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LA COLITE

Revue N° 10 Page 06

(ou une communication sur une maladie des cyclotouristes)

Dans sa phase première - le diagnostic - la médecine est facile ; au nom à peine déformé de l'organe malade, il suffit d'ajouter "ite" et la maladie est connue : bronchite, névrite, otite, artérite... Dans sa phase seconde - la thérapeutique - la médecine n'est parfois guère plus compliquée.

Un exemple ? Un os malade, plus précisément la moelle et ça fait l'ostéomyélite : première phase. Suppression du contenant, du contenu et de tout l'enrobage - os, moelle et la chair tout autour - et voilà une maladie de moins : deuxième phase. C'est ce qui m'est arrivé à une date qui commence à se perdre dans la nuit du temps... 1939 !

L'inconvénient avec les maladies, c'est leur indépendance ; l'une guérie, une autre peut venir. L'ostéomyélite supprimée de gaillarde façon comme il vient d'être dit, j'ai connu plus tard d'autres maladies en ite : la tendinite, la tamponite, la colite...

On aura reconnu là les maladies spécifiques des énergumènes qui vont par les chemins sur une machine dont la caractéristique est de tomber si elle ne roule pas : la bicyclette ou le vélo suivant le sexe qu'on lui attribue. Je penche, quant à moi, pour "bicyclette" ; c'est féminin, plus tendre ; le mot tombe bien ; il rime avec fluette, gentillette, amusette, risette, jupette, fossette, mignonnette, pirouette,... amourette. Mais je m'écarte du sujet.

La tendinite se rapporte au tendon, c'est l'évidence même. Quel cyclo n'en a pas été affecté un jour ou l'autre ? La tendinite des grands champions fait la "une" des journaux, ameute les plus éminents professeurs de médecine. Celle des obscurs cyclos se traite simplement avec quelques onces de phénylbutazol ? une pommade au nom barbare qui se trouve dans la première officine du coin où elle est délivrée à tout quidam qui se présente sans qu'il ait besoin de la bénédiction du moindre médecin. A la limite, les réfractaires à la guérison par la pommade désignée pourront faire procéder à l'ablation du tendon malade. L'homme est pourvu de tendons en nombre surabondant; quelques-uns sont superfétatoires, même pour un usage immodéré de la bicyclette, en terrain plat comme en terrain pentu. J'en sais quelque chose.

J'ai traité de la tamponite, avec croquis à l'appui, dans un papier précédent, en gestation dans les dossiers de la revue "CYCLOTORISME". Une gestation trop longue étant mortelle ? celle de mon papier dépasse largement les neuf mois ? je crains d'avoir à parler de mon "défunt" papier. Une perte pour le lecteur avide de connaissances médico-cyclotouristiques ?

Reste la colite qui fait l'objet de l'actuelle communication dont j'espère qu'elle recevra l'imprimatur de Messieurs les Membres de l'Académie des Cent Cols.

Appliquons à l'envers la règle énoncée au début du papier : colite moins "ite" égale col. Il y a de nombreux cols : le col de chemise, le col du fémur, le col de l'utérus, le col-bleu, le col blanc... Il n'y a qu'un col assez prestigieux pour n'avoir pas à être affublé d'un complément, sous forme d'adjectif ou de nom. Il s'agit de la dépression qui forme passage entre deux sommets montagneux : c'est LE COL. C'est à lui bien sûr que se rapporte la colite.

Des médecins sourcilleux et, avec eux, toute une théorie de malades qui auront été travaillés par eux, objecteront que le terme "colite" se rapporte à autre chose :
- Tiens ! Tu as mal au ventre ? m'a lancé Annie, inquiète, en voyant le titre de l'article que je lui demandais de taper.

