Ce matin là, l'alouette monta très haut dans le ciel et de là, par petits cris, annonça le beau temps. Elle voyait le puzzle multicolore et géométrique dont les prés, d'un vert uniforme, tachetés de troupeaux? se juXtaposaient aux ombres des petits bois marquant les crêtes. Les vignes en rangs parallèles se détachaient par contraste et couraient vers les points bas des vallées. Quelques serpents, blancs ou gris, ourlés de talus et de buissons, se perdant et réapparaissant suivant les méandres d'un terrain accidenté, convergeaient vers des pâtés de maisons dont les murs ocres rehaussaient les tons chauds des toits de tuiles brunes rougeâtres. Le ciel était limpide, il avait plu la veille. Voilà ce que voyait l'alouette et ce que voyait le cyclo, contemplant du haut du petit col de la Croix Rosier, ce paysage en terre beaujolaise. Parti tôt le matin, il avait savouré le silence d'une matinée naissante en montant ce petit col, effrayé quelques merles au détour d'un lacet, qui partirent criards dans un bruissement d'ailes ; la fraîcheur du matin ayant trompé un gros escargot de Bourgogne ainsi nommé, celui-ci quittait délibérément le maquis des hautes herbes et allait à sa perte sur un goudron sans pitié. Notre cyclo s'arrêta, le ramassa, chercha un terrain propice à une vie de rêve pour escargot, du moins le pensa-t-il et le lança avec précaution, lui souhaitant longue vie. Après avoir parcouru quelques kilomètres, réglé la cadence, les bornes défilèrent et le col apparut. Il y a des cols que l'on espère, d'autres que l'on appréhende, certains que l'on redoute mais tous, que vous arriviez par un soleil de plomb, par un vent glacial - les cols sont venteux -, par la pluie - pire ennemie - et en haute montagne, dans la neige, tous sont accueillis avec joie parce que l'on a fini et que c'est le résultat d'un effort librement consenti, victoire sur soi-même et sur les difficultés, récompense bien méritée. Ce cyclo avait quelques raisons d'être satisfait car ce col, sans difficulté, était son 320ème et il les revoyait depuis des lustres : des grands, des petits faciles et des raides ; d'autres ombragés, des nus, des sauvages et j'en passe, toute une famille de cols franchis depuis 30 ans, à faire pâlir un chemisier conscient et patenté. Il était là de ses réflexions et de ses réminiscences lorsqu'il s'aperçut qu'il n'était pas seul : un cycliste l'avait précédé car un vélo se tenait appui à une pancarte un peu à l'écart du croisement des routes. Intrigué, le cyclo approcha, le vélo, docile, ne s'en formalisa pas et se laissa examiner. C'était bien un vélo cyclotouriste, on ne se trompe pas, et un vrai, un 650 confortable, le cyclo eut une pensée vers LESCAR, un vélo qui ne pouvait cacher ses ans, qui avait dû être très beau, de couleur brune, le guidon à trois positions, style T.C.F., garde-boue enveloppants, sac de guidon vénérable, il rappelait le matériel cossu et élaboré du cyclo pointilleux de mes jeunes années. J'en cherchais le propriétaire, il n'était pas loin, mais ne m'avait pas vu. |
Je vis d'abord un homme assis, à l'abri d'un buisson, un béret cachant le visage car l'homme lisait, ou écrivait. Ma présence le sortit de son occupation et lui fit relever la tête. Je vis alors une certaine similitude avec le vélo : la soixantaine, visage mince, encadrant des yeux vifs où se lisait une interrogation perpétuelle et curieuse. A ma vue, il se leva, reconnaissant un membre de ces tribus qui, par le port du costume et le vélo forment une ethnie dont l'origine n'est pas douteuse à cette heure au sommet d'un col. Nous fîmes connaissance, nos buts étaient les mêmes. Il était vêtu d'un pull-over de couleur marron, un pantalon de ville dont le bas était enserré par des chaussettes, lesquelles allaient se perdre dans des sans-gêne à semelles épaisses et éprouvées. Après une prise de contact banale, nous en vinrent aux faits. Je me présentais à la recherche de nouveaux cols et de B.P.F. ; lui roulait la semaine pour rester près des siens le dimanche sa femme ne pouvant le suivre. C'est ainsi que ce jour là, il allait faire une centaine de kilomètres dans ce Beaujolais qu'il connaissait bien, étant de la région. D'ailleurs, l'accent chantant du Lyonnais le trahissait. Dès lors, nous parlâmes de connaissances communes, des 100 cols, de BORDAT , commensal d'un soir à Colmar et de bien d'autres. J'étais en présence d'un vieux routier, il connaissait le Beaujolais par cœur, des crus aux vieilles pierres dorées, il me dit être de Savigneux et s'appelait LONGEFAY. Du coup, je situais mon homme : le poète du Beaujolais, cyclo 100 %, membre “des Cent Cols” ; j'avais lu ses poèmes, titulaire de 600 cols environ, c'était une rencontre de choix. Nous parlâmes un moment de la Corse dont il connaissait tous les lacets après avoir séjourné de nombreuses fois. Il fallait bien que chacun poursuive sa route, moi surtout, car lui devait chercher l'inspiration, loin des bruits de la ville, dans cette nature à dimension humaine et si bien composée qu'est le Beaujolais. Au moment de l'adieu, mon regard dirigé vers le sol, il crut que j'observais ses chaussures “Je porte des sans-gêne, me dit- il, c'est pour passer les muletiers”. J'étais déjà au détour de la route, au revoir LONGEFAY! Je passais par le col de la Croix MONTMAIN, puis par la descente, dans la petite vallée de la Vauxonne. Je gagnais un emplacement “Clochemerlesque” et je me refaisais une santé au caveau en compagnie des Torbayon et consorts en cartes postales ; puis, avec la bénédiction du Curé PONOSSE, j'étais prêt pour passer à l'attaque de la rude côte qui mène dans un petit village où je perturbais le cours du dernier jour avant les vacances en réclamant le tampon municipal pour le pointage du B.P.F. de SAINT CYR CHATOU, où j'appris de la classe entière qu'il n'y avait que soixante habitants. Pierre BERNARD POITIERS |