En vacances dans les Hautes-Alpes, il convient de (re)faire les cols de Vars, d'Izoard, d'Agnel, ou sur les crêtes, les cols de Valbelle, de Vallon, de Saluce et de Chérine ! Quatre 2000 d'un coup, c'est rare non ! Mais il y en a un autre par-là, qui attend de pied ferme l'espèce endémique des centcolistes. S'il est un col de légende, connu par les textes dithyrambiques de cette revue, c'est bien le Parpaillon ! Encore un panégyrique sur ce col "04-2637" pensez-vous ? Assurément non, mais bien des anciens seront ravis de lire de ses nouvelles et les néophytes vont vite sortir les cartes... "Allez, debout", dis-je à mon réveil, encore tout endormi, ronflant de son "tic-tac" béat. "Alors quoi, ce n'est pas juste de réveiller un réveil en vacances" bâillait-il ! Après un solide déjeuner, injustement appelé "petit", gonflé de la motivation des jours de première, c'est parti... gentiment. Le trajet est fait dans le calme et la fraîcheur du petit matin d'un grand jour où l'aube se lève à son tour. Il s'agit d'arriver à Crévoux pas trop crevé pour la pause de 8 h. Ce qui n'est pas le cas de tout le monde : ma roue arrière, elle, semble s'être quelque peu dégonflée. Moi, je ne suis pas à un coup de pompe près, mais là, c'est du bon air de montagne, du 1500m, "profites-en" lui soufflais-je. Je soulage mon sac de quelques fruits et procède aussi à un ballastage des liquides, mais le poids reste le même ! Me voilà à pied d'œuvre. Le départ est raide pour arriver en haut du bourg, d'où l'on domine à gauche le village de La Chalp. L'échauffement est acquis s'il ne l'était pas déjà, par cet apéritif. La montée continue en forêt sur la D39t, sans trépidation mais avec obstination. La pente est sévère, il faut trouver son rythme et surveiller sa pompe à air. Qui n'a pas été pris de faiblesses inexpliquées pendant ces temps d'efforts que l'on s'impose ? C'est le moment de faire le bilan de sa dentition ou de l'insuffisance du moteur. Il faudra bien admettre que, les années passant, on perd ses dents de devant. Cependant, ce n'est pas dramatique, car, curieusement, on observe généralement qu'elles repoussent un peu plus en arrière quelques années après. Les dents de la Sagesse en quelque sorte. Pour les manivelles, avec l'une rafistolée de quelques bouts d'inox et l'autre des faiblesses de Durits, ce n'est plus un beau jeu de jambes. Et sous le casque ! Pas vraiment schizo, car ne freine pas, mais un peu psycho-pattes pris à contre-pied... Au pont du Réal, fin de la route et début de la piste, un panneau laconique indiquant "route barrée à 9,6 km", pose une nette velléité à passer le fameux tunnel, par ailleurs marqué "passage incertain" sur la carte Michelin 81 pli 8 ! Il est 8h 30 et c'est la bonne heure. Je suis au pied du mur. C'est là que l'on voit le maçon dit-on, mais ce sera un cyclo en l'occurrence. Allons-y, il s'agit maintenant d'éviter les cailloux proéminents au profit de la douce bande latérale d'aiguilles de mélèzes. Quelques endroits nécessitent un coup de rein en danseuse, mais ce n'est pas de la lambada. La piste évolue en forêt le long du vallon et à force d'efforts on s'élève. Les pins s'espacent au profit des épilobes où de nombreux parpaillons (*1) bruns virevoltent. Après les premiers lacets, très difficiles, on atteint une croix de bois. Dans ce chemin de croix, s'il y a 14 stations comme ça, je suis mal parti ! Dans les alpages de Jaffuel, la pente est toujours aussi dure, sans répit, soigneusement taillée