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CONTRETEMPS AU "STELVIO"

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En 1952, âgé de 31 ans, je commençais à explorer les Alpes au delà de nos frontières. Mon impatience et le manque de conseils avisés me firent partir fin mai vers Innsbruok... ! L'itinéraire prévu passait par le Col de Thum, le Grossglockner, le Passo Tre Croce, lago Misurina, Cortina, les passo Falzareggo, Pordoi, Castalunga, Bolzano, Merano, le Stelvio, la Bernina, le Julier, le Parpan, Zurich, Bâle. Pas mal de grimpettes, le tout en solitaire.

Le beau temps me gâta, heureusement tout au long du parcours, exception faite d'un orage d'une rare violence dans le Pordoi qui, à l'époque n'avait pas le revêtement en dur actuel. En arrivant à Canazzi, on me refusa une chambre d'hôtel vu l'état dans lequel je me trouvais ; je ressemblais à un individu tombé dans une bouillie de ciment, ce qui était compréhensible quant on songe aux 5 à 10 cm de poudre gris-blanc qui recouvrait les routes du Pordoi à l'époque.

Le lendemain au passage à Bolzano, par acquit de conscience, je m'arrête à l'Office du Tourisme et demande si le Stelvio est bien ouvert : "Si, Si, Signor, le Stelvio est apperto". L'esprit dégagé, je repars. A Trafoi, un pressentiment me fait entrer dans une trattoria. Je me désaltère ; des gens du coin qui consommaient m'observent et bientôt une conversation s'engage. J'apprends que le Stelvio est fermé !!! Les chasse-neige (5 au total) sont tous inutilisables et immobilisés 7 Kms avant le sommet. En taillant un chemin dans les coulées de neige, des blocs de roche avaient endommagé leurs fraises. Mais, me dit un consommateur, en vélo vous arriverez à passer, en portage évidemment... par dessus les sections enneigées. Vous serez ainsi le premier cycliste de l'année à passer le col. Je le remerciai pour les renseignements et continuai ma route. Je décidai (heureusement pour moi) de coucher à 8 Kms du sommet dans une sorte d'auberge-bergerie. Le matin à 5 heures, par un ciel d'un bleu intense, j'enfourchai ma randonneuse, qui, à l’époque, détail important, était pourvu d'un cadre triangulê, 500 mètres, pied à terre, grimpette pardessus les coulées de neige, re-vélo pour 100 mètres etc... et cela continuait.
A environ 2 Kms du sommet, alors que je portai mon vélo et mes bagages sur l'épaule comme un adepte du cyclo-cross, sur un genre de pont de neige, tout s'écroule sous mes pieds. Par chance, le trou sous moi avait juste le diamètre d'un corps humain. Mon cadre à plat sur la neige, mes bras sur la triangulation, les jambes dans le vide. Sous moi, j'entendais couler l'eau provenant de la fonte des neiges... pas rassurant. Je criai, une fois, plusieurs fois, rien. Allons, réfléchis, me dis-je. La route étant fermée, à moins d'un hasard, personne ne pourra t'aider. Ici, il n'y a que moi, la neige et le soleil. Que puis-je faire ? Ayant lu pas mal de récits d'aventures alpines, j'arrivai à la conclusion que le seul moyen d'en sortir était, d'essayer de faire des marches dans la paroi neigeuse verticale le long de mes jambes. Je me suis mis au travail et, au bout de 2 heures d'efforts, j'arrivai à me sortir de ma délicate situation au grand dommage de mes chaussures cyclistes, de mes pieds et de mes jambes nues. Le pédalier de mon vélo était faussé, mais réparable. Ouf, je l'avais échappé belle. En arrivant au sommet du col, fatigué, la peau brûlée par le soleil et la neige, des ouvriers italiens qui dégageaient à la pelle le versant sud firent de grands yeux en me voyant. Je leur demandai de me prendre en photo ce qu'ils firent. Ils me réconfortèrent, je me ravitaillai, dépannai tant bien que mal mon pédalier et rentrai sans encombre en Alsace. Rétrospectivement, en regardant cette photo, avec l'expérience acquise depuis lors, je songe aux risques encourus, hors saison, en haute montagne, par un cycle isolé.

Henri HUMBERT

MULHOUSE (68)


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