Ayant déjà réalisé deux voyages en cyclocamping dans les Alpes durant les étés précédents„ je me suis dit : «pourquoi ne pas aller voir au delà, dans leur prolongement ?». C'est ainsi que nous nous retrouvons à trois, mon frère, un jeune du club et moi même, à cyclocamper dans les Carpathes fin juillet 1981. Vous vous demandez sûrement : « Les Carpathes, c'est où çà ? Comment on fait pour y arriver ?». Rien de plus simple, après Vienne (Wien en autrichien), vous piquez plein est (à l'Est, quoi de neuf, docteur ?) ; vous pouvez y aller à fond de manettes, car même si vous passez la frontière sans vous en apercevoir il faut déjà que vous ayez une vitesse ultrerelativiste ,les tireurs d'élite hongrois se feront un devoir de vous crever un pneu afin de vous ralentir et de vous permettre de passer les formalités douanières. Il faut effectivement avouer que les douaniers hongrois, accoutrés dans leur uniforme militaire et le pistolet-mitrailleur en bandoulière, n'ont pas l'air sympathiques (et ne le sont d'ailleurs pas). Une fois ce premier obstacle franchi, ne vous attardez pas trop en Hongrie. Bien que ce soit un pays charmant, le relief ne convient pas à un «Cent Cols» (comment, vous ne connaissez pas la grande plaine de Hongrie ?). D'autre part, vous serez sans cesse traqués par des flics trop zélés, vu que la majorité des grands axes sont interdits aux deux roues (leiveve ceferlogalom ! ). C'est donc avec soulagement que vous arriverez à la frontière roumaine ; eh oui, à l'est de la Hongrie se trouve la Roumanie. Et là, vous êtes quasiment à pied d'oeuvre ; finies les chaleurs étouffantes de la plaine hongroise (40°), à nous la fraîcheur des Carpathes (10°). En effet, les Carpathes forment un grand arc de cercle partant du sud ouest de la Roumanie, se déroulant entièrement dans ce pays vers l'est d'abord, puis le nord, pour revenir vers l'ouest au nord du pays, la chaîne se prolongeant en URSS pour se terminer en Tchécoslovaquie dans le massif des Tatras. Personnellement, nous avons uniquement parcouru les Carpathes roumaines (c'est le plus gros bout). Après cette leçon de géographie (gratuite), venons en au sujet. En tant que membre du club des «Cent Cols», je ne pouvais pas parcourir cette chaîne montagneuse sans en ramener un col à 2.000 ; du moins, c'est ce que je me suis dit lors du projet. Après une étude fort délicate des cartes (les seules que j'ai pu me procurer sont au 1/1.000.000è), le col le plus haut des Carpathes se révélait être le col du Prislop, en Roumanie : 1.414 m. On est loin du compte. Non satisfait de cette découverte, j'ai replongé mon nez dans les cartes ; c'est alors que j'ai découvert une route (en pointillé sur la carte serpentant dans le massif du Fagaras, au sud de la Roumanie. Evidemment, rien sur la carte n'indiquait de col, ni d'altitude ; mais le massif du Fagaras étant le plus élevé des Carpathes roumaines avec des sommets culminant à 2.500 m, j'avais tout lieu d'espérer arriver à mon compte, d'autant plus que la «route» franchissait le massif transversalement. De toute façon, c'était la seule chance de glaner un 2000 dans les Carpathes. C'est ainsi que nous nous retrouvons le 24 juillet au pied du massif du Fagaras, les vélos lestés au maximum. En effet, au vu des routes déjà empruntées, nous avons la quasi certitude que notre «route» menant au sommet n'est qu'un sentier cyclomuletier ; c'est pourquoi nous avons acheté pour quatre jours de nourriture (l'approvisionnement est très difficile dans la campagne roumaine), considérant le franchissement de ce col comme une petite expédition (il y a environ 80 kilomètres de «route» en pointillé sur la carte). |
Nous attaquons le col proprement dit dans la fraîcheur du soir, après nous être échauffés sur quelques collines marquant la fin de la longue vallée de l'Arges. Après le dernier village, Capatinei, la route s'élève doucement et nous rentrons dans les gorges de l'Arges, retrouvant du même coup la forêt, cette magnifique forêt de sapins caractéristique des Carpathes, dégageant une odeur vous faisant regretter d'habiter à la ville (c'est mon cas du moins). Là, la route commence à prendre sérieusement de la pente, et enjambe deux viaducs desquels on a une vue magnifique sur les gorges et la rivière coulant en cascades en contrebas. En face, sur un promontoire rocheux, se dressent les vestiges d'une citadelle semblant garder l'entrée des gorges. Après une dizaine de kilomètres de forte montée nous amenant aux alentours de 900 m d'altitude, la route redevient plate ; en effet, nous débouchons dans la vallée «haute» de l'Arges, dont l'entrée est marquée par le barrage de Vidraru, construit en 1966, et dont les Roumains ne sont pas peu fiers ; imaginez, il retient un lac d'une longueur de 25 kilomètres, encaissé dans un des sites les plus grandioses des Carpathes. Mais ce qui est le plus extraordinaire, c'est que nous roulons toujours sur une route asphaltée, alors que d'après la carte, nous sommes sur les pointillés ; même que c'est la meilleure route roumaine sur laquelle nous ayons eu l'occasion de rouler. Cela nous réjouit d'autant plus que nous nous attendions au contraire. Cette allégresse nous donne des ailes. Bien qu'il soit déjà huit heures du soir, nous décidons de rouler encore vingt kilomètres, car nous sommes encore à soixante kilomètres du sommet d'après les bornes kilométriques longeant la route (quel luxe !). Au passage, nous nous restaurons au restaurant du lac ; je ne sais pas quelle est la raison pour laquelle il nous est impossible d'avoir du poisson, le lac me semblant poissonneux à souhait. Allez savoir. Après une brève rencontre nocturne avec deux boeufs en ballade sur la route, nous plantons notre tente au bord du lac à dix heures du soir. Le matin, nous nous faisons évidemment réveiller par les deux boeufs rencontrés le soir ; sans se soucier de notre présence, ils font leur caca à deux mètres de notre tente. Nous ne décollons cependant pas avant midi, ayant fallu réparer un pneu tailladé sur le flanc. Nous n'arrêtons pas de longer le lac, la route suivant ses moindres méandres. Lorsque nous le quittons définitivement, la forêt commence à s'éclaircir. C'est lorsque nous en sortons définitivement que la vraie montée débute : 12 km à 8 % environ. Nous sommes là au coeur des Carpathes sauvages ; à notre droite s'élève le Moldoveanu (2.544 m), le plus haut sommet roumain, masse rocheuse imposante. Nous nous élevons régulièrement, lacet par lacet, encouragés par les touristes des pays de l'Est (en voiture, eux), étonnés de voir des vélos à cette altitude, surtout chargés comme nous le sommes. Que voulez vous, à chacun ses plaisirs. Au sommet, un tunnel, de l'autre côté, un lac glaciaire, Bilea Lac, enchassé dans un cadre splendide. Sur le bord de la route (elle date de 1973), un berger gardant ses moutons : «Que altitudine ?». «Doemitrespatro !» (2.034 m) Rideau (de Fer) ! Claude MARCHAND ORSAY (91) |