Allez, Tonton Frédo, pas d'histoire, parle-nous un peu du Tibet ! Pas d'histoire ? Ok ; exceptionnellement, je ne vous ferai pas le décompte (précis) du nombre de crevaisons, ni de mon kilométrage journalier. J'aurais pourtant juré que ça vous intéressait...Mais puisqu'on parle du Tibet, je ne vais pas vous parler de la seule route du Tibet dont on parle sans cesse : la classique route Lhasa-Kathmandu. Ceux qui l'ont faite et ont eu la chance de faire d'autres routes de très haute montagne en conviendront, ce n'est pas la plus belle de toutes. C'est, de prime abord, celle qui sécurise le plus : lien entre deux grandes villes, distantes de guère plus de 1000 km, avec en plus un embryon de circulation touristique à bord de jeeps. Et puis, la première partie n'est pas inintéressante : si l'on prend la " route " du sud, vue sur le splendide lac de Yamdrok, puis sur les glaciers de la piste Nakartse-Gyantse, et enfin justement la ville de Gyantse. Dans tous les cas, l'on passe par Shigatse, et son superbe Tashilumpo (monastère). Mais les deux tiers suivant, jusqu'à Kathmandu, sont loin d'être passionnants. Certes, l'on peut distinguer, dans le lointain depuis Tingri, l'Everest. Comble d'ironie, l'Everest lui-même n'y apparaît même pas comme le sommet de la chaîne ! Non, y'a pas à dire, je vous conseillerais une autre "route" qui, de l'avis des cyclos (français ou étrangers) qui l'ont parcourue, est nettement plus belle, peut-être même la plus belle de tout le Tibet : celle venant du Yunnan, c'est-à-dire de Kunming, Dali et Lijiang, ou du sud-est. Cette piste semble, sur les cartes à grande échelle, suivre tout bonnement le Mékong. Grossière erreur, ainsi qu'on s'en rend vite compte sur place ! Le tracé n'arrête pas de jouer au yo-yo entre 2000 m et 5000 m, de couper et recouper les vallées et gorges de la région et accessoirement de franchir une kyrielle de cols. Pour commencer, les deux superbes villes historiques que sont Dali et Lijiang : rien que ça, vous en avez déjà pour votre voyage. Puis c'est l'entrée au Tibet, magnifique, grandiose. Si vous faites ça en avril, c'est un spectacle, de voir cette neige de partout, et notamment autour de l'archi-hyper-super (j'ai pas trouvé de meilleurs quantitatifs de qualificatif) magnifique lac de Rawok, juste à l'aboutissement d'une incroyable série de hauts cols - le plus élevé à 5008 m. Vous n'êtes alors pas au Tibet, mais en Norvège ou en Alaska. Voir ça ou le Perito Moreno (glacier se cassant la gu... dans un lac, dans le sud de l'Argentine) ou à la rigueur le Machu Picchu ; ensuite vous pouvez prendre votre retraite de touriste professionnel, vous l'aurez bien méritée. La route reste très belle, jusqu'aux portes de Lhasa, soit le dernier col à 5020 m (150 km avant la capitale tibétaine). Et c'est là le plus intéressant du "trip" , car en roulant depuis le Yunnan, vous arrivez à vélo au grand site du bouddhisme tibétain, comme un pèlerin. Arriver au pied du Potala, grâce à vos mollets, ça a de la gueule, non ? Atteindre un site mythique à vélo a bien plus de valeur que l'atteindre banalement en avion, bus ou train. Or, si vous venez de Kathmandu, il est actuellement impossible de le faire à vélo, quoi que prétende le Guide du Routard, aux infos totalement obsolètes en ce domaine. S'il est assez aisé de faire Lhasa-Kathmandu (à la frontière, ils laissent passer sans problème), c'est exclus dans l'autre sens. Conclusion : vous atteignez misérablement Lhasa en jeep ou en avion. Mais toutes les routes tibétaines sont interdites aux étrangers, allez-vous me dire... Justement, figurez-vous que la route Lhasa-Kathmandu est également interdite aux touristes, qui ne sont autorisés à circuler qu'en groupes organisés, ou prétendus tels (il est aisé de prendre une jeep entre Shigatse et la frontière, pour 270 FF). Et les vélos ne passent que parce que la police ferme les yeux...mais de temps en temps, elle les ouvre, lorsqu'un grand ponte décide soudain de faire le ménage, et voilà les cyclos pourchassés le long de la Friendship Highway (Route de l'Amitié). Et la police est sûre, entre juin et octobre, de faire mouche, car les cyclos y sont relativement nombreux. Quand on fait une "opération coup de poing", on la fait là où l'on sait que ça vaut le...coup. Tandis que sur les autres routes, à part les Chinois (en convois de jeeps), il n'y a pas d'étranger (à part un peu sur l'axe goudronné depuis Golmud, au nord du Tibet). Donc, on n'y fait pas vraiment la chasse à