Récit d'une randonnée vers Saint-Jacques
14 au 27 septembre 1999
Préretraité de fraîche date, âgé de 59 ans, habitué à effectuer des raids à bicyclette (Thonon- Trieste avec retour par Venise, Tour de Suisse, Autriche, Irlande...) je décidais de suivre des traces de Godescale du Puy qui effectua le premier ce pèlerinage au Xème siècle. Mon entraînement était sérieux, près de 10 000 km depuis Janvier avec en particulier un BRA en Juillet, quelques cyclosportives dont l'Ardéchoise.
Je choisis un VTT datant d'une dizaine d'années, MBK robuste et lourd (14 kg), 48/38/28 à l'avant, 7 couronnes de 14 à 28 dents neuves comme la chaîne, porte-bagage arrière avec 2 sacoches + sac de couchage, une petite sacoche de guidon et un sac à dos de faible contenance (30 litres) qui me permettait de toujours garder avec moi les choses les plus précieuses : papiers, argent, appareil photo, téléphone portable... en sécurité et parfaitement au sec en cas de pluie, abrité par un grand poncho. En tout 11 kg de bagages en comptant deux bidons pleins fixés sur le cadre donc 25 kg au total. Enfin je remplaçais les pneus tout-terrain par des pneus route qui n'ont posé aucun problème : pas une seule crevaison en 1550 Km ! J'avais emmené une burette d'huile et j'ai souvent graissé chaîne et dérailleurs en raison des intempéries. La solution VTT me paraît préférable au vélo de route : plus robuste, plus stable, permettant sans risque de rouler sur le bas-côté lorsqu'un énorme camion vous double à grande vitesse ou même d'emprunter le chemin qui est très cyclable en Espagne. Les vélos de route sont d'ailleurs très rares sur le Camino.
Comme documents j'emmenais les cartes Michelin (5 pour la France et 2 pour l'Espagne)
le guide Gallimard "Les Chemins de St-Jacques", et une liste d'hôtels et de refuges conseillés par l'association " Les Amis de St-Jacques en France " qui m'avaient fourni l'indispensable CREDENCIAL (accréditation) qui donne accès aux refuges et permet d'obtenir la COMPOSTELLA à l'arrivée. J'avais également reçu des conseils des Cyclotouristes Parisiens (1) avec un carnet de randonnée à faire viser dans des lieux bien précis. J'ai donc suivi leur itinéraire routier qui est très proche de celui du chemin.
Le lundi 13 Septembre ma femme me conduisait en voiture de Lyon au Puy et m'abandonnait dans un établissement religieux appelé " La Providence " , situé à côté de l'église St-Laurent. Accueil très aimable. J'étais seul dans cet immense bâtiment avec un couple de Hollandais qui arrivaient à pied de leur pays et continuaient. Chambre confortable avec douche chaude : 60 F.
Le lendemain matin 14 Septembre je prenais donc la route sous la pluie malheureusement. Passage du col Saint-Roch à 1300 mètres, qui marque la frontière entre la Haute-Loire et la Lozère, déjeuner d'une délicieuse omelette aux girolles dans un petit restaurant et nuit à Aumont-en-Aubrac dans un gîte d'étape "La Ferme du Barry" propre et relativement confortable, fournissant repas du soir et petit déjeuner.
93 km au compteur, pluie continuelle, glacée d'où des crampes désagréables dans les cuisses, petit désagrément que je ne rencontrerai plus par la suite.
Mercredi 15/09 : Aumont-en-Aubrac - Conques, 120 km
Il pleut sans interruption. L'Aubrac est sinistre dans de telles conditions. Aucune photo : je n'ose pas sortit mon appareil tant la pluie est diluvienne !
Passage du col d'Aubrac à 1340 m qui marque la frontière entre la Lozère et l'Aveyron. La pluie cesse heureusement lorsque j'arrive dans la riante vallée du Lot à Espalion. Je suis cette vallée par Estaing dominée par le château de la famille d'Estaing puis Entraygue au confluent du Lot et de la Truyère. Ensuite une côte très raide me conduit vers Conques où j'arrive à 15h30, sous la pluie à nouveau ! Logement dans la collégiale attenante à la magnifique basilique Sainte-Foy avec son tympan du Jugement Dernier, un des plus beaux tympans romans de France et ses vitraux modernes réalisés en 1994 par Pierre Soulages, peintre " du rythme et de la lumière ". Belle soirée dans la cathédrale avec orgue et chant par une chanteuse canadienne qui effectue le pèlerinage.
