Aussi loin que ma mémoire me permette de remonter le temps, je ne me souviens pas d'avoir appris à monter sur un vélo. Un simple regard sur la monture de mes rêves fait déjà grimper... mon adrénaline. Je n'ai jusqu'ici jamais vraiment cherché à comprendre : tout semble venir de mon patrimoine génétique. Mais les questions cyclo-philosophiques posées par le bulletin de vote du Club des "Cent-Cols" m'obligent à plonger au tréfonds de mon intimité pédalante pour répondre à la question existentielle : qu'est-ce qui me fait grimper ? Mon pays est pourtant celui des sans-cols : descendu du plateau de Saint-Quentin, l'Escaut s'y étire paresseusement dans une campagne verdoyante. Son lit rectifié lui a conféré une image de fausse tranquillité. Mais ses anciens méandres se souviennent encore très bien des crues hivernales qui emportaient la terre, transformant les champs et les prés en un immense lac que chaque printemps asséchait. Lui était resté là, intact depuis la nuit des temps, impassible au rythme infernal des ans et des saisons, bien installé sur son socle à contempler les érosions du fleuve du haut de ses 149 mètres. Sa silhouette trapue en impose à tous, même au soleil qui, chaque matin, lui réserve ses premiers rayons. Sa petite église reste posée sur son sommet comme un jouet sur un château de sable. On l'appelle "Le Mont", tout simplement, parce qu'il sert d'horizon à tous ceux qui n'ont jamais vu de montagnes. Un dimanche de printemps m'a décidé à défier son arrogancce et la sympathie du Secrétaire Général du Club des "Cent Cols". Le premier col belge à figurer sur une carte Michelin avec plaque signalétique était né. Il porterait le nom d'un jeune Français dont le rêve s'est brisé en pleine jeunesse : Amand Jubaru, disparu lors d'une randonnée tragique, le 14 juillet 1897. Mais ce qui pourrait apparaître symbolique, voire folklorique dans certains esprits, ne doit pas faire oublier l'essentiel : plus le cyclo grimpe, plus l'esprit s'élève. Fallait-il pour cela relever comme pour se défendre de mes assauts, semblant se hisser sur d'invisibles ergots pour mieux me décourager. Mais ma détermination restait intacte. Petit à petit, il s'étira, se tapit entre les fermes et les prairies. Je le sentis devenir docile. J'en pédalai de plus belle. Arrivé au bout d'une première côte, je ne remarquai absolument pas une dénivellation à l'altitude 99 m. En regardant devant moi, je fus plutôt attiré par une descente qui semblait placée là comme un avant-goût de la récompense. La ville s'offrait à moi : son fleuve, sa cathédrale, ses immeubles à étages : un autre monde m'attirait à lui. Mais cent mètres plus loin, un virage à droite coupa net mon euphorie : les derniers hectomètres m'attendaient au tournant. Et la croix placée en cet endroit n'était-elle pas un funeste présage ? Ce jeune homme venu de Tourcoing avait voulu réaliser le même exploit que moi et le Mont l'avait vaincu. Etait-ce les dix pour cent de la pente et mon torpédo inadapté ou simplement la peur : je continuai à pied. |
La vue du sommet me fit tout oublier. Je remontai sur mes pédales, m'arc-boutant pour éviter la chute et j'arrivai enfin au but sous les regards des promeneurs admiratifs devant ce gamin juché sur un vélo trop grand et trop lourd comme l'espoir qu'il portait du haut de ses dix ans. Mon exploit fut officialisé vingt ans plus tard : le 06 avril 1985, les Audax de Tournai sous la houlette de leur président mille-colliste André Tignon inauguraient le col de la Croix Jubaru en grande pompe avec la présence et la sympathie du Secrétaire Général du Club des "Cent Cols". Le premier col belge à figurer sur une carte Michelin avec plaque signalétique était né. Il porterait le nom d'un jeune Français dont le rêve s'est brisé en pleine jeunesse : Armand Jubaru, disparu lors d'une randonnée tragique, le 14 juillet 1897. Mais ce qui pourrait apparaître symbolique, voire folklorique dans certains esprits, ne doit pas faire oublier l'essentiel : plus le cyclo grimpe, plus l'esprit s'élève. Fallait-il pour cela relever dans ce beau pays de France 8500 cols, dont quelques-uns réservés aux chamois et quelques autres plats comme le dos de la main ? Et pourquoi inventer 176 autres cols dans un pays qui, à la modestie de son vieux relief, ne peut opposer que la bravoure vindicative de ses habitants ? Et si la Belgique était restée française après 1815, le guide Chauvot aurait-il déjà contenu tous ces hauts lieux ? Ces questions, pourtant fondamentales pour ceux qui se les posent, me laissent quelque peu perplexe. Comme souvent, la recherche de vérité est au cœur du débat. Le problème vient du fait qu'on tourne autour. Ce n'est pas courageux mais c'est confortable d'affirmer que chacun doit fixer ses objectifs en fonction de ses capacités et de sa motivation. Derrière se cachent le plaisir et ses limites qu'on peut parfois faire reculer à sa façon. L'esprit du fondateur du Club des "Cent Cols" est sans doute resté intact. Parce qu'il fait partie d'un projet généreux : celui de communiquer leur passion, la découverte des beautés que nous offre la nature, et la convivialité que devraient partager tous ceux qui en sont amoureux. Je les remercie pour cette belle œuvre qui mérite le respect. Plus de trente ans ont passé depuis mon premier exploit cycliste. Encouragé par la récolte de lauriers imaginaires autant qu'éphémères, j'ai connu bien d'autres bons moments qui n'ont jamais relégué le premier. Du col de la Croix Jubaru qui restera le plus beau, au col d'Espréaux l'été dernier, la moisson est immense pour moi et dérisoire pour l'humanité. Mais je sais qu'il faut continuer à grimper car la vie est trop courte pour s'arrêter de grandir. De toute manière le bonheur n'est jamais loin, pourvu qu'on s'en donne la peine. Vous pouvez marcher à côté, mais s'il vous reste un peu de volonté, enfourchez-le ! Luc VANSAINGELE N°5052 de BASECLES (Belgique) |