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Le bout du tunnel

Revue N° 29 Page 49a

Nous roulons depuis plus de 10 heures. Cependant, pour être honnête, je crois qu'il serait préférable de substituer au verbe "rouler" celui de "se déplacer". Le soleil décline lentement vers un ouest glorieux et, du creux des vallées dominées, s'élèvent de graciles vapeurs s'agençant sournoisement en d'envahissantes volutes qui s'acharnent à combler le vide entre la Cima di Becco et la Testa Ciaudon.

Inquiétante, une structure métallique jaillit soudain du brouillard et dresse ses longs membres de fer au travers du chemin, comme pour tenter de nous retenir. Connaissant le topo presque par cœur, l'ami Pierre, avec un certain soulagement, annonce la proximité du col de Tende. Froide et hostile, la nuit étend progressivement ses grandes ailes noires et éteint la blafarde blancheur d'une brume de plus en plus dense. Mais où donc se situe l'amorce des sinueux lacets susceptibles de nous mener côté France ?

Rien à faire, toutes les issues rencontrées sur notre gauche s'achèvent en impressionnantes coulées de pierres, alors que le chemin désormais carrossable, plonge irrémédiablement vers l'Italie.

Deux phares trouent la nuit. Intrigué par notre insolite présence, le conducteur du véhicule s'arrête et nous demande s'il peut nous aider. Le brave homme ignore tout de la route censée descendre sur la vallée de la Roya mais propose de nous éclairer dans la descente en direction de Limone Piemonte où nous pourrons, plus sereinement, tenter de trouver une solution. Sans hésitation, nous acceptons et, devançant notre Saint-Bernard, nous nous offrons une folle partie de manivelles, histoire de ne pas trop le retarder.
Rapidement, nous atteignons la route n° 20, déserte à cette heure, et tentons de prendre congé de notre guide. Ce dernier semble se faire beaucoup de souci pour nous et tient à nous accompagner jusqu'à l'entrée du tunnel. Ensemble, nous ralentissons en vue du poste de police. Des carabiniers sortent alors du bâtiment et s'opposent à notre passage. Il nous est expliqué que des accumulations de gaz toxiques, dues à une ventilation insuffisante, auraient vite fait de nous conduire directement chez l'auguste patron de mon coéquipier.

Que faire ? Notre accompagnateur ne s'embarrasse pas de préjugés. Il fait descendre femme, fille, chien et une conséquente cargaison hétéroclite, replie les sièges arrières du break, nous demande d'y loger les vélos et nous invite à nous serrer tous les trois sur la banquette avant.

Rapidement et sans dommage, nous traversons le dangereux ouvrage. Là seulement, nous nous séparons définitivement du très obligeant automobiliste qui s'en retourne retrouver les siens. Le poste français est désert... pas un gendarme... pas un douanier ... pas un représentant de la police des frontières. Seul, sans explication, un banal panneau d'interdiction en tient lieu. Il y a tout lieu de penser que, s'il en avait été de même sur le côté italien, nos noms sur le tableau des membres de la Confrérie s'orneraient désormais d'une inquiétante petite croix noire.

René CODANI N°1882

de LARDY (Essonne)


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