Jeudi 16 Septembre, Conques - Cahors, 135 km
Je suis la belle vallée du Dourdou, traverse Decazeville dans le brouillard ce qui n'est finalement pas plus mal, Fijac puis la vallée du Célé, affluent du Lot.
Le soleil est enfin de retour ! Maisons adossées à la falaise. Je retrouve le Lot et arrive à Cahors, enchâssée dans une boucle du Lot. Visite des quartiers anciens, de la cathédrale, monument à Clément Marot et à Gambetta tous deux nés à Cahors, pont Valentré avec ses 3 tours carrées. Logement très confortable (chambre individuelle ) et repas au foyer des jeunes en Quercy.
Vendredi 17 Septembre, Cahors-Lectoure, 118 km
Départ de Cahors à 7h30, au lever du jour. Pluie incessante pendant 3 heures jusqu'à Moissac Visite de l'Abbaye St-Pierre avec comme à Conques un extraordinaire tympan du Jugement Dernier , spectacle qui devait être à la fois merveilleux et terrifiant pour le pèlerin médiéval. On pénètre ensuite en Gascogne. Les collines du Gers sont redoutablement pentues, jusqu'à Lectoure avec ses vieux quartiers et sa cathédrale Saint-Gervais-Saint-Protais. Logement dans le gîte municipal pour 45 F. Propreté douteuse... Je m'offre un bon repas avec foie gras et confit au restaurant des Bouviers où l'accueil est très sympathique, le repas de grande qualité avec un menu "spécial pèlerin" pour 89 F !
Samedi 18 Septembre, Lectoure-Arzacq, 126 km
Visite du village fortifié d'Etressingle où je dois faire viser mon carnet de route.
Traversée de Condom, Eauzes capitale de l'Armagnac, Aire-sur-Adour. Je quitte la Gascogne pour le Béarn et j'aperçois au loin la chaîne des Pyrénées.
Nuit à Arzacq-Arraziguet à "La Vieille Auberge", 200 F pour une chambre confortable, dîner et petit déjeuner.
Dimanche 19 Septembre, Arzacq-St-Jean-Pied-de-Port, 107 km
Dernier jour en France. Mon carnet de route me fait passer par Orthez et je ne visite donc
malheureusement pas Navarrenx et ses remparts.
La pluie tombe sans interruption jusqu'à St-Jean où j'arrive trempé malgré mon poncho et mes surchaussures théoriquement étanches. Nuit dans un petit hôtel sympathique conseillé par les Amis de St-Jacques (Itzalpea) où je peux faire sécher mes affaires.
St-Jean est une très belle petite ville fortifiée par Vauban, au bord de la Nive. Mais
envahie par les cars de touristes.
Lundi 20 septembre, St-Jean- Puente-la Reina, 105 km
C'est la seule étape où je suis le chemin pour franchir les Pyrénées. Ce n'est pas à conseiller car le G.R. 65 est très raide, le vent de face d'une incroyable violence. Je dois souvent pousser mon vélo dans des chemins boueux et je retrouve la route au col Ibaneta
après environ 5 heures pour une trentaine de kilomètres Je pédale donc comme un forcené, traverse rapidement Pampelune et parviens vers 18 h à Puente-la-Reina où se rejoignent les chemins navarrais et aragonais pour former jusqu'à Compostelle le CAMINO REAL FRANCES. Nuit au refuge municipal pour 300 pesetas (12 F) et excellent repas dans un restaurant de la ville pour 1000 pesetas tout compris soit 40 F. C'est le tarif maximum à toutes les étapes. Je fais la connaissance d'un parisien sympathique, Jean Guégen qui fait le chemin à pied. En Espagne les vélos deviennent de plus en plus nombreux.