avec et par le Génie à dix pour cent. Maintenant il n'y a que de la caillasse, des petits roulants, des pointus acérés et des gros qu'il faut éviter d'arrache-pied. A zigzaguer ainsi dans ce chaos, d'aucuns diront "Tu ne creuses pas ton sillon bien droit mon gars". Pourtant je vous assure que je n'ai abusé ni de sistr, ni de chouchenn (*2). Pendant la montée, le nez sur la roue avant, j'ai tout le temps de cogiter sur la gravité tant physique que métaphysique du "pourquoi je n'avance pas bien vite". Et pour commencer, considérant mon "Lapierre", j'eus été mieux inspiré d'acquérir un "Laplume"... Arrivent le vallon des Eyguettes et le torrent de Crévoux. Dans ce cadre bucolique propice à la rêverie, je chantonne " Qu'il est long, qu'il est loin ton chemin, Parpa..."; je me fais siffler, cependant je n'en prends pas ombrage, le soleil étant de la partie. Devant moi la dernière cabane des Ecuelles et une autre croix de bois, il est 10 h. On entre ici dans la montagne de plein pied, mais pas de tunnel en vue ! Une moto descend de là-haut, mais d'où vient-elle ? Je hèle le gars au passage qui m'explique que ça passe mais qu'il y a de l'eau jusque 'là', me montre-t-il... J'appréhende et cela émousse aussi ma témérité. La pente reste dure, je mouille mon maillot mais pas question de mettre pied à terre. Le "flap flap flap" d'un hélicoptère rompt le seul bruit des pneus sur les cailloux : serait-ce la TV ? Et pourquoi pas deux motards bleus devant, à ouvrir la voie parmi mille marmottes agitant des petits drapeaux "gwenn ha du" (*3) et sifflant le peu de vélocité d'un vélocipède à la peine et aux pédales relookées ? Les sauterelles s'y mettent aussi, stridulant pour le zéro du jour. Quant aux dix ruminants bruns de ce côté et autant de roux de l'autre, je dois faire un effet bœuf à ces beaux vingt. Je suis moins beau et plus vidé que ces bovidés avachis, agitant à peine une clarine pour saluer cet intrus traversant leur alpage vachement fleuri ! Un gros caillou facétieux m'extirpe vite de ce délire sans doute dû à une surchauffe occipitale ! Encore un dernier lacet, ce col se fait désirer. Le voilà enfin ce trou du c.. (*4) de la montagne, insolite en effet. Le fantasme est assouvi, je l'ai grimpé ce Parpaillon mythique. Il est 10h 30. Je peux lever le pied et poser mon vélo sur la congère, encore là ce 2 août 2001. PSSSssss c'est parfait pour tremper la chaîne rougie après tant d'efforts, tout comme moi. Ce col n'est pas à prendre au pied levé, il vaut bien un Ventoux ou un Tourmalet. Les portes sont grandes ouvertes et de l'eau coule un peu. Les fers à béton qui y sont soudés ont été coupés. Comme je n'imagine pas quelque cyclo lesté de coupe-boulons pour faire ça, d'autres 4x4 s'en sont chargés. |
Bien, ce n'est pas fini, les pancartes sont claires : "interdit". Une lampe à la main, l'autre dans la bouche, je m'engouffre dans le trou lugubre. On croit y voir clair, mais au bout d'à peine 50 mètres, mes petites lampes n'éclairent quasiment rien dans ce frigo parcouru d'un courant d'air stressant. Heureusement, au loin, un rond lumineux visible parce qu'il fait beau, laisse deviner l'autre extrémité, à moins qu'il ne s'agisse que du reflet de l'entrée dans l'eau. Mais entre les deux qu'y a-t-il ? Il ne s'agit pas là d'une grotte pittoresque éclairée et aménagée pour la gent cencoliste, ni du tunnel de Fourvière ! Voilà la première flaque et la pluie... Ce n'est rien je m'y attendais. La seconde mare se devine vaguement, elle