Au cours de la saison 1978, le hasard a voulu que je roule à trois reprises différentes avec un jeune, d’une vingtaine d’année. Après avoir fait connaissance, mon compère en cyclo me dit « être sorti depuis un an d’un centre de rééducation pour handicapés mentaux. Les sorties à vélo étant une des activités de ce centre, il a pu en faire partie. Il me dit sa joie d’avoir très vite pu constater qu’il était sur son vélo, pareil à son moniteur, pareil à tout le monde. Sur son vélo, personne pour l’aider à pédaler. D’une certaine façon, il fallait se prendre en charge, s’assumer. Après quelques sorties c’était aussi la tête qui travaillait. Il fallait changer de vitesse, savoir pourquoi on en changeait, laquelle était la mieux adaptée au terrain ? « C’était le début d’une certaine indépendance, mais aussi de la liberté, je crois que je peux dire merci au vélo… ». Tout en roulant, nos conversations ont touché un peu à tout. De la culture (des terres), au sport, en passant par les arts et les métiers manuels. Surtout ne croyez pas que mon jeune ami et moi-même soyons des champions en ces matières. Nous avons sûrement dit quelques énormités que des oreilles plus éduquées auraient eu du mal à supporter. Puisque nous sommes entre nous, je ne rapporterai que ce qui nous concerne, nous, cyclos. Des histoires de vélo, nous en avons beaucoup parlé puisque grâce à lui, nous nous étions rencontrés. Tout y est passé : grandeur du cadre, braquets, selles, chaînes, distances, moyennes. Enfin, comme vous le savez : « Quand un cyclo rencontre un autre cyclo, qu’est-ce qu’ils se racontent… ». Nous avons parlé de tout ce que vous connaissez par cœur grâce à votre expérience et à notre revue Cyclotourisme. Ce n’est pas cela que j’ai retenu le mieux de nos rencontres, mais trois ou quatre histoires que nous « sains d’esprit », qualifierions « de faux ». Ces histoires m’ont été racontées avec tant de joie, tant de malice dans le regard, que j’en suis encore à me poser des questions ; les voici : - Avant chaque départ en randonnée, nous avons droit aux conseils d’usage. Celui de, rouler l’un derrière l’autre, revient chaque fois. Sur la route, notre moniteur, après avoir mené le train pendant quelques kilomètres, demande à Jean de passer devant ; celui-ci se trouvant bien de suivre une locomotive, trouve la parade, « Je ne peux pas, au départ, tu m’as dit de rouler derrière l’autre… ». |
- La halte casse-croûte est un bon moment de nos sorties ; ça creuse de faire du vélo. Pendant que pain, saucisson, fromage et fruits descendent se mettre au chaud dans les estomacs, un peu à l’écart, Pierre aperçoit un camarade occupé à manger un boyau, « Tu vas rentrer à pied si tu manges tout » ! « Non, ce n’est pas mon vélo, c’est le tien ! » « C’est malin, heureusement, tu as laissé la valve, je vais pouvoir gonfler ». - Il y a quelque temps nous avons passé la soirée à parler Tour de France et surtout de Paris-Roubaix. Notre moniteur a eu fort à faire pour répondre à nos questions sur l’enfer du Nord, les effroyables pavés, la souffrance ou même le calvaire des coureurs. Il faut dire qu’à chaque instant, il était interrompu par notre camarade Robert, qui est affligé d’un bégaiement prononcé. Sans complexe aucun, il n’arrête pas de parler. Profitant d’un court instant de pause, Paul, heureux de pouvoir en placer une, s’adresse à Robert, « Avec toi, on a l’impression de faire toute la route de Paris à Roubaix, sur les pavés ». - Notre discussion sur le tour de France et Paris-Roubaix ayant mis de la dynamite dans les mollets de quelques camarades, ils n’ont été heureux que le jour où nous avons organisé une course contre la montre dans les allées du parc. Nous nous sommes bien amusés, mais certains étaient un peu vexés d’avoir été battus. A l’arrivée, au dernier concurrent, nous avons commenté la course. Quelqu’un a dit à Albert : « Comment se fait-il que Martin t’ait battu ?-« Pas étonnant, il roule comme un fou » -« Oui, mais lui, il le sait ». En supposant qu’il y ait une barrière entre eux et nous, pour ma part, je doute maintenant de savoir désigner le côté de la barrière où j’ai ma place, et surtout quel est le bon côté. A vous de savoir si vous êtes du bon côté. Dur, dur… Bernard Lapeyre Biarritz (64) |