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Hivernale

Revue N° 08 Page 50

Au même titre que la nuit ou la pluie, la neige est un élément naturel contribuant à la diversité les circonstances dans lesquelles se pratique le cyclotourisme. D'ailleurs, passer un même col à des saisons, et donc avec des conditions atmosphériques différentes, n'est ce pas un peu passer lutant de cols différents ?

Point n'est besoin, parfois, d'aller chercher bien loin des paysages nouveaux : les caprices du temps se chargent de nous les apporter à notre porte, ou peu s'en faut ...

Alpe d'Huez, jeudi 27 décembre soir.
"4 kms après Huez, route de l'altiport, 200 m avant le carrefour avec la route de l'Alpe d'Huez, prends un chemin à gauche ; il y a trois immeubles, c'est celui du milieu”. Muni de ce précieux enseignement communiqué la veille par téléphone par Olivier, je pars à la recherche d'une famille cyclote amie chez qui Olivier, Pierre et moi nous nous sommes fixés rendez vous.

Pierre et Olivier sont arrivés hier soir histoire le faire une journée de ski qui d'Annecy, qui de Lyon. Moi aussi, je suis parti de Lyon, ce main, et c'est avec la satisfaction du devoir accompli que, descendu de vélo, je contemple une dernière fois les lumières de Bourg d'Oisans.
AIlons, c'est la quatrième fois que je fais l'Alpe l'Huez par la voie normale (il en existe au moins deux autres : par Sarennes et par Auris, toutes deux bien plus sportives) mais c'est tout de même une première pour moi, à trois titres : en décembre, de nuit et par la route de l'altiport.

Alpe d'Huez, vendredi 28 décembre, matin.
La neige est au rendez vous : plusieurs centimètres recouvrent la route, et elle tombe drue lorsque nous quittons la station. Les chaînes sont de rigueur, nous nous avons la nôtre, bien salée sur un développement modeste (40 : 18).

Moyennant une chute chacun, nous atteignons Bourg d'Oisans au bout d'heure et y retrouvons le goudron. Oh! Pas longtemps : juste de quoi s'ébrouer un peu sur le 40 : 15, déneiger garde-boue et roue libre et nous sommes à la Paute. arrêt bouffe. On a beau dire, 18 kms dont 15 de descente, ça creuse ...

En début d'après midi, quand on attaque Ornon, la neige ne tombe plus, le ciel est presque clair. La route est recouverte dès la Paute, mais sur les Braquets ultra réduits (32 : 28, 32 : 24) çà monte bien. Nous devons cependant marcher 400 ou 500 mètres à environ 5 kms du sommet, à un endroit où la neige n'est pas suffisamment tassée pour assurer un minimum de stabilité à nos frêles engins.

En tout cas, Ornon enneigé, c'est beaucoup plus beau qu'Ornon en été. C'est un site austère qui ne s'apprécie que les roues dans la neige, dont la luminosité atténue la rigueur qui se dégage d'ordinaire de ses gorges.

Dans la descente, nous retrouvons le goudron vers Entraigues, puis filons sur Valbonnais et Corps par la route “normale”. Le Colombier, ce sera pour une autre fois : nous le connaissons (sauf Pierre) et savons ce qu'il peut nous réserver comme réjouissances par ce temps là.
Il est 19h15 lorsque nous sortons du café de l'Union, à Corps (à recommander aux cyclos de passage), qui a été le théâtre d'une orgie et d'une discussion : monte on ou ne monte on pas à la Salette ? Contre : la route enneigée dès la sortie de Corps, les risques d'avalanches (neige poudreuse). Pour : l'état de la route ne sera pas meilleur demain, nous avons toute la nuit devant nous.

Coup de téléphone au Sanctuaire :
- Allo, bonjour Madame. Pourriez vous nous réserver une chambre ? Nous sommes à vélo et risquons d'arriver tard s'il faut monter à pied.
- A vélo ? Vous n'avez pas vu l'état de la route ! Ici, c'est la tempête, la neige, le vent, on n'y voit rien. Je vous déconseille de monter.
- L'hôtellerie est elle ouverte toute la nuit ?
- ??...
- Si par hasard on montait tout de même ...
- Si vous tenez à la vie, couchez à Corps et montez demain matin.
- Bien, bien.

Reconsultation à 3.
Olivier : “le temps se lève, il y a des étoiles sur le Gargas, allons y !”.
Pierre : “c'est une connerie de faire du vélo à Noël ; quant à faire une connerie, faisons là jusqu'au bout !”.
Hervé : “essayons ; de toute façon, l'expérience montre qu'il est impossible de faire demi tour dès qu'on a fait plus de cent mètres dans une direction”.
32:24 ou 32:28, et en avant ! Nous passons sans problème la première rampe, juste après le pont, celle qui devait servir de test (avant, il y a 2 kms de plat). A chaque virage, nous craignons l'augmentation de la couche de poudreuse recouvrant elle même de la neige tassée par les passages successifs du chasse neige ou, pire, l'apparition d'ornières dans une neige labourée par les chaînes de voiture, ce qui obligerait à coup sûr à continuer à pied. Mais non, rien de tel : c'est une inoubliable montée, la lune nous éclaire, les étoiles brillent, les pneus crissent.

