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Propos d'un homme heureux

Revue N° 08 Page 21

Il est midi. Un soleil de feu irise la montagne italienne. La route, (mais mérite-t-elle véritablement ce nom ?) grimpe à flanc de montagne dans un impressionnant paysage âpre, désertique, sauvage, mais ô combien attirant, où tout semble être disposé avec une infinie délicatesse.

Je suis dans les derniers lacets du GAVIA. Depuis plus d'une heure, je me bats avec ma machine pour conquérir un des derniers passages muletiers dont le bruit des voitures et le chant des transistors n'ont pas encore terni le charme. Seuls quelques statues ou autres petits monuments religieux trahissent une présence humaine.

Encore deux kilomètres à parcourir sur ce chemin de terre, entre ces impressionnantes murailles de couleur ocre que le vert de la montagne fait ressortir davantage. La rampe se fait plus sévère ; je change de vitesse, le rythme baisse.

Mais soudain que m'arrive-t-il ? Je ressens un petit pincement au cœur, presque imperceptible. J'ouvre tout grand les yeux, respire à pleins poumons, je réfléchis.

Je réfléchis, car je me suis aperçu au fil de mes nombreuses années cyclistes, que c'était bien là, sur ma bicyclette, dans la montagne, en solitaire, que mes soucis quotidiens se filtraient et s'atténuaient comme absorbés par la beauté des sites.

Ce petit pincement au cœur survient toujours au hasard d'un virage qui dévoile les charmes d'un vallon inconnu, de la rencontre d'une marmotte surprise au bord de son trou ou à l'arrivée d'un géant que j'ai rêvé d'escalader depuis longtemps.
Non, rassurez-vous, je ne suis pas malade, ou si je le suis, je connais ma maladie ; elle s'appelle bonheur. Je suis pleinement heureux de pouvoir profiter sainement de la vie, c'est encore possible de nos jours, le vélo est là pour nous le prouver.

Comme le monde est petit vu de là haut ! Plus je m'élève et plus j'oublie ma vie quotidienne, plus je m'élève et plus certaines bassesses humaines me paraissent stupides; la guerre, l'hypocrisie, la rancune, la haine, toutes ces choses propres à l'homme semblent ici interdites. Plus je grimpe, plus je me purifie, je n'ai pas envie de redescendre. Philosophie facile direz-vous ? Non, je crois simplement que la montage, ainsi que la mer d'ailleurs doit être révélateur de la dimension humaine. L'homme n'est rien sans ce qui l'entoure, il doit toujours effectuer son retour aux sources, et pour ce faire il doit s'attacher à ne point détruire ce qui a été son berceau : la nature.

La meilleure expression du bonheur passe par la liberté individuelle, et le vélo, symbole d'évasion en est la meilleure illustration.

Alors chers amis cyclos, à vos bicyclettes, et au-delà du geste sportif prenez le temps de vivre et d'aimer ce que vous faites, simplement ... soyez heureux ...

Alain BOGEAT

MONTAILLEUR (73)


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