Ces médecins sont dans l'erreur. Si côlon a formé colite, c'est à la suite de générations de médecins qui écrivent de plus en plus mal, omettent un accent circonflexe là, mangent une lettre ici et une deuxième sur la lancée. Si les jeunes médecins ne copiaient pas servilement leurs aînés et prenaient soin de remonter aux sources, ils verraient qu'au début de la médecine était la "côlonite". C'est logique, clair, évident. C.Q.F.D., formule par laquelle je concluais toute démonstration mathématique brillante, il y a .... un certain temps.
Pour contracter la colite, trois éléments doivent être réunis : un bonhomme, une bicyclette et une route qui monte (une bonne femme, un vélo et un chemin, rectifieront les féministes). C'est la condition nécessaire ; elle n'est pas suffisante.

Il n'est guère d'humain qui n'ait tâté de la bicyclette, qui plus est, sur une route présentant une déclivité certaine : même les "plats pays" ont leurs bosses, leurs monts, qu'il ne faut pas ignorer sous peine de s'attirer les foudres des autochtones ! Ainsi, un jour ou l'autre, tout-un-chacun a été porteur du germe de la colite. Mais il y a des associations bonhomme?bicyclette qui n'ont jamais pu se faire à une route qui monte. Apparaissent les premières gouttes de sueur, les premières douleurs aux cuisses, la première respiration un peu hachée, et l'ensemble vire de 180° pour se mettre dans le sens de la route descendante : c'est le phénomène de rejet, bien connu. Que deviennent, au bout du compte, ces associations condamnées à suivre le cours des rivières, au creux le plus bas des vallées ? Continuent-elles, pour aller s'engloutir dans la mer, corps, biens et âmes ? Non, bicyclette et bonhomme se sont dissociés bien avant, la première allant rouiller sous un appentis ouvert à tout vent, le deuxième se rouillant douillettement mais aussi inexorablement, le derrière sur un fauteuil devant la télé. En un sens, heureusement, la route des cols n'est pas galvaudée ; elle reste dure, pure ....

Le germe de la colite est donc partout. Son problème, c'est la croissance. Pour qu'il se propage, il faut qu'il trouve un terrain favorable. Annie a son idée là-dessus :

- Tous les cyclotouristes sont gens à problème ! Toi, par exemple...

Je ne rapporterai pas ce qu'elle dit, ne voulant pas trop consacrer ce papier à ma seule personne...

De toute façon, "moi, par exemple", je suis comme les autres : ma maladie, la fameuse colite, serait d'ordre cérébral ! Eh là ! Sur les cols, je me passe très bien des médecins en psy : psychologue, psychiatre, psychanalyste... Et mes co?malades, itou ! Notre maladie relèverait plutôt de l'homéopathie le mal par le mal si j'ai bien compris le fondement de cette thérapeutique. Encore qu'il ne soit point besoin d'homéopathe pour choisir le col qui suivra et calmera les "douleurs" du précédent.

Il y a plus : aucun cyclo ne se plaint de sa colite, hormis sa femme si elle ne l'accompagne pas (ou l'inverse au cas où la femme serait atteinte et non le mari : cas d'école ?). La colite est bien une maladie particulière : plus le mal progresse, plus il y a de plaisir.

Que voilà un beau sujet de Thèse pour un futur Docteur en Médecine !
J'ai soumis le sujet à Agnès, ma grande fille. Car, contrairement aux apparences, il y a des représentants du corps médical dans ma famille, l'un en voie directe, l'autre par "pièce rapportée". Agnès a parcouru le texte, amusée ?

- Tu as un compte à régler avec les médecins !
- Tu crois ?

Puis elle a glissé, ne mordant pas à la proposition. Dommage. Je lui aurais mâché le travail ; j'aurais analysé mes premiers symptômes ; j'aurais décrit ma première crise de colite, la centième dédiée à Annie, sur le col Ste Anne, comme il se devait ; je lui aurais parlé des colites bénignes, des colites chroniques, des colites aiguës.

Agnès perdue, le sujet demeure. S'il y a un amateur, cyclo candidat médecin ou vice-versa, j'offre mes services. Je ne consulte que l'hiver. Le printemps, l'été, je retourne "jouer de la bicyclette" dans les cols : la colite est saisonnière.

Bernard MIGAUD

METZ (57)


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