Dans notre belle France, il existe des cols aux noms prestigieux, que tout cyclo rêve d'escalader un jour. Quand cette première fois arrive, c'est avec appréhension et prudence que l'on attaque ces géants. Dans le Var, pas le moindre risque de connaître de telles émotions. Et pourtant, si en bon membre des “Cent Cols”, vous passez vos soirées, le nez dans vos cartes à la recherche du col inédit, vous remarquerez un jour, sur la carte “ Michelin 84”, au pli 7, le col de la Glacière 1070 mètres, le plus haut du département, dans le camp militaire de Canjuers. Il n'en faut pas plus, pour être tenté par l'Aventure. Un samedi du mois d'août, en pleines vacances, c'est le jour “J”. Le passage du col, en zone interdite, est prévu entre 12 et 14 heures, pour avoir toutes les chances de réussites. Après avoir pédalé toute la matinée, voilà BARGEMONT. C'est l'ascension du col du Bel Homme peu avant midi, sous un soleil de plomb. A mi col, un cyclo assis sur le parapet, semble rechercher l'ombre. C'est le petit salut amical au passage, mais son regard et la pâleur du visage, en disent long sur sa fraîcheur. Au sommet, trois de ses amis attendent inquiets. Je les rassure et me renseigne sur mon idée fixe, passera ... ? passera pas ... ? c'est le suspens. L'un d'eux a fait la traversée l'an passé en voiture. C'est une bonne nouvelle, mais je n'en suis pas rassuré pour autant. Il est midi, après la causette, la pause casse-croûte s'impose. Le derrière dans l'herbe, je vois repartir tout joyeux ces amis d'un instant. De nouveau en selle, une douce descente me conduit à BROVES sur un véritable “boulevard”. De nombreux panneaux m'indiquent que je suis dans le camp militaire de Canjuers. C'est un immense plateau vallonné, à végétation rabougrie, quadrillé par de nombreuses pistes interdites. Voilà BROVES. D'après la carte, la route du col prend près de l'église. Mais le boulevard fait office de déviation, et l'entrée du village est interdite et barricadée. Je décide de l'investir par le nord. Dès les premières maisons, une impression de solitude et de crainte m'envahit. Tout est à l'abandon, la mairie avec son école de garçons et de filles, plus loin l'église. Je réalise soudain, que ce petit village vient de mourir, après l'expulsion de ses habitants. Bien vite, ce sentiment de tristesse, se transforme en angoisse. Comme sortant de l'au delà, une musique se fait entendre d'une maison. Sans doute des soldats de garde, plus occupés à écouter leur transistor, qu'à surveiller la route. Grâce à ma fidèle compagne silencieuse, sur la pointe des pneus, je passe inaperçu. L'église est là, mais ce n'est pas le moment de faire du tourisme. Enfin, une petite route à gauche qui monte, je suis sauvé. Après toutes ces émotions, je suis tout heureux d'avoir réussi mon coup. Mais l'inquiétude reprend vite le dessus pour la suite de ma promenade. |
Il reste neuf kilomètres pour sortir de ce guêpier et rejoindre la route libre. Ne ménageant ni mon temps, ni mes forces, j'avale les quatre kilomètres de légère montée sans difficulté. Virage à droite, le col est là, vaincu. Déjà, je ralentis, pour savourer ma victoire et contempler le paysage. Soudain, je m'aperçois que je viens de tomber dans une embuscade. Blindés, camions et soldats en armes camouflés de partout, jouent à la guerre. Cette fois, j'ai des sueurs froides. Très vite, un petit camion s'approche. Un sous officier au regard soupçonneux m'interpelle. En cyclo têtu, je parlemente, et lui expose mon désire de traverser le “champ de bataille” pour rejoindre la route de FAYENCE. Je pense qu'un seau d'eau glacée sur sa tête, en ce lieu, l'aurait moins surpris. Rien à faire, on va tirer à balles et obus réels, c'est aller à la mort en voulant continuer. Là, je commence à comprendre, qu'il y a danger. Il serait dommage de se faire “ refroidir” au col de la Glacière, même pour le club “des Cent Cols”. Alors c'est l'expulsion, retour à BROVES, le camion dans ma roue, jusqu'à la route autorisée. Un salut sans rancune à mes fidèles gardes du corps, je repars en direction de BARGEMONT, vexé de ne pas réussir la traversée, mais heureux d'avoir le col de la Glacière à mon tableau de ... chasse. Amis cyclos, ce col est dangereux. Mal placé pour donner des conseils, je vous demande néanmoins d'être très prudents, à ceux qui risqueront l'aventure malgré l'interdit. Mais n'oublions pas, que beaucoup d'autres petits cols sans prétention, sont prêts eux aussi, à nous combler d'émotions sans risque. Roger SASSOT VALENCE (26) |