Toponymie des cols mondiaux
C’est bien connu que les Français et leurs voisins latins (les Italiens, les Espagnols, les Catalans) ont non seulement des terrains propices au cyclotourisme mais ils adorent donner des noms à toute une panoplie de cols – routiers et muletiers. Est-ce pareil dans le reste du monde ?
Un petit regard à la carte de la distribution mondiale géographique des cols dans nos catalogues confirme que les massifs montagneux partout sur la terre sont bien étoffés de cols qui respectent les exigences de notre Règle du Jeu (RDJ).
Si vous êtes curieux et amateur des études linguistiques vous pourriez vouloir en savoir plus sur des intitulés / termes génériques / descripteurs qui qualifient ces toponymes pour être retenus dans nos catalogues selon l’article 2 (évoquant la notion de col).
La « RDJ » évoque quelques aspects du mot « col » qui ont permis à ce terme de servir de passeport pour notre activité préférée :
- de certaines caractéristiques topographiques – sans être très précis
- l’idée de faciliter le passage d’un massif montagneux – sans être plus précis non plus
Le sens littéral de « col » semble provenir du bas latin collum – « cou » ou « gorge » et on voit bien cette forme caractéristique en haut d’un col – comme une sorte de sablier.
Ces sens figuratifs et littéraux ne sont pas suffisants pour identifier tous les termes étrangers analogues sans comprendre l’évolution des langues et leur application sur le terrain.
À force d’étudier les toponymes réellement appliqués en terrain montagneux nous avons retenu plus de 500 termes qui évoquent la notion de col et dont on est certain qu’ils désignent des cols.
Certains désignent des cols avec un grand taux de réussite ; d’autres sont plus équivoques et peuvent désigner autre chose (comme « Pas » en français ou « alto » en espagnol). Il faut donc comprendre l’éventail des sens du mot et aussi regarder attentivement ce qui est réellement désigné.
Des expressions étrangères sont parfois des faux-amis :
- « colle » en italien provient probablement de « collis » qui veut dire « colline » en latin. Et en réalité une majorité de « colle » nomment et désignent des collines et juste une minorité désignent des cols. Les sommets et les cols étant proches les uns des autres il est parfois délicat de faire la distinction
- « col » en italien est encore pire : dans le NE de l’Italie le terme désigne toujours des sommets ; dans le NO de l’Italie le terme désigne parfois des cols mais pas très souvent
- « coll » en Catalogne est aussi parfois traitre – le terme à d’autres sens que « col » et, pour nos besoins, n’est probablement pas fiable à plus de 80%
Pour avoir regardé des centaines et des centaines d’intitulés candidats nous sommes arrivés à la conclusion qu’il y a 4 grandes familles de sens dérivés de termes qui peuvent évoquer la notion de col :
1- La forme du col
C’est le sens littéral de « col » – une forme qui se ressemble à un « cou » ou une « gorge ». C’est pareil pour « selle »/ « sattel »/ « saddle » ou pour « joch » et encore beaucoup d’autres.
2- Un sens de « passage »
C’est un peu le sens secondaire de « col » (selon l’IGN) et souvent trouvé dans l’application sur le terrain. Mais toute cette famille de mots (« pas », « pass », « passo », « paso ») est assez équivoque et peut désigner des caractéristiques géographiques qui n’ont rien d’un col comme des défilés, des passages de rivière, de sentiers en balcon, des montées sur de hauts plateaux. Même des passages bien connus de massifs montagneux ne traversent pas forcément des cols. Donc il est impératif de regarder de près le terrain désigné.
3- Un sens d’« ouverture »
L’idée ici est que le col « ouvre » l’accès au massif montagneux, et par la suite à la vallée suivante. On trouve ici des termes comme « Abra » (en Amérique du Sud ), « Fenêtre »/ « Venester », « Brèche » (peut-être) et toutes les expressions de « Porte »/ « Gate »/ « Tor »/ « Vrata…. ». On y trouve aussi le sens complètement contraire – de bloquer l’accès au massif – un col à l’entrée des montagnes est un bon endroit défensif où on peut prendre l’ennemi en embuscade. Les récits des guerres en Afghanistan parlent souvent de forces militaires piégés dans des cols étroits. Le sens littéral de l’un des termes arabes principaux pour désigner un col – « Aqabat » – est « obstacle ».
4- Les notions de hauteur ou de manque de hauteur
Comme c’est aussi bien connu un col peut être à la fois un point bas (sur la crête) et un point haut (vu de la vallée). Voir par exemple le mémoire de Xavier Bernier de 2004.
On trouve parmi les termes valables certains qui indiquent un point bas « baisse » mais aussi d’autres qui indiquent un point haut – « alto » (ES), « hoogte » (Afrikaans) et même « Summit » aux États-Unis. Évidemment il faut éviter toute ambiguïté pour être certain que c’est vraiment le col qui est désigné.
Chaque catalogue de cols du Club des Cent Cols est maintenant accompagné par une notice qui explique les langues utilisées dans le pays concerné et les termes que nous avons retenus pour évoquer la notion d’un col. Les notices de l’Espagne, de l’Italie et du Royaume-Uni fournissent des longues listes très complètes des intitulés que l’on peut rencontrer. Les articles sur cette section du site « Comment appeler un col en France » et « Toponymie des cols suisses » font pareil pour les catalogues de la France et de la Suisse respectivement. Les autres listes nationales sont généralement plus courtes.
Parfois il n’y a pratiquement qu’un seul terme qui désigne un col :
- Le Mexique – « Puerto » à 99,7%
- La Russie – « Pereval » à 96,6%
- Le Japon – « Toge » à 92,1%
Parfois la distribution des noms dépend essentiellement des régions : aux Etats-Unis « Gap » est majoritaire dans l’est du pays et « Pass » dans l’ouest.
La France se trouve dans la moyenne haute d’une seule expression majoritaire – « Col » couvre 64,8% du catalogue national malgré une longue liste d’autres termes qui sont aussi acceptables.
D’autres pays ont une distribution beaucoup plus variée de termes différents selon les langues, les dialectes ou les préférences régionales – l’Italie ou la Suisse par exemple.
Il y a quelques termes internationaux que l’on peut trouver en beaucoup de pays différents pour diverses raisons :
- le passé colonial des pouvoirs concernés
- le fait que ces langues sont très répandues en tant que langues officielles ou de « lingua franca »
- la large diffusion de cartes (considérées comme fiables) dans ces langues et par les cartographes de ces pays
Dans l’analyse des termes principaux par pays que vous pouvez trouver en pdf au lien vers la fin de cet article nous avons donc analysé à part 4 termes : « Col » (FR) (35 occurrences), « Pass » (EN) (57 occurrences), « Gap » (EN) (18 occurrences) et « Pereval » (RU) (15 occurrences. Une occurrence est un pays où on trouve l’utilisation du terme dans les toponymes selon les sources que nous avons retenues. Pour « col » par exemple on trouve tous les pays montagneux de la francophonie mais aussi des pays anglophones où les alpinistes ont retenu ce terme technique montagnard.
Tous les autres termes sont considérés comme des occurrences locales. Nous avons limité les listes dans cette analyse à 10-15 termes par pays, qui couvrent dans tous les cas plus de 90% des noms des cols.
Un résumé général (voir le pdf) peut donc servir pour donner une vue d’ensemble de cette thématique – sans avoir à parcourir tous les catalogues et toutes les notices. On peut s’amuser à comparer les termes similaires ou différents dans des régions qui partagent une historique linguistique – les pays hispanophones de l’Amérique Latine, les pays de l’ex-Yougoslavie, les pays arabes du Moyen-Orient….
On trouve sur le site en fichiers attachés le tableau récapitulatif de plus de 500 termes retenus – Intitulés-mondiaux-V01.pdf et le guide des codes ISO des langues (dont certains ne sont pas évidents !) ISO Language Codes.pdf.
En tout 78 langues sont concernées. . Des informations plus complètes sur toutes les langues, y compris celles qui ne font pas partie de notre toponymie de cols, sont disponibles sur les pages Wikipédia de ISO 639-1, 639-2, 639-3. Plus de 7000 langues sont encore parlées aujourd’hui dont beaucoup n’ont pas de forme écrite ou sont rarement écrites. Celles qui ont survécu pour se trouver sur des productions cartographiques ou sur des panneaux sont vraiment en minorité mais, avec les variantes d’orthographe et de dialectes, les langues toujours vivantes témoignent de la diversité de l’histoire et de la culture de l’espèce humaine !
La notion de « col » est vraiment mondiale, voir universelle !!
Graham Cutting 12.02.2023