l'étranger. Une fois qu'on a passé le checkpoint principal, à l'entrée du Tibet (+ ou - 100 km des limites provinciales), c'est presque OK jusqu'à Lhasa, avec un minimum de prudence (camping sauvage, ne pas s'attarder dans les gros bourgs où stationne la police...). Le comble est que, en dehors des bourgs, plein de jeeps de la police (sans compter les convois militaires) n'arrêtent pas de vous doubler ou croiser, sans rien vous demander ! Ils poussent assez rarement le zèle jusqu'à vous contrôler en-dehors des bourgs - et j'ai souvent croisé des policiers dans les bourgs même, sans qu'ils m'inquiètent, l'essentiel étant de ne pas y dormir, puisque le seul contrôle réglementaire semble être ceux des hôtels. Il y aurait depuis cet automne (suite à la tension en Afghanistan ?) une recrudescence des contrôles. Raison de plus, la Friendship Highway est sûrement plus contrôlée que les autres routes : les checkposts (notamment Lhatse et Shegar) y sont permanents, et plus pointilleux qu'ailleurs, il faut les franchir de nuit ou au petit matin (et même ainsi, à 2 ou 3 minutes près on a failli se faire pincer !). |
Et puis, ajoutons que les rapports avec les Tibétains sont nettement meilleurs dans l'est, sur des pistes absolument pas fréquentées par les riches étrangers, que le long de la Friendship Highway. Les autochtones ne peuvent ignorer que des expéditions qui se rendent à l'Himalaya, dépensent des fortunes, et que le moindre des touristes entre Kathmandu et Lhasa a déjà dépensé de belles sommes, surtout comparé à l'extrême dénuement des gens du coin. Comme un fait exprès, les Tibétains le long de cette route sont franchement plus miséreux que ceux de l'est, une région comparativement prospère. Les cyclos qui se sont contentés d'un Lhasa-Kathmandu doivent s'être faits une piètre opinion des Tibétains, qui valent mieux que ces "pauvres" caricatures de mendiants qu'ils ont croisées... Fin du fin : la route vers le Népal n'est revêtue que jusqu'à Shigatse (et encore : à condition de prendre la route "du centre ", via Nyemo, l'itinéraire le moins intéressant entre Lhasa et Shigatse) : au-delà, le peu de goudron qu'il y avait recule ! Tandis que de gros travaux sont en cours entre Dali et Lhasa (goudron intégral les 400 derniers km), ce qui laisse augurer un axe totalement goudronné d'ici 10 ans. Bref, vous l'avez compris : venez de Chengdu, venez de Kunming / Dali, venez de Kashgar jusqu'à Lhasa, mais évitez ce ringard parcours Lhasa-Kathmandu. Vous méritez mieux que ce monotone itinéraire - tout au moins de Gyantse à Nyalam, à 30 km de la frontière népalaise. Il n'est finalement pas tellement plus passionnant que celui en provenance de Golmud, au nord, le seul axe d'accès au Tibet totalement goudronné à ce jour. Nota : fin 2001, de nombreuses sources indiquent que pratiquement tous les cyclos ayant voulu rouler cet automne 2001 au Tibet (principalement Friendship Highway entre Lhasa et Kathmandu, et Kashgar-Kailash-Lhasa) se sont fait pincer par une police redevenue particulièrement intransigeante, avec expulsion hors du Tibet et fortes amendes à la clé. Tout ce ram-dam serait dû à la tension en Afghanistan. Plus exactement : les autorités chinoises ont dû " profiter " de cette tension dans une région voisine, pour motiver leurs services de surveillance (armée, police...) qui avaient tendance à se relâcher, notamment par rapport au tourisme individuel (car, fondamentalement, la plupart des policiers et des militaires n'en ont rien à fiche que des touristes occidentaux se baladent au Tibet sans avoir payé au préalable au prix fort le droit d'entrée). Par contre, quelqu'un serait arrivé durant la même période à rouler dans le nord Tibet entre Golmud et Nakchu (d'où il est fort possible de se rendre à Qamdo puis Chengdu), confirmant le fait que la zone la plus risquée est celle du sud et de l'ouest du Tibet. Situation évolutive, très changeante d'une année, voire d'un mois sur l'autre... Rappelez-vous que ce qui est vrai en automne 2001 peut redevenir totalement périmé au printemps 2002 (à ce qu'il paraît, le printemps 2000 n'était pas non plus un bon moment pour rouler à vélo au Tibet...). Pour ma part, pour 2002, je vais sagement laisser tomber le Kashgar-Lhasa prévu, et me rabattre sur l'Est tibétain. Mais selon moi, en 2003 (voire dès l'automne 2002 !), il sera de nouveau possible de rouler à vélo dans l'Ouest tibétain, même si ça sera toujours illégal... Frédérick FERCHAUX N°2523 de MARLY-la-VILLE (Val-d'Oise) |