'un oeil bienveillant et il faut bien le dire où l'on croit déceler une pointe d'admiration.

Je n'aime pas le braillard simili-sportif qui hurle un encouragement par la fenêtre de sa voiture tout en vous rasant de trop près. Je hais de toutes mes forces l'odieux personnage que l'on croise dans sa voiture bien assis avec sa petite famille, lui en descente, nous en montée et qui s'esclaffe de vous voir peiner.

La descente est là, reposante, exaltante, dans des gorges superbes. Pourtant à quelques kilomètres de la voiture, une pancarte sur la droite : Col de Valouse. Le démon me reprend, et après un petit calcul sur mon IGN, je ne dois être qu'à 4 km du col. Malgré les jambes raides et mon envie de stopper là tout effort, je m'engage sur la petite route dont la déclivité est inversement proportionnelle à ma forme. Je me prends à maudire mon compteur qui n'affiche qu'un ridicule 7 km/h. Finalement, lorsqu'on roulait sans compteur, on ne se cassait pas tant le moral, les illusions étaient entières. Mais bon il faut bien profiter du progrès.

Au bout de 5 km j'arrive au col. Géographiquement, ce n'est peut-être pas le plus beau, mais pour moi, c'est la cerise sur le gâteau. C'est celui qui m'a permis de me dépasser, celui qui n'était pas prévu, le plus quoi !

De longues minutes à rester là, tranquillement. Il fait encore chaud malgré l'heure avancée, tout est calme, le temps s'arrête presque. Félicité. Je me laisse glisser dans la vallée.

Hervé LACHAUME N°766

de VOLONNE (Alpes-de-Haute-Provence)


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