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Parpaillon ! Port du casque obligatoire

Revue N° 26 Page 63

Le départ est prévu de Saint André d'Embrun. Nous mettons une bouteille d'eau à rafraîchir pour le retour dans le bassin de la charmante place ombragée, située près de l'église.

Après quelques kilomètres de montée, une vue panoramique exceptionnelle sur le lac de Serre Ponçon s'offre à nous. Plus tard, au détour d'un virage, une altière demoiselle coiffée nous honore d'un regard minéral.

Quelques agapes prises au bord du ruisseau et nous voici vraiment dans le Parpaillon. Tenant toutes ses promesses, le Parpaillon nous a distillé toutes ses sensations.

Il a pour nous : déroulé sa route infiniment, disposé harmonieusement ses cailloux, ses trous, ses à-coups, ses bosses. De telle façon qu'un piège évité nous renvoie inexorablement sur l'embûche suivante. Il a lancé ses mouches à l'attaque, pas méchamment, pas pour nous interdire la montée, juste pour tester notre aptitude à éviter les accidents de la piste nous contraignant à lâcher le guidon pour s'administrer des claques ou pour réaliser de grandiloquents moulinets. Il a invité pour la circonstance ses vaches formant en notre honneur une haie placide. Il a programmé l'éclosion des fleurs de ses alpages pour que leurs inflorescences, leurs senteurs évanescentes soient, ce jour là, au maximum.

Et enfin, lorsqu'il a vu à qui il avait à faire, lorsqu'il a jugé que nous étions dignes de lui, après plusieurs heures d'une âpre lutte, d'un combat de tous les instants, il a donné l'ordre à ses marmottes, ses dernières sentinelles, de nous escorter de leurs sifflements admiratifs. Puis enfin, il nous a offert dans un écrin son monde minéral, constellé des taches blanches de ses névés.

Ainsi, nous avons su que nous étions arrivés. Nous avons eu de la chance ce jour là! Le Parpaillon était bien disposé et nous savions qu'il avait encore en réserve un puissant arsenal dissuasif dont il n'a pas usé. Pourquoi ? Parce que nous avons su l'aborder humblement, admirativement, progressivement. Et puis, il faut dire que ce jour là, il y avait beaucoup de voitures qui ne nous ont pas simplifié la tâche. Le Parpaillon n'aime pas les voitures!

Pour nous récompenser, il a su se montrer magnanime. Mais je dois vous avouer que durant les trois derniers km, pour m'aider, détail matériel dans ce contexte idyllique, je comptais les tours de manivelles. A 2600 m, en vue du tunnel, j'ai cessé de compter.

A l'arrivée à l'entrée du tunnel, je suis accueilli par mes trois compagnons d'ascension et par un petit chien de berger noir. L'air est frais à 2645 m! Nous enfilons un pull et nous nous restaurons, observés par notre nouveau compagnon à quatre pattes.

Le moment de traverser le tunnel est venu ! Tunnel que certains "Cent Colistes" n'ont pas hésité à qualifier de : "Promesse de hâvre de paix... retour à une vie d'avant... l'éclaboussure de lumière de la naissance... trou noir de l'espace..."

Denise n'y voyant qu'un endroit humide, sombre et glacé, déclina tout d'abord l'invitation. Nous dûmes faire preuve de diplomatie, lui dire que c'était l'aboutissement logique de l'ascension du col, que tout le monde passait par le tunnel, que ce serait dommage de ne pas découvrir le paysage de l'autre vallée, que le tunnel n'était pas très long et qu'en plus on en voyait, point lumineux dans la nuit, le bout. Convaincue par nos arguties, elle accepta de tenter l'aventure. Son vélo était équipé d'un éclairage, honneur aux dames, elle passa la première.
Et, en file indienne, accompagnés par notre "toutou", nous disparûmes dans la pénombre, nappés par cette gueule béante. Les premières gouttes qui tombaient du plafond ne nous effrayèrent pas. Au bout de quelques dizaines de mètres, notre éclaireuse s'arrêta, inquiète : Qu'il y a t-il là devant, dit-elle? Aie! Nous avions omis...volontairement, de lui parler des trous d'eau. Heu..! Peut être de l'eau! mais en cette saison les flaques ne doivent pas êtres profondes. Nous avançons encore de quelques mètres : "Mais c'est profond dit-elle, et on enfonce! Je fais demi tour!" En effet, c'était profond et lorsqu'on mettait un pied à terre, il disparaissait dans la boue charbonneuse. Elle fit demi tour...

Nous entendîmes arriver derrière nous, à pieds, un groupe : le père, la mère et deux enfants. Ils s'arrêtèrent à quelques mètres de nous, bloqués par l'eau. Amplifiés par l'écho du tunnel, démultipliés par son atmosphère angoissante, à grands fracas, des blocs de schiste se détachèrent du plafond et s'écroulèrent sur le groupe provoquant immédiatement les pleurs et les cris effrayés des enfants. Tout le monde resta pétrifié, alors qu'une deuxième chute, au même endroit, les atteignit de nouveau. Les pleurs des enfants redoublèrent, et tout le monde, qui courant, qui pédalant, se précipita vers la sortie. Les enfants étaient inconsolables et égratignés. La maman était la plus touchée. En fait, c'est elle qui avait reçu les plus gros morceaux sur la tête, l'épaule et l'avant bras. Elle avait de gros hématomes et nous avons désinfecté les plaies avec nos pharmacies de secours.

Nous n'avions plus envie de nous aventurer de nouveau dans ce conduit. Nous décidâmes alors de monter au col à pieds. Un quart d'heure de marche dans les éboulis en évitant les timides fleurs de rocailles puis la vallée austère de l'Ubaye se dévoile à notre vue.

De retour au tunnel, le petit toutou était toujours là. Dans la descente, il nous a suivi. Il connaissait la route, coupait les virages, filait tout droit à travers prés, trottinait à côté de nous dans les passages herbeux difficiles. Il nous attendait lorsque nous nous arrêtions pour nous décontracter. A la fin de la piste, après une dernière pose, le chien n'était pas là. L'avions-nous perdu ? Dans la descente jusqu'au pont de Crévoux, nous allions vite ! C'est sûr, nous l'avions semé.

Au bassin de la Chalp, le temps de nous rafraîchir et de refaire le plein d'eau, il arrive tranquillement, pas essoufflé, il remue la queue, content de sa descente de plus de 1000 mètres de dénivelée. Les deux pattes sur le rebord du réservoir, il lape quelques gorgées d'eau bien méritées. Il nous inquiète ! Il reste sourd à nos injonctions. Nous ne voulons pas le perdre sur la route de Saint André. Nous a-t-il adoptés ? Allez savoir ce qui se passe dans la tête d'un chien ? En désespoir de cause, un sonore "Vas t'en!" lui fait enfin entendre raison. Il s'en va en trottinant, la tête basse. Adieu ! Compagnon, remonteras-tu demain au Parpaillon pour te lier d'amitié avec d'autres cyclistes ?

La place de Saint André d'Embrun est calme et chaude, la bouteille est toujours là dans le bassin, bien fraîche. Elle est la bienvenue.

Noël MATHELET N°1211

de BOZEL (Savoie)


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