semble bien plus longue. Pour compliquer, il y a maintenant de la boue. La question est : jusqu'où va-t-on s'enfoncer ? Et bien sûr, là-dedans traînent quelques pavés traîtres et invisibles, tombés de la voûte il y a une minute, deux mois ou trois ans, nul ne le sait. L'un d'eux évidemment me fait chuter inopinément dans l'eau boueuse. Plaf ! Me voilà baptisé dans l'Ordre du Parpaillon, et par immersion qui plus est ! Je m'en relève puis récupère vite dans l'eau fraîche, une lampe encore allumée. Je mouille les godasses mais ça va, on ne perd pas pied ! Y a-t-il d'autres pièges, comme des épaves de cycles ou d'autres gouffres encore inconnus ? Verrais-je le bout du tunnel ou dans ce trou noir, le bout du cosmos ? Je reprends ma progression de cyclo-spéléo pataugeur à 2643 m. Il y a moins de boue et j'accélère le rythme vers la sortie. J'y vois mieux, les yeux s'étant habitués et le deuxième trou du c.. de la montagne se rapprochant. On passe un monticule de terre, celui de l'effondrement de la voûte par lequel le jour apparaît. Soudain deux grands yeux jaunes surgissent, me voilà envoûté ! S'agit-il du fantôme du Parpaillon, d'une marmotte géante ? Non, mais d'une vieille 4L brinquebalante. Ca y est, je l'ai franchie la montagne interdite. Je suis maculé de boue minérale, une cure bénéfique pour centcoliste en quête de cols chics. Je profite un moment de la vallée toute aussi rocailleuse de ce côté sud. Puis, ne réfléchissons pas trop longtemps, j'ai droit à deux tours pour le prix d'un. Le passage initiatique inverse complète les émotions de l'aller. Plus aguerri, cinq minutes suffiront pour venir à bout de ces 500 mètres et retrouver le jour. Là, j'ai gueulé un "au revoir Parpaillon", mais c'est un "au revoir cyclo" que son écho grave et lugubre m'a répondu. Bizarre non ? Encore un coup du fantôme, mais j'en accepte l'augure. Et quand j'aurai un jour les dents de la Sagesse je pourrai y être adoubé ; en attendant, je garde les pieds sur terre. La descente est moins dure que la montée, si tant est qu'il faille encore vérifier cette assertion de la physique gravitationnelle. La piste arasée permet de débouler rapidement jusqu'à la cabane. Stop ! Là on grimpe le chemin à gauche, debout, car c'est raide. Il faut négocier deux courts passages par des diagonales dans les prés fleuris, parmi les sauterelles et les parpaillons bleus. Cerise sur le gâteau, le col de Girabeau est vite atteint. Le coup d'œil vers l'ouest est fantastique, impressionnant de hauteur. Vers l'est, on voit bien mieux notre tunnel dans la rocaille. Je serre le casque et le reste pour la descente vers le pont de Réal qui ne me prendra que 20 minutes ! Je repasse mon film à l'envers et en accéléré : chers kilomètres durement acquis d'opiniâtre volonté, autant de kilomètres rapidement dépensés qui m'éloignent d'autres futurs cols. Le pont marque la fin de la séance de marteau pneumatique, de claquements des dents et de la chaîne. Après avoir vérifié que tout est encore bien accroché, gourdes et pompe s'entend, j'apprécie un rafraîchissement à la fontaine avant de débouler sur Crévoux pour 12 h pétantes. Ne continuez pas sans faire une pause à l'hôtel "Le Parpaillon", pour émarger le cahier FFCT où des pages blanches attendent vos impressions. Vous aussi, allez voir le vallon des Eyguettes et ses petits parpaillons bleus virevoltant tout là-haut sur la piste d'un certain tunnel... Dominique LEVEQUE N°5286 de VERN sur SEICHE (Ille-et-Vilaine) |