Lorsque nous arrivons au Sanctuaire, il est 21h30 et, bien sûr, il n'y a plus personne à la réception. Il y a bien une sonnette “service de nuit”. Cependant, après avoir cassé une croûte, nous préférons sortir les duvets que nous installons sur les banquettes avec nous à l'intérieur. Le lendemain, c'est jour de repos. L'an dernier, à pareille époque, nous étions montés à cinq, on nous avait donné sans sourciller une chambre pour trois. En bonne logique, cette année, nous demandons une chambre pour un “avec douche” (c'est en fait la seule chose qui nous intéresse dans les chambres ; s'il existait des chambres sans lit avec douche, c'est ce que nous prendrions). Refus du responsable. La Salette elle même se commercialiserait elle ? (A Pâques 76, je me souviens que l'hôtelier, magnanime, nous avait même donné une chambre à trois lits pour le prix des dortoirs fermés en hiver). Le matin, nous sacrifions au rite : la montée au Gargas (sans les vélos !). A midi, le recteur nous montre le Dauphiné : notre photo figure en première page, dans le virage no 10 de l'Alpe d'Huez, avec pour légende : “des cyclistes courageux dans la neige près de Bourg d'Oisans”.
En l'occurrence, je pense qu'il fallait plus de courage ce jour là pour monter en voiture que pour descendre à vélo.

La Salette, dimanche 30 décembre, 9 h 30.
La fraiseuse du Sanctuaire est partie depuis environ 2 h. Son rôle : déneiger grossièrement (le chasse neige parachèvera le travail), mais surtout se frayer un passage parmi les 4 ou 5 coulées qui ont transformé la route en parcours du combattant.
Nous tentons la descente, bien qu'elle soit encore fermée et malgré les conseils de prudence d'un “frère” chargé du déneigement. Mais, comme il dit, “on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif”.

Nous rejoignons la fraiseuse sans problème. Elle est aux prises avec une coulée 1,5 km après le col de l'Homme et mettra trois quart d'heure pour avancer de 200 mètres. Il nous semble imprudent de la dépasser : avec de la neige jusqu'à mi cuisse, la progression serait difficile et, surtout, lente, ce qui augmente notre sensibilité aux coulées ou avalanches. Nous remontons alors, déjeunons et repartons aussitôt. La route est toujours fermée officiellement, mais la fraiseuse l'a dégagée jusqu'à Saint Julien. Quel régal ! Sûrs de ne rencontrer personne, on se permet de descendre à 30 sur une vraie piste de ski.

Après 1,5 km de ce manège, nous croisons le chasse neige de l'Équipement montant de Corps, tout ébaubi de nous voir dans pareille posture. Déneigement sommaire de l'ensemble chaine-plateaux, roue libre et des garde boue, et en selle ! Corps, et avec lui la route presque sèche, est atteint moyennant quelques chutes là où la neige est fondante, et la pente la plus forte.
De Corps à Grenoble (par la route directe : nous abandonnons notre projet de boucle Corps-route Napoléon-St Étienne en Devoluy-Corps, car nous voulons réveillonner chez nous et non pas dans un igloo du côté du Noyer). Rien ne se passe, sinon que nous restons vigilants, surtout dans la descente de Laffrey car il fait nuit et la route est blanche par endroits.

Lundi 31 décembre, Grenoble.
Grenoble Lyon, sur une carte Michelin (ou même une autre) c'est facile ; d'habitude çà l'est. Mais pas aujourd'hui. Dès le départ tombe en abondance une neige un peu mouillée qui vient se loger dans la roue libre, faisant sauter la chaîne. Seul remède : s'arrêter, sortir le couteau et déneiger les couronnes. L'ennui c'est qu'il faut recommencer l'opération toutes les cinq minutes.

Heureusement, une accalmie nous permet d'atteindre la Frette. Là, les estomacs crient famine et les pieds réclament un peu de chaleur (il faut dire que nous sommes mal équipés de ce côté là. Olivier utilise la méthode sandwich : 1 paire de chaussettes, 1 sac en plastique, 1 paire de chaussettes, le tout dans les chaussures cyclistes ajourées d'été. Pour moi, ce sont deux paires de chaussettes dans des Adidas Rome. Seul Pierre a des sur chaussures, la solution “ commerciale”. Malheureusement, il vient des les fendre . . .”.

Après la Frette, c'est l'arrivée à Lyon, la première arrivée de jour de ce circuit. Il ne reste plus qu'a réveillonner l'âme en paix, et à souhaiter à tous les amis cyclos beaucoup de cols pour 1980 !

Mes compères étaient Olivier JOUVE et Pierre GUI RONNET, de Lyon.

Hervé BURTSCHELL

Nancy (54)


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