Mardi 21 Septembre, Punte-la-Reina à Santo-Domingo de la Calzada, 119 km
Après avoir franchi l'Ebre, je traverse Logrono en fête, capitale de la Rioja. Belle église baroque Santiago el Real avec une statue de Saint-Jacques Matamore, massacrant allègrement les Sarrazins....
Nuit au monastère cistercien de Santo-Domingo. Surprise en pénétrant dans la cathédrale romane. Le chant du coq résonne sous ses voûtes car en face du tombeau du saint se trouve un... poulailler en fer forgé avec un coq et une poule blancs, remplacés tous les mois, en commémoration du miracle du "pendu-dépendu "...
La route est excellente en Espagne, toujours bordée d'une large bande protégée par une ligne blanche et je m'y sentirai toujours en sécurité. Aucun problème avec les voitures et camions qui passent toujours au large. Par contre nombreux pèlerins imprudents qui marchent de front au milieu de la route !
Le gîte est gratuit et le petit déjeuner préparé par les surs très copieux.
Mercredi 22 Septembre, Santo-Domingo, Burgos, 70 km (seulement !)
Départ à 8h15, vent d'ouest très violent qui ralentit ma progression. Je passe le col de la Pedraja à 1150 m et arrive à 13h30 à Burgos, sous la pluie bien entendu.
Je décide donc d'y passer la nuit d'autant plus que la cathédrale est fermée juqu'à 16 H.
Gîte confortable à côté de l'Université, à 5 mn du centre ville. Visite en car de la ville offerte aux pèlerins ! Burgos est la capitale de la Castille, statue équestre du Cid Campeador qui est enterré dans la cathédrale au côté de Chimène. Cette cathédrale, Santa Maria de Burgos est l'un des joyaux de l'art gothique espagnol avec celles de Tolède et de Leon. Bel escalier Renaissance "La Escalera Dorada". Curieuse statue du Christ dont on change la jupe en fonction des fêtes religieuses...
Jeudi 23 Septembre, Burgos- Sahagun, 136 km
Journée magnifique malgré la distance et le vent contraire. Je roule sur la célèbre Meseta, immense plateau aride. Doux moutonnement doré des blés coupés avec de temps à autre la petite tache vert sombre d'un arbre solitaire, gros nuages blanc en arrière-plan et surtout cette qualité indescriptible de la lumière castillane le matin. La terre est si belle, si maternelle. "La Nature c'est Dieu dans les choses" écrivait Giordano Bruno.
Je traverse Castrojeriz avec son église-forteresse San Juan, puis Fromista dont l'église romane San Martin me paraît une des plus belles depuis mon départ.
Refuge moderne et propre à Sahagun.
Vendredi 24 Septembre, Sahagun-Léon, 70 km
Encore une journée de semi-repos destinée à visiter Leon. Le vent a tourné et me pousse vers Leon sur d'interminables lignes droite. Je loge chez les religieuses du monastère Santa Maria, bien situé en plein centre.
La ville est très riche : cathédrale gothique Santa Maria de Regla qui possède les plus grands vitraux d'Europe après Chartres, basilique royale de San Isidoro et ses voûtes recouvertes de fresques datant du XII ème siècle avec alternance de scènes bibliques et de motifs végétaux, cloître San Marcos d'époque renaissance transformé en parador.
Samedi 25 septembre, Léon-Ponferrada, 111 km
Pluie drue jusqu'à Astorga. Le soleil revient et je visite la cathédrale Santa Maria et le palais épiscopal érigé par Antonio Gaudi et transformé en musée. A 13h déjeuner dans un petit village de montagne El Ganso avec ses toits de chaume. Franchissement sous la pluie du col de Foncebadon et sa célèbre "Cruz de Ferro" à 1504 m avec un énorme tas de pierres apportées par les pèlerins. A Ponferrada château des Templiers aux dimensions colossales. Je rencontre un couple sympathique d'Avignon.
Dimanche 26 Septembre, Ponferrada- Portomarin, 132 km
Longue ascension du Porto de Pedrafita à 1099 m, puis Porto de Poio à 1300 m. Je traverse le village d'O Cebreiro avec son sanctuaire, ses toits de lauzes et ses chaumières qui rappellent tout à fait l'Auvergne.
Un dernier col à 1335 m et j'arrive à Samos. Son vaste monastère où je devais faire étape
me paraît bien sinistre et je décide donc de continuer jusqu'à Portomarin. Le refuge de 160 places est complet et je passe la nuit dans un bon hôtel, moderne
avec une chambre confortable pour 3200 pesetas (128 F).
Lundi 27 Septembre, Portomarin-Santiago, 108 km
Pour ne pas changer départ sous la pluie à 8h. Je roule avec un Hollandais qui arrive de son pays à bicyclette. Petite erreur d'itinéraire vite corrigée lorsque j'ai le courage de sortir ma carte Michelin sous la pluie battante !
Repas de midi dans un village sur une délicieuse petite place ombragée par des platanes et des eucalyptus qui deviennent de plus en plus nombreux à mesure que l'on se rapproche de la mer.
Il ne me reste plus que 40 km. Le soleil est revenu. Je serai à St Jacques ce soir !
Je décide de téléphoner pour réserver une chambre. Les deux premiers hôtels sont complets mais le 3ème "La Estela" a une chambre libre et est très bien situé, à côté de la cathédrale pour un prix très raisonnable (4000 pesetas).
Santiago est une grande ville et j'ai la chance d'arriver avec un groupe d'Espagnols qui me guident jusqu'à la cathédrale et au bureau d'accueil des pèlerins où l'on me remet ma "Compostella".
J'ai effectué 1552 km en 14 jours soit environ 110 km par jour. Dans ce bureau on peut réserver immédiatement les billets pour le retour. Je prends un billet de car pour IRUN. Le vélo est accepté avec un petit supplément (Compagnie ALSA) mais il est aussi possible de rentrer en avion par IBERIA qui accorde 40 % de réduction aux pèlerins sur présentation d'une photocopie de la Compostella.
Mardi 29 et mercredi 30 Septembre
Visite de St Jacques sous un crachin très "breton". Nombreux musées et églises à visiter.
Le temps est si mauvais que j'abandonne mon projet d'aller jusqu'au cap Finistère.
A signaler la possibilité pour les pèlerins de manger gratuitement au luxueux parador
situé sur la place de la cathédrale dans l' "Hostal de los Reyes Catolicos " sur présentation de la Compostella... J'y rencontre deux Français et une sympathique Brésilienne, Marcia, qui vient en Europe pour terminer son doctorat en droit à Brême et Munich.
Même si l'on n'est pas croyant, il faut assister à la messe des pèlerins, chaque jour à midi dans la cathédrale. C'est un grand spectacle avec orgue, chants, encensoir géant (Botafumeiro) balancé très haut sous les voûtes par un groupe de 8 hommes au travers de la croisée du transept.
Jeudi 30 Septembre : 14 h de car de 8h à 22 h ! La côte est belle jusqu'à Santander,
urbanisée et industrialisée à outrance autour de Bilbao. Arrivée sinistre à Irun sous l'habituel crachin. Je trouve une petite chambre pour 2000 pesetas.
Vendredi 1er Octobre : je passe la frontière jusqu'à Hendaye, franchis la Bidassoa,
enregistre le vélo au Sernam (je le récupèrerai à Lyon en parfait état). J'ai le temps de me promener le long de la plage. A noter le long de la baie de Chingoudy un sanctuaire d'oiseaux avec ses mouettes rieuses, ses sternes, ses martin-pêcheurs et aussi ses grands et voraces cormorans.
Je prends le TGV à 14h20 et arrive à 23h35 à Lyon après deux changements de train.
Que dire en conclusion ? D'abord que ce voyage est passionnant, enrichissant, à conseiller sans restriction au croyant et à l'athée ! Qu'il faut le préparer et si possible apprendre un minimum d'Espagnol. L'accueil sera bien meilleur.
Je pense déjà à refaire le chemin par un autre itinéraire, probablement Arles avec peut-être retour par le chemin de Vézelay...
Roger GIRAUD
rduarig@club-internet.fr
1- Les CycloTouristes Parisiens organisent la randonnée permanente : Les chemins de Saint-Jacques de Compostelle.
Renseignements :
André Bodin
Les CycloTouristes Parisiens
12, rue Camille Desmoulins
93600 Aulnay-